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La Fondation Cartier à Shanghaï : sentiments d’un chineur de la pleine lune

La Power Station of Art (PSA) à Shanghaï. Foncation Cartier

À Shanghaï, dans le plus grand des musées de la ville, ancienne usine électrique qui en a gardé l’étincelle, les œuvres d’art, de design, de son et de science appartiennent à la collection de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, font ribambelle, collier de perle, archipel, constellation ou molécule de formule BC2DNRG2HYLM3NOPT et toutes les combinaisons possibles, riches comme la molécule de la personne humaine. C*27H*27O*27N*26P*25S*24Ca*25K*24Cl*24Na*24Mg*24Fe*23F*23Zn*22Si*22Cu*21B *21I*20Sn*20Mn*20Se*20Cr*20Ni*20Mo*19Co*19V*18. L’étoile signifiant puissance de dix (ceci pour un individu de 70 kg).

L’affiche de l’exposition « A Beautiful Elsewhere ». Fondation Cartier

L’exposition ne jette pas en ciel une fumée d’atomes pulvérisés mais organise en paysage des zones autonomes aussi bien agencées que l’ancienne concession française aujourd’hui préservée et révérée par les autochtones.

Né et éduqué en science, j’ai été touché quintuplement : par l’évocation de l’exposition mathématiques « Un dépaysement soudain » ; la bio-sonnerie aux animaux encore vivants de Bernie Krause, le flottement au vent de drapeaux symboliques, flattant l’humain et le stellaire, le style explosif et artificier de Cai Guo-Qiang et enfin l’entreprise visionnaire d’EXIT, des artistes architectes Diller Scofidio + Renfro, opéra numérique des flux et des migrations.

Les expositions « Le grand orchestre des animaux » et « Mathématiques un dépaysement soudain » (formule d’Alexandre Grothendieck), largement évoquées, ont fait de la Fondation Cartier un observatoire-piédestal-tremplin-base de lancement de science idéal. La force qui tendait l’arc d’Ulysse est intacte dans son bras.

L’exposition « Mathématiques un dépaysement soudain » (2011-2012) a été un événement de pleine conscience mathématique comme le fut « Terre natale » pour la conscience humaine. Ce fut le temps des chimères, des Centaures – corps mathématique et tête artistique – de la double hybridation de David Lynch avec Misha Gromov et Pierre-Yves Oudeyer engendrant une bibliothèque scientifique et une tribu de robots à curiosité enfantine.

Mountain with Eye, 2009. Lithographie sur papier japonais. Collection Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris. David Lynch

Que reste-t-il de ces beaux jours ? Un film ethnologique de Raymond Depardon et Claudine Nougaret (Au bonheur des maths), la main de Cédric Villani prise au vol par Jean‑Michel Alberola dans sa volute d’équations et un livre de science universel enluminé de commentaires du mathématicien Misha Gromov, prix Abel : Introduction aux mystères (éditions Acte Sud). Les institutions artistiques sont un bonheur pour la science rêveuse.

« Lorsqu’il fait grand jour, les mathématiciens vérifient leurs équations et leurs preuves, retournant chaque pierre dans leur quête de rigueur ; mais quand vient la nuit, flottant parmi les étoiles et s’émerveillant au miracle des cieux, c’est là qu’ils sont inspirés. Il n’y a sans rêve ni art, ni mathématique ni vie. » (Sir Michael Atiyah)

Bernie Krause a, depuis plus de quarante ans, collecté des milliers d’heures d’enregistrements sonores d’habitats naturels sauvages, terrestres et marins. Ses recherches biophoniques offrent une plongée dans la dentelle complexe du monde sauvage. Il nous implore d’écouter ces langues du monde vivant non-humain avant qu’un silence définitif ne s’abatte sur elles.

Sur la terrasse du musée Power Station of Art de Shangaï, 13, 8 milliards d’années après BB (big-bang) parmi tous les drapeaux du monde artistique offerts au vent à l’insistance de Christian Boltanski, flotte une galaxie stylisée, qui par sa présence est censée racheter l’amnésie cosmique de l’humanité.

Drapeau galactique. La spirale barrée est la galaxie, le point, le Soleil. Nous ne sommes même pas au centre de notre système d’étoiles. Fondation Cartier

Cai Guo-Qiang depuis son plus jeune âge explore les potentialités dessinatrices de la poudre à canon et ses performances pyrotechniques ne cessent d’éblouir. La création d’une immense fresque en brûlures (White Tone) est une réminiscence de l’art pariétal préhistorique. Il a inventé la poudre (aux yeux) comme mine de crayon.

Créé en 2008 dans le cadre de l’exposition « Terre natale », sous l’égide du philosophe et urbaniste Paul Virilio, économe politique de la vitesse, EXIT, œuvre déferlante de Diller Scofidio+Renfro, fresque mouvante de l’humanité, océan humain avec ses courants et ses marées, est un enchaînement de cartes dynamiques nourries de données archivées qui se déroule autour de nous. Au beau milieu de cette houle, nous avons le sentiment océanique d’être embarqué dans la destinée humaine à l’exacte dimension, ni myope ni presbyte.

L’univers gémit de se voir séparé en individus. L’art a été inventé pour le consoler. Et ses temples sont toujours pleins : Power Station of Art à Shanghaï et Fondation Cartier pour l’art contemporain, sous l’égide de Gong Yan, avec Hervé Chandès, Fei Dawei et Grazia Quaroni, la trinité curatrice et créatrice de l’exposition.

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