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La dénonciation publique, une caractéristique des discours populistes ?

Jean-Luc Mélenchon prononce un discours lors d'un meeting "contre la vie chère" à Clermont-Ferrand, dans le centre de la France, le 14 novembre 2022.
NJ C highres. Thierry Zoccolan / AFP

Lors des discussions houleuses à l’Assemblée nationale sur le projet controversé de réforme des retraites du gouvernement, le député Louis Boyard a publié sur son compte Twitter la liste des députés qui ont voté contre une proposition de loi socialiste visant à proposer des repas à un euro à tous les étudiants. Cette initiative, assortie de la mention « retenez leurs noms », a suscité de vives critiques dans la majorité.

Le tweet du député et les différentes oppositions à la réforme des retraites mettent aujourd’hui en lumière l’importance de la dénonciation publique dans les démocraties. Cette forme de discours apparaît dans le débat comme une contestation du pouvoir en place. Mais elle donne aussi à voir un spectacle politique dans lequel les acteurs populistes ont fait de ce mode d’action une stratégie.

Si les définitions des populismes sont plurielles et polémiques, la plupart s’accordent sur une série de caractéristiques propres à ces mouvements. Les populismes seraient portés par des leaders charismatiques et dénonceraient les élites en place au nom d’un peuple victime perçu comme homogène. Cette définition des populismes est une montée en généralité théorique nécessaire à leur conceptualisation, mais elle masque en même temps leurs spécificités.

En France, trois candidats à la dernière élection présidentielle s’inscrivent dans ce courant : Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Éric Zemmour. Ils revendiquent un « monopole de la représentation populaire », mais ne s’appuient pas sur les mêmes figures du « peuple » et des « élites ». L’analyse des dénonciations publiques produites par les trois acteurs peut alors constituer un moyen de mieux saisir ces deux figures aux contours flous.

Les dénonciations sont des formes narratives produites dans l’espace public et appartiennent à la critique sociale et politique. Elles présentent une conflictualité et renseignent l’identité de ceux qui les portent car elles construisent des « victimes » et des « bourreaux », un « nous » et un « eux ».

En s’appuyant sur un corpus de dénonciations produites sur Twitter par Jean-Luc Mélenchon (1478 tweets), Marine Le Pen (2052 tweets) et Eric Zemmour (952 tweets) entre l’annonce publique de leur candidature et le second tour des élections présidentielles (2022), il s’agit ici de déplier les notions de « peuple » et « d’élites » en revenant sur les figures de bourreau et de victime les plus couramment mises en avant par ces acteurs.

Les figures de bourreau

Emmanuel Macron représente « le bourreau » le plus dénoncé par les trois candidats : 19,01 % des contenus d’Éric Zemmour, 18,03 % pour Marine Le Pen et 17,73 % pour Jean-Luc Mélenchon.

Ce résultat est en partie déterminé par le contexte électoral qui incite les acteurs à critiquer le président sortant pour se présenter comme une alternative crédible à celui-ci. En ce sens, le gouvernement constitue la deuxième figure la plus dénoncée par Marine Le Pen (17,3 %) et Jean Luc Mélenchon (10,62 %). Éric Zemmour accuse quant à lui le gouvernement dans seulement 4,1 % de ses contenus. Cette différence peut résulter d’une annonce plus tardive de candidature à l’élection l’ayant conduit à moins se positionner contre les mesures mises en place par le gouvernement dans les années qui ont précédé le scrutin.

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Eric Zemmour dénonce en revanche amplement les autres candidats à l’élection. Valérie Pécresse a ainsi constitué la deuxième figure qu’il a le plus dénoncée (7,14 %). Au-delà de la candidate LR, Eric Zemmour a largement critiqué « les politiciens professionnels » (3,26 %), Jean-Luc Mélenchon (1,57 %), Marine Le Pen (1,36 %) et Yannick Jadot (0,63 %). Mélenchon, quant à lui, dénonce fréquemment Marine Le Pen (3,11 %), Eric Zemmour (2,84 %) et dans une moindre mesure Anne Hidalgo (0,68 %). Marine Le Pen est finalement celle qui critique le moins ses adversaires. Elle concentre ses dénonciations sur Emmanuel Macron et le gouvernement pour se présenter comme leur principale opposante. Le seul candidat que Marine Le Pen critique parfois est Eric Zemmour (0,53 %) car il occupe un espace politique assez proche du sien.

L’UE et les médias comme figures antagonistes

La dénonciation de l’Union européenne a aussi été relativement importante pour les trois acteurs. Marine Le Pen a été la candidate qui a le plus critiqué l’UE (4,63 %) ; tandis qu’Eric Zemmour (1,15 %) et Jean-Luc Mélonchon (0,88 %) ont moins visé cette figure de bourreau.

Les trois candidats partagent ensuite une dénonciation des médias et des journalistes. Ceux-ci ont en effet constitué la 4e figure la plus critiquée par Eric Zemmour (4,62 %) et la 5e par Jean-Luc Mélenchon (3,06 %). La dénonciation des médias a en revanche été beaucoup plus parcellaire dans les contenus de Marine Le Pen (1,07 %).

Des convergences s’observent donc dans les figures dénoncées par les acteurs, mais elles ne doivent pas masquer leurs différences.

Si Le Pen et Zemmour semblent proches, avec par exemple un même taux de dénonciation de l’institution judiciaire (respectivement 2,58 % et 2,67 % des contenus), il peut être hâtif de les mettre sur un même plan. Eric Zemmour se démarque en effet de Marine Le Pen en ce qu’il durcit le discours de la candidate RN. D’une part, Eric Zemmour mobilise un discours ouvertement plus stigmatisant. Il cible prioritairement les personnes lorsqu’il dénonce l’immigration (4,56 % des contenus critiquent les migrants, les réfugiés, les clandestins ou les étrangers contre 4,23 % pour l’immigration) ; là où Marine Le Pen dénonce le phénomène migratoire en priorité (5,7 %) en évitant une attaque plus systématique contre les étrangers (1,7 %). D’autre part, Eric Zemmour se distingue de Marine Le Pen par sa dénonciation du « Grand remplacement » (3,47 % des contenus) ; une théorie xénophobe que la candidate RN prétend aujourd’hui mettre à distance.

Jean-Luc Mélenchon se différencie enfin des autres acteurs sur de nombreux sujets, signe que le clivage gauche/droite n’est pas complètement désuet. Le candidat insoumis dénonce en effet des figures qui ne sont pas critiquées par les deux autres leaders, entre autres : le système capitaliste/néolibéral (3,99 %), le nucléaire (2,57 %), les ultra-riches (2,23 %) ou les fermes-usines (0,95 %).

Les figures de victime

La notion de « peuple » recouvre des réalités multiples et diffère en fonction des approches et des contextes politiques. Les victimes dans le récit de dénonciation sont un des biais par lesquels les candidats populistes construisent des figures du « peuple ».

Celles-ci sont très proches pour Eric Zemmour et Marine Le Pen, les deux plus récurrentes étant identiques : les Français constituent 36,4 % des victimes d’Eric Zemmour et 35,72 % de celles de Marine Le Pen ; la France, respectivement 17,5 % et 12,71 %. Le « peuple-victime » de ces deux leaders renvoie avant tout à un peuple-ethnos, centré sur l’appartenance à la communauté nationale. Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, mobilise moins ces deux figures (4,24 % pour les Français et 2,32 % pour la France). Le « peuple-victime » du leader insoumis est celui des « classes populaires » (11,97 %) ; il prend pour référent un critère économique et social. Il se distingue en cela du peuple-ethnos des deux autres leaders, bien qu’il le mobilise par moment.

Le peuple-demos, qui est centré sur un référent démocratique et renvoie à la communauté des citoyens, occupe également une place significative dans le récit des trois acteurs. Celui-ci constitue notamment la troisième figure la plus mobilisée par Jean-Luc Mélenchon (7,1 % des contenus). Le peuple-demos est une victime moins récurrente mais tout de même importante dans les récits d’Eric Zemmour et de Marine Le Pen (respectivement 3,68 % et 2,29 %).

Par ailleurs, les « femmes » constituent des victimes régulières dans le récit des trois acteurs. Eric Zemmour est celui qui les mobilise le plus dans ce rôle (2,73 %), tandis que Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen les présentent comme victimes dans des proportions similaires : respectivement 2,16 % et 2,29 % des contenus.

Mélenchon et Le Pen mobilisent aussi de nombreuses figures de victime identiques, mais dans des proportions différentes : les animaux constituent par exemple 1,69 % des victimes de Jean-Luc Mélenchon contre 0,49 % de celles de Marine Le Pen ; l’environnement et la biodiversité représentent 4,47 % des victimes du leader insoumis et 0,88 % de celles de la candidate RN. Inversement, Marine Le Pen mobilise aussi des victimes qui sont identiques à celles d’Eric Zemmour : par exemple, les policiers (respectivement 1,51 % et 2,31 %) ainsi que les agriculteurs (respectivement 1,66 % et 1,36 %).

L’autovictimisation

Les trois leaders partagent enfin une même stratégie d’autovictimisation. Cette démarche permet aux acteurs de créer une symétrie d’oppression avec le peuple-victime dont ils revendiquent la représentation. Ainsi, Eric Zemmour est celui qui se présente le plus souvent comme une victime (7,46 %), suivi par Jean-Luc Mélenchon (5,2 %), puis Marine Le Pen (2,19 %).

Réduire les populismes à une opposition floue entre le peuple et les élites n’est ainsi pas toujours pertinent pour saisir leurs spécificités. Les antagonismes sur lesquels ils s’appuient semblent plus formalisés. En l’espèce, les notions de « peuple » et « d’élites » occupent une place relative dans les dénonciations.

Le « peuple » est souvent mis en avant indirectement. Il l’est par l’intermédiaire d’un référent national et ethnique par Marine Le Pen et Eric Zemmour lorsqu’ils définissent la France et les Français comme les victimes principales du contexte politique. Il l’est aussi par Jean-Luc Mélenchon lorsqu’il installe les classes populaires dans ce rôle, recentrant la notion de peuple sur une condition sociale spécifique et s’inscrivant ainsi dans une tradition politique radicalement différente de celle des deux autres leaders. Le terme peuple est aussi mobilisé de manière plus explicite par les trois acteurs. Il renvoie alors le plus souvent à un référent démocratique et caractérise la communauté des citoyens. La notion d’« élites », en revanche, occupe une place presque nulle dans les dénonciations et seul Eric Zemmour lui accorde une position importante lorsqu’il accuse les « politiciens professionnels » ; une figure qui peut être associée à une forme d’élite politique.

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