La 89e édition de Fête de l’Humanité se tiendra du 13 au 15 septembre à Brétigny-sur-Orge en Essonne. Retour sur les grands moments de rendez-vous unique, toujours très populaire, malgré le déclin du PCF.
Alors que le Parti communiste français sort affaibli du cycle électoral de juin et juillet 2024, le succès de la Fête de l’Humanité ne se dément pas, illustrant la vitalité d’un festival politique et populaire qui su se réinventer au fil du temps.
La première édition de la Fête de l’Huma s’est tenue en septembre 1930. L’article de Daniel Renoult – l’un des fondateurs du PCF et rédacteur à l’Humanité – chargé d’en rendre compte, donne bien le ton : « à la conférence des comités de défense de la région parisienne, les délégués de 150 comités d’entreprises ou de quartiers examinent et décident des mesures à prendre pour la défense et le développement de l’Huma. L’après-midi au parc Sacco-Vanzetti, plusieurs milliers de travailleurs se pressent à la Fête de l’Huma splendidement réussie ».
La fête champêtre se tient alors dans un parc de Bezons dont le nom fait référence à deux anarchistes d’origine italienne exécutés aux États-Unis en 1927 malgré l’intense campagne menée par le Parti communiste français.
Sauver l’Huma de la faillite
Pourquoi avoir créé la Fête de l’Huma ? En 1930, le quotidien fondé par Jean Jaurès en 1904, passé dans l’orbite du Parti communiste après le Congrès de Tours de 1920, traverse une période de difficultés. Sous l’impulsion de son directeur Marcel Cachin, de l’écrivain Henri Barbusse et de Paul Vaillant-Couturier, député de la Seine et rédacteur en chef, la diffusion du journal communiste avait atteint 200 000 exemplaires en 1928. Mais en 1929, le nouveau patron, Florimond Bonte, écarte une partie des journalistes et impose une ligne dure, provoquant une baisse importante des ventes. Parallèlement, l’Humanité subit une offensive gouvernementale menée par le président du Conseil André Tardieu qui aboutit à la liquidation de la Banque ouvrière et paysanne qui apportait des fonds pour faire vivre la presse du parti. Cette banque est liquidée le 13 août 1929 et l’Humanité mise en demeure de régler rapidement son passif.
C’est dans ce contexte que sont créés les Comités de défense de l’Humanité (CDH) qui tiennent leur première assemblée régionale pour la région parisienne le 7 septembre 1930. Accompagnés d’une fête champêtre, ces Comités joueront un rôle déterminant pour sauver l’Huma de la faillite.
« Un résumé de la France, de ses provinces, de ses espoirs »
Dans les années qui suivent, la Fête de l’Humanité s’étoffe. Elle accueille des stands venus de tous les départements. À l’époque du Front populaire, elle est la vitrine d’un PCF fort de 72 députés. Signe de son succès, 300 000 visiteurs y participent en 1936.
Rendez-vous populaire et militant, la Fête de l’Humanité propose un grand prix cycliste et accueille les artistes du moment : un spectacle de Jacques Prévert en 1935, la vedette Marianne Oswald et le French Cancan en 1937 ou encore Charles Trenet en 1938.
Après la Seconde Guerre mondiale, les différentes éditions de la Fête de l’Humanité rassemblent parfois jusqu’à un million de personnes, comme en 1945 ou en 1977, où l’union de la gauche est à l’honneur. La vignette, bon de soutien vendu par les militants qui permet d’accéder à la Fête à un tarif préférentiel, est mise en place en 1952.
À cette époque, la fête prend progressivement sa physionomie contemporaine, accueillant stands et expositions de toute une galaxie d’associations proches du PCF, comme le Secours populaire, l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC) ou la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT). La Fête de l’Humanité devient alors « un résumé de la France, de ses provinces, de ses espoirs ».
« une réelle capacité de résistance aux aléas politiques »
De l’entrée en guerre froide à la fin des années 40 jusqu’à l’union de la gauche dans les années 1970, la fréquentation de la fête de l’Humanité montre « une réelle capacité de résistance aux aléas politiques qui certes l’affectent mais ne provoquent que des fluctuations sans commune mesure avec celles que connaît le parti » observe l’historienne Danielle Tartakowsky.
L’analyse est toujours vraie. De fait, la Fête de l’Humanité rassemble plusieurs centaines de milliers de personnes chaque année alors que le PCF enchaîne les déconvenues électorales depuis le début des années 2000, et plus fondamentalement, depuis le début des années 1980 qui a vu le PS mitterrandien dépasser le PCF de Georges Marchais.
Au fond, résume Marc Lazar, « Le PCF est marginalisé, mais une culture communiste dégradée perdure ». Cette culture irrigue tout l’espace politique de la gauche antilibérale, aujourd’hui dominé par La France insoumise, mais aussi une grande partie du champ syndical, en particulier la CGT et la FSU.
La Fête de l’Humanité reste donc une vitrine indispensable pour le PCF et pour son journal, dont les militants communistes sont les premiers lecteurs. Ces militants éprouvent d’ailleurs une véritable fierté à organiser chaque année ce qui demeure la plus grande fête politique de France.
Si la diffusion du quotidien fondé il y a 120 ans par Jean Jaurès est passée sous la barre des 40 000 numéros, la refonte du site Internet du journal en 2023 s’est traduite par un virage numérique qui a permis d’enrayer la chute du nombre d’abonnés. Sur le plan financier, la fête rapporte entre 300 000 et 500 000 euros de bénéfices qui servent à renflouer les caisses du journal.
Un divertissement populaire qui reste politique
Moment de rentrée politique pour le Parti communiste, la Fête accueille des personnalités de tous bords, notamment les alliés et partenaires traditionnels du PCF à gauche, en dépit des rivalités qui peuvent les opposer. Elle ouvre également ses portes à des adversaires politiques invités lors de débats contradictoires, à l’image de Valérie Pécresse en 2021, d’Edouard Philippe en 2023 ou encore de Dominique de Villepin en 2024.
Ces dernières années, la Fête de l’Humanité a surtout été marquée par une série de polémiques illustrant les relations fraîches entretenues par Fabien Roussel et Jean-Luc Mélenchon.
Le deuxième festival musical de France
Au-delà du rendez-vous politique, la Fête de l’Huma est surtout devenue un grand festival populaire auquel se rend un public soucieux d’assister à des concerts à un prix raisonnable.
Avec 430 000 visiteurs en 2023, elle est le deuxième festival musical de France, derrière le Festival Interceltique de Lorient. L’édition 2024 sera marquée par la création d’un prix du polar coïncidant avec la rentrée littéraire.
En 1989, Marc Lazar faisait déjà le constat d’un décalage entre la dimension politique et les motivations de la grande masse des participants. Pourtant, si la majorité des festivaliers ne sont pas des électeurs du Parti communiste, la programmation musicale de la Fête de l’Humanité fait la part belle aux artistes engagés et porteurs de valeurs humanistes.
Surtout, la Fête de l’Humanité demeure un temps de rencontre pendant lequel les visiteurs déambulent et se restaurent sur l’un des 400 stands représentant des sections communistes, des fédérations, des syndicats ou des associations émancipées du PCF mais restées culturellement proches du Parti communiste et de ses militants.
À cet égard, au-delà d’un simple festival populaire, la Fête de l’Humanité nous signale que la culture politique communiste, qui a durablement marqué la société française au XXe siècle, est toujours vivante.