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Représentation schématique de chromosomes. Jijomathaidesigners/Shutterstock

La duplication du génome : facteur de résistance aux traitements des cancers

A l’état normal, chaque cellule humaine renferme dans son noyau 23 paires de chromosomes, soit 46 chromosomes (cellule dite « diploïde »). L’ensemble de ces chromosomes représente l’ADN d’une cellule. Chaque gène (qui code pour une protéine – brique de l’organisme) existe en deux exemplaires (un sur chaque chromosome d’une même paire). L’ADN des cellules d’un cancer est très remanié. Certains gènes sont mutés tandis que d’autres sont perdus ou apparaissent en plusieurs exemplaires. Les cellules cancéreuses sont par nature profondément déréglées. On pourrait les comparer à des enfants capricieux, colériques, qui se moquent des règles de vie en collectivité et envahissent ou s’approprient les espaces communs tels que le bac à sable et les jouets qu’il contient.

Ainsi certaines cellules cancéreuses vont amasser les chromosomes et devenir « polyploïdes » (« tétraploïdes » si 92 chromosomes). Elles vont doubler leur nombre de chromosomes sans partager avec les cellules de leur descendance.

Cette duplication du génome est observée dans une proportion variable de cancers (un tiers à plus de la moitié des cas). Elle est fréquente dans les cancers de l’ovaire, du sein, de la vessie ou encore du côlon. D’après nos travaux, elle est plus rare dans le cancer du cerveau le plus fréquent, le glioblastome, où elle est présente dans 11 % des cas. La duplication du génome survient tôt dans la maladie et peut accélérer la croissance de la tumeur. Elle peut également intervenir lors du passage d’un stade précancéreux à un stade cancéreux.

Au cours de la maladie, les cellules tumorales vont remodeler ou adapter leur génome. Après duplication de ce dernier, les cellules ont tendance à perdre des chromosomes (à l’origine d’un déséquilibre du génome appelé « aneuploïdie ») et deviennent ainsi « polyaneuploïdes ». En effet, les cellules tumorales tétraploïdes vont se débarrasser d’un certain nombre de chromosomes surnuméraires, un peu trop encombrants, pour atteindre un équilibre.

Porter tous ces chromosomes ou jouets peut s’avérer périlleux. L’enfant tyran ne peut tout mettre dans ses poches. Il doit faire un choix. Celui-ci n’est pas très difficile vu la pléthore de jouets amassés. Même s’il abandonne un camion de pompiers, il pourra toujours jouer aux petites voitures. Il peut aisément se délester d’une partie de son butin. Il ne pourra que s’enfuir plus facilement.

A l’inverse, une cellule diploïde ou un enfant possédant peu de jouets pourra difficilement se défaire de ce qu’il possède. Cela pourrait être délétère pour sa croissance ou son épanouissement. La perte d’un ou plusieurs chromosomes dans une cellule tumorale diploïde peut induire sa mort.

La duplication du génome ouvre également la voie à la chromothripsie, qui correspond à la cassure ou pulvérisation d’un chromosome en dizaines ou centaines de fragments. Ceux-ci sont recollés par la cellule dans un ordre aléatoire, à la manière d’un patchwork.


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Un chromosome patchwork peut entraîner un profond dérèglement de la cellule. Une chromothripsie sera d’autant mieux tolérée par la cellule tumorale que celle-ci est polyploïde (excès de chromosomes intacts ou peu remaniés). Encore une fois, l’enfant colérique peut se permettre de piétiner quelques-uns de ses jouets. Ce phénomène de chromothripsie s’observe dans certains cancers particulièrement agressifs, tels que le glioblastome, où il peut promouvoir la croissance de la tumeur. Ainsi, la duplication du génome favorise l’apparition de cancers invasifs et leur progression.

Les cellules cancéreuses polyaneuploïdes qui résultent d’une duplication du génome présentent une grande adaptabilité. Cette dernière est un facteur majeur de résistance aux traitements. Comme précédemment mentionné, ces cellules polyaneuploïdes (Poly-Aneuploid Cancer Cells en anglais ou PACC) apparaissent tôt dans la maladie, voire au moment de la genèse de la tumeur. Le nombre de PACC au sein de la tumeur varie en fonction des conditions de vie (bonnes ou moins bonnes) des cellules cancéreuses. Cet état de PACC est réversible. Le taux de PACC est faible dans un environnement bénéfique aux cellules cancéreuses, mais il augmente quand l’environnement change et devient délétère. Il représente une adaptation du cancer à un environnement hostile, « stressant », tel qu’un environnement pauvre en oxygène ou soumis à une chimiothérapie. Une chimiothérapie anticancéreuse augmente la proportion de PACC dans la tumeur. Ces dernières sont à l’origine de la résistance au traitement. Elles acquièrent de nouvelles compétences qui leur permettent de survivre à des conditions défavorables, voire mortelles, pour les cellules tumorales non-PACC. Les cellules PACC sont souvent de grande taille, parfois géantes. Par ailleurs, les PACC sont plus mobiles et invasives que les cellules diploïdes ou aneuploïdes.

Les cellules cancéreuses ont souvent un coup d’avance sur l’échiquier de la maladie par rapport à leurs adversaires que sont les oncologues. Certains médicaments bloquent les voies de signalisation (de croissance) empruntées par les cellules tumorales, mais cela incite ces dernières à utiliser des chemins de traverse pour progresser. Sous l’effet de la chimiothérapie, de nombreuses cellules cancéreuses meurent, mais quelques-unes résistent (avantage de survie) et recolonisent la tumeur. Celles qui résistent peuvent être intrinsèquement (par nature) résistantes au traitement tandis que d’autres ont le temps et la capacité d’évoluer et d’acquérir de nouvelles mutations pour résister au traitement et survivre. Il s’agit de la théorie de l’évolution de Darwin qui empêche l’extinction de l’espèce. La duplication du génome en association avec la sélection naturelle (sous l’effet d’un stress environnemental) entraîne une évolution accélérée (adaptation rapide) des cellules tumorales et l’apparition de cellules résistantes conduisant à la rechute.

La duplication du génome est associée à un mauvais pronostic dans les cancers. Sa fréquence augmente durant l’évolution de la maladie. 80 % des métastases de certains cancers présenteraient une duplication contre 30 % des tumeurs initiales. Il n’y pas de traitements pour prévenir une duplication du génome ni réduire le nombre de chromosomes à 46 (cellules diploïdes). Une stratégie pour freiner l’évolution de la maladie est de bloquer les voies de signalisation principales et les chemins de traverse à l’aide de traitements combinés.

Ainsi, la duplication du génome favorise la résistance aux traitements et la rechute de la maladie. Les PACC assurent la survie et l’adaptabilité du cancer face à un environnement labile et souvent hostile. La clé de la survie est l’évolution des cellules cancéreuses et de leurs génomes. Ces super cellules PACC, à l’image du personnage emblématique PAC-man, se jouent de leurs poursuivants dans le labyrinthe de la maladie.

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