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La future administration Biden face au dossier nucléaire iranien

Joe Biden et Barack Obama
Le 14 juillet 2015, jour de la signature du JCPoA, le vice-président se tient au côté de Barack Obama quand celui-ci présente les détails de cet accord sur le nucléaire iranien lors d'une conférence de presse à la Maison Blanche. Andrew Harnik/Pool/ AFP

Quatre années d’obsession anti-iranienne s’achèvent avec l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche. De fait, Donald Trump et son équipe, quasi totalement alignés sur le Likoud israélien, n’ont eu de cesse de diaboliser l’Iran, répudiant l’accord sur le nucléaire iranien et compromettant toute chance d’une issue pacifique dans les différends opposant Washington à Téhéran. L’arrivée de Joe Biden laisse espérer un certain apaisement. Mais il n’est pas certain que la dynamique enclenchée sous l’ère Obama puisse être relancée comme si la disruption trumpienne n’avait pas eu lieu.

D’ennemis jurés à partenaires potentiels

La Révolution islamique en Iran et la prise d’otages à l’ambassade américaine qui s’ensuivit (1979) marquent le début d’une longue inimitié entre Téhéran et Washington que les transformations post-guerre froide n’affectent pas. En 2002, les révélations d’un dissident iranien concernant le programme nucléaire de Téhéran suscitent de nouveaux bras de fer. Le discours particulièrement agressif du président iranien Ahmadinejad aux Nations unies en 2011, puis l’embargo sur le pétrole décidé par les États-Unis et l’Union européenne en 2012 marquent le paroxysme des tensions.

L’élection du candidat modéré Hassan Rohani, couplée à la volonté de Barack Obama de tenter la voie diplomatique, permet de briser le cercle de la surenchère. Amorcée à Genève en septembre 2013, la reprise des négociations sur le nucléaire marque une inflexion importante. Pour la première fois en trente-cinq ans, un dialogue de haut niveau s’engage, puis se concrétise à Vienne en juillet 2015 avec le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPoA).

Outre les limitations et garanties consensuellement adoptées concernant les activités nucléaires iraniennes, cet accord marque un début de renversement des perceptions mutuelles. Au départ ennemis, les deux pays commencent à collaborer, et la levée des sanctions promet d’accroître les échanges financiers, commerciaux, diplomatiques, etc. De nouveaux leviers devaient alors apparaître, permettant aux deux États d’avancer vers une résolution graduelle de leurs différends. C’est tout ce potentiel que Donald Trump a renversé d’un revers de la main.

Trump, en arrière toute !

Bien qu’il ait multiplié les diatribes à l’égard de Téhéran, le président Trump ne prend de mesures négatives envers l’Iran qu’après le limogeage de son premier secrétaire d’État, Rex Tillerson. L’arrivée de John Bolton comme conseiller à la sécurité nationale et de Mike Pompeo au Département d’État, connus pour leur opposition au JCPoA et leur proximité avec les politiques régionales du gouvernement israélien de Benyamin Netanyahou, change la donne. L’Administration Trump répudie le JCPoA dès mai 2018 et adopte unilatéralement les sanctions les plus dures jamais établies contre Téhéran.

En parallèle, une véritable politique de diabolisation de Téhéran est mise en place. « Principal État sponsor du terrorisme », « agresseur » ou encore « propagateur de chaos, de violence et de bains de sang » sont autant de termes par lesquels Washington a routinièrement qualifié Téhéran, reconstruisant par là une opposition irrémédiable entre les deux pays et préparant le terrain à des actions extrêmes.

La plus marquante est l’assassinat du général iranien Ghassem Soleimani, le 3 janvier 2020. La liquidation de l’un des plus hauts dignitaires de la République islamique représentait ce qu’il y a de plus proche d’un acte de guerre. Sa disparition, si elle a provisoirement affaibli le tissu des acteurs iraniens et de leurs alliés au Moyen-Orient, a surtout contribué à relancer les logiques de confrontation.

Ce faisant, l’Administration Trump a torpillé le potentiel de coopération et d’apprivoisement qu’avaient suscité Rohani et Obama en signant le JCPoA, sans se soucier des conséquences. Celles-ci sont pourtant considérables et pourraient compliquer l’action de la future administration.

La future Administration Biden : quelles attentes ?

Dans ce contexte, l’échec de Trump à se faire réélire est une excellente nouvelle pour nombre d’Iraniens, mais aussi pour les partisans américains d’une politique réaliste et mesurée à l’égard de Téhéran, conscients que la question du nucléaire iranien ne peut avoir de solution que négociée. Dès lors, l’espoir est que le futur président réengage son pays dans le JCPoA, comme il l’a promis durant sa campagne.

Certes, on n’imagine guère un changement de paradigme total puisque, pour Biden également, l’Iran demeure perçu comme une menace. L’attente porte sur un retour à une politique misant sur le potentiel du cercle vertueux induit par le JCPoA en réintégrant ce dernier et en abandonnant la rhétorique incendiaire à l’égard de Téhéran afin de brider le risque nucléaire iranien et, à terme, intégrer le pays dans un jeu régional moins conflictuel.

Pour autant, il n’est pas sûr que les choses puissent reprendre au stade où elles étaient au moment où l’administration Trump a choisi de couler l’accord.

De multiples complications possibles

La signature, en 2015, de l’accord sur le nucléaire iranien résultait d’une rare occurrence : celle de présidents modérés ici et là, ayant pris conscience que leurs différends ne pouvaient être résorbés que par la négociation. Cette rare fenêtre d’opportunité s’est sans doute réduite, pour plusieurs raisons.

Côté iranien, la rhétorique et l’action de l’administration Trump ont contribué à fragiliser les modérés, en tête desquels le président Rohani et son ministre des Affaires étrangères, Javad Zarif. Aux yeux de leurs rivaux internes, la légèreté avec laquelle Washington a jeté l’accord aux orties, les sanctions unilatérales, l’assassinat de Soleimani, la diabolisation de l’Iran sont autant de preuves que l’administration Rohani a eu tort de négocier et de faire confiance aux États-Unis.

Confrontée, de plus, à une contestation populaire née de la dégradation des conditions socio-économiques, la frange dure du régime a verrouillé plus étroitement le jeu politique. D’innombrables candidats réformistes ou modérés aux élections législatives de 2020 ont été disqualifiés et l’abstention a battu un record depuis la création de la République islamique. En a résulté un Majlis massivement dominé par les conservateurs et chapeauté par Mohammad Ghalibaf, conservateur pressenti comme candidat à la future élection présidentielle, prévue mi-juin 2021. Autrement dit, Biden et Rohani (qui ne pourra plus se représenter, ayant déjà effectué deux mandats) n’auront, pour « renouer », qu’un petit trimestre.

Côté américain, la présidence de Trump laisse tellement de dossiers brûlants, tant en interne qu’à l’international, que l’équipe de Biden pourrait ne pas donner la priorité à une reprise des négociations avec l’Iran. Par ailleurs, le futur président devra braver un gouvernement israélien très radical sur la question iranienne alors même que Biden est un fervent soutien de l’État israélien. Renforcé dans ses politiques régionales maximalistes par l’administration Trump, l’actuel gouvernement Nétanyahou pourrait enfermer Biden dans une alternative intenable, en menaçant de recourir à la force armée contre l’Iran si les États-Unis revenaient au JCPoA. Cette difficulté pourrait, en plus, être augmentée par le renforcement de la polarisation régionale dont dénote la signature récente d’accords de paix entre Israël et plusieurs pays du Golfe, supposément fédérés par cette commune menace que serait l’Iran.

À ces enjeux liés aux rapports de force au sein des échiquiers politiques iranien et américain, il en est d’autres directement liés au JCPoA. Tout d’abord, face à la politique coercitive adoptée par Trump et à l’incapacité des autres signataires de l’accord de le sauver, les dirigeants iraniens ont fini par relancer certaines activités liées au programme nucléaire. Même si les responsables iraniens n’ont eu de cesse de répéter que ces mesures étaient réversibles, il n’en reste pas moins qu’elles créent une réalité nouvelle qui pourrait inciter Téhéran à pousser son avantage dans les négociations et, inversement, les États-Unis à vouloir remettre sur la table des acquis antérieurs. S’y ajoute la perte de confiance que les Iraniens peuvent opposer non seulement aux États-Unis du fait du non-respect par l’administration Trump de ses engagements, mais aussi aux autres signataires de l’accord. La combinaison de ces éléments pourrait donc bloquer la simple réactivation de ce dernier.

Biden saura-t-il rompre pleinement avec l’héritage de Trump ?

Les défis qui attendent la future administration américaine dans le cadre du dossier iranien sont complexes. Nombre de ces défis résultent des politiques disruptives de l’équipe sortante et dont les conséquences mettront sans doute plusieurs années avant de se révéler pleinement. Il est à espérer, pour une stabilisation du Moyen-Orient, que le nouveau locataire de la Maison Blanche puisse relever ces défis et s’avère capable de réorienter la diplomatie de son pays, privilégiant une diplomatie de long terme qui amène le régime iranien, au-delà de ses basculements entre réformistes et conservateurs, à réintégrer le jeu politique régional sur un autre mode que celui de la nuisance auquel le condamne sa diabolisation.

À ce stade, il est difficile d’apprécier si Biden aura la stature et la sagesse suffisantes pour ce faire, et si la faible ouverture de la fenêtre d’opportunité sera assez large pour s’y prêter…

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