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Photo d’une femme en prenant une autre dans ses bras pour la réconforter.
Un déficit en dopamine peut affecter la façon dont nous percevons les émotions des autres. PeopleImages.com - Yuri A/Shutterstock

La dopamine nous aide à comprendre ce que ressentent les autres

La dopamine est un neurotransmetteur essentiel. On la savait déjà impliquée dans de nombreux processus, dont l’important « circuit de la récompense ». De nouveaux travaux révèlent qu’elle joue également un rôle dans notre capacité à interpréter les émotions des autres.


Produite par les cellules nerveuses du cerveau (neurones), la dopamine est un neurotransmetteur, autrement dit une molécule qui contribue à transmettre des informations d’un neurone à l’autre. Impliquée dans la régulation du plaisir et le circuit de la récompense, elle joue également d’autres rôles dans les mouvements volontaires, la cognition ou les affects.

Un grand nombre de personnes atteintes de troubles qui affectent le système dopaminergique, comme la maladie de Parkinson ou la schizophrénie, rencontrent des difficultés sociales qui peuvent avoir un impact significatif sur leurs relations avec les autres et leur qualité de vie. Ces difficultés peuvent notamment résulter de problèmes pour reconnaître ou comprendre les émotions et les états mentaux des autres (une capacité désignée en neuropsychologie par l’expression « théorie de l’esprit »).

Jusqu’ici, on ne savait pas si ces problèmes étaient dus à des déséquilibres du système dopaminergique des patients, ou s’ils étaient causés par d’autres facteurs liés à leurs pathologies. Nos derniers travaux, publiés dans la revue PLOS Biology, révèlent que les difficultés sociales qu’expérimentent ces malades semblent bien être directement causées par un manque de dopamine. Dès lors, on peut imaginer qu’un jour des médicaments basés sur ce neurotransmetteur puissent être prescrits pour traiter les difficultés sociales associées aux affections résultant d’altérations du système dopaminergique.

Parkinson, dopamine et relations sociales

La maladie de Parkinson résulte d’une dégénérescence progressive des neurones produisant la dopamine, une molécule qui intervient dans le contrôle de nombreuses fonctions (mouvements volontaires, cognition, motivation, affects…).

Les patients qui en sont atteints présentent souvent une moindre expressivité faciale que les individus en bonne santé. Cela peut compliquer leurs relations avec les autres, certaines personnes réagissant négativement à ce manque d’expression, ce qui peut conduire les malades à s’isoler. Or, on sait que les personnes socialement isolées pendant de longues périodes peuvent rencontrer davantage de difficultés lorsqu’elles se retrouvent à nouveau obligées d’interagir avec les autres (vous en avez peut-être fait l’expérience après le confinement, lorsqu’il s’est agi de recommencer à vivre en société…).


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Cet isolement volontaire pourrait expliquer pourquoi les patients parkinsoniens peuvent rencontrer des difficultés à comprendre les autres. Mais pour certains scientifiques, une autre cause pourrait aussi entrer en ligne de compte : puisque la maladie de Parkinson est due à la mort des neurones à dopamine, il se pourrait que ce neurotransmetteur joue un rôle clé dans notre capacité à comprendre nos semblables. Nous avons décidé de tester cette hypothèse.

Triangles animés et états mentaux

Après avoir administré à 33 volontaires en bonne santé un médicament destiné à réduire les niveaux de dopamine dans certaines régions du cerveau (en bloquant les récepteurs auxquels se lie ce neurotransmetteur), nous avons évalué leurs capacités en matière de théorie de l’esprit.

Nous avons pour cela adapté une expérimentation classiquement utilisée à cet effet. Les auteurs qui l’ont mise au point avaient constaté que lorsque des individus visionnent des vidéos courtes de triangles en interaction, ils attribuent volontiers des rôles sociaux et des états mentaux aux objets en mouvement.

Durant notre propre expérimentation, nous avons fait visionner des vidéos similaires aux participants. Certaines étaient suggéraient des « interactions d’état mental » : on pouvait y voir un triangle semblant agir sur un autre triangle, ou provoquer chez ce dernier un état mental (le « surprendre », par exemple). Des vidéos de contrôle ont aussi été présentées. Celles-ci impliquaient des interactions basées sur des actions plus simples (par exemple, un triangle suivant un autre triangle).

Ce type d’approche est particulièrement appropriée pour étudier la capacité des gens à comprendre les autres, car elle exclut certains facteurs qui pourraient avoir une influence sur la performance des participants, telle que leur façon d’interpréter le langage ou les visages.

Gif montrant un triangle « surpris » par un autre.
Un triangle « surpris ». Bianca Schuster, CC BY-SA

Tous les participants ont passé le test deux fois, une fois après avoir reçu le médicament bloquant les récepteurs de la dopamine, et une fois après avoir reçu une pilule placebo. L’ordre dans lequel les produits ont été administrés a été randomisé.

Moins de dopamine, moins de compréhension des émotions

Par rapport à la prise du placebo, la prise du médicament a clairement réduit la capacité des participants à étiqueter correctement les deux types de vidéos présentées. Il semblerait donc que la dopamine soit cruciale pour interpréter les interactions sociales, qu’elles impliquent la compréhension d’états mentaux (vidéo de surprise) ou non (vidéos de suivi).

Fait intéressant, les participants dont la capacité à attribuer avec précision des états mentaux aux triangles était moindre avaient également plus de difficultés à reconnaître les émotions après avoir pris les médicaments bloquant la dopamine (cette capacité était mesurée par un autre test au cours duquel les participants regardaient se déplacer des silhouettes humaines – des acteurs et des actrices – habitées de divers états émotionnels : colère, tristesse ou joie).

Ces résultats indiquent qu’il pourrait exister un mécanisme commun sous-jacent à la reconnaissance des émotions et aux capacités de théorie de l’esprit dans le cerveau humain. Il est possible que la dopamine régule ces capacités via le circuit de la récompense, nous incitant à rechercher ce qui nous procure du plaisir et à répéter ces comportements. Dans un contexte social, la dopamine pourrait de ce fait nous aider à prêter attention à de subtils indices sociaux que communiqueraient nos congénères.

Les personnes souffrant de déséquilibres dopaminergiques pourraient avoir du mal à reconnaître adéquatement les signaux sociaux communiqués par les autres. Mais selon nous, une seconde explication peut aussi être avancée.

Nos propres mouvements nous aident à comprendre les états mentaux des autres

En plus de son rôle dans le circuit de la récompense, on sait que la dopamine joue un rôle crucial dans les mouvements volontaires. C’est la raison pour laquelle les principaux symptômes rencontrés dans la maladie de Parkinson ont trait à l’initiation des mouvements.

Des travaux antérieurs ont suggéré que nous utilisons les représentations que nous nous faisons de nos propres mouvements pour comprendre les mouvements des autres. En effet, la façon dont les gens bougent est souvent un indicateur de leurs émotions et de leurs états mentaux : lorsque nous sommes tristes, nous nous déplaçons généralement plus lentement que lorsque nous sommes heureux, et notre posture s’affaisse, par exemple.

Au cours de notre expérimentation, nous avons découvert que les participants interprétaient mieux les mouvements des triangles lorsque ceux-ci se déplaçaient d’une manière similaire à leurs propres mouvements. Cela pourrait signifier que les personnes rencontrant des difficultés à effectuer certains mouvements pourraient aussi avoir plus de mal à interpréter les mouvements des autres, et donc leurs états mentaux.

Il faut toutefois souligner que le médicament que nous avons utilisé dans notre étude a ralenti les participants. Cependant, cela n’a eu aucun effet sur leur capacité à interpréter les vidéos de triangles, probablement parce que l’apprentissage associant nos propres mouvements à certains états mentaux, puis leur utilisation pour interpréter les mouvements des autres se met en place tout au long de la vie.

Lorsqu’un médicament modifie temporairement nos mouvements, nous continuons à nous référer à ces schémas bien ancrés pour interpréter les actions de nos semblables. Il est néanmoins possible qu’à des stades plus avancés de la maladie de Parkinson, une déplétion dopaminergique de long terme puisse modifier ces schémas mémorisés, ce qui pourrait rendre plus difficile l’interprétation des mouvements des autres.

Des traitements possibles

Selon nous, ces découvertes constituent un pas en avant significatif en matière de compréhension des bases neurochimiques de la cognition sociale.

Elles peuvent également nous aider à mieux comprendre les effets sociaux des médicaments dopaminergiques, qui sont prescrits à des millions de personnes chaque jour, notamment aux personnes atteintes de maladie de Parkinson et de schizophrénie.

On sait par exemple que les patients schizophrènes ont des niveaux de dopamine trop élevés dans certaines régions du cerveau. Certaines études suggèrent que cette situation pourrait elle aussi entraîner des problèmes de compréhension des autres, des niveaux de dopamine équilibrés étant optimaux. Dans ce cas précis, les bloqueurs de dopamine visant à traiter les hallucinations et les délires de ces patients pourraient donc également améliorer leurs capacités de mentalisation (capacité à percevoir et interpréter son comportement et celui des autres en termes d’états mentaux).

Nos résultats ouvrent la voie à de futures recherches visant à développer de nouvelles thérapies pour les personnes ayant des difficultés à comprendre autrui. Outre les patients atteints de schizophrénie ou de maladie de Parkinson, des personnes souffrant d’autres affections dues à des déséquilibres dopaminergiques, comme la maladie de Huntington ou le syndrome de Tourette pourraient en bénéficier.

This article was originally published in English

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