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La gauche française vit-elle son tournant américain ?

Anne Hidalgo, maire de Paris et candidate à l'élection présidentielle 2022 en meeting à Perpignan espère une candidature unique à gauche. Lionel Bonaventure/AFP

Appréhendée au jour le jour, la difficulté des partis qui forment la gauche française à désigner un candidat unique est peu compréhensible. Le choix du grand angle et, plus particulièrement, la comparaison de modalités des élections française et américaine permettent de montrer que les obstacles rencontrés par Anne Hidalgo tiennent au moins autant à une crise du parti socialiste en tant qu’organisation qu’au peu d’audience d’un projet de gouvernement dont la facture est, cette fois, très classique. Et la candidature de Christiane Taubira ne permet pas de clarifier les choses.

Tout cela confirme une hypothèse qui pouvait déjà être posée au lendemain de l’échec de Benoît Hamon en 2017. La rénovation du programme par l’introduction de la revendication du revenu universel n’avait pas suffi, ni pour imposer Hamon comme le candidat unique de la gauche ni pour lui assurer un score très supérieur à celui promis en 2021 par les sondages à la maire de Paris, soit de l’ordre de 6 %.

Les candidats progressistes qui, sortis des rangs de gouvernements socialistes, ont réussi à obtenir la confiance d’une part importante de l’électorat traditionnel du PS, sont Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon.

Si les contenus de leurs programmes respectifs les distinguent, ils partagent le fait d’avoir renoncé à s’appuyer sur une construction traditionnelle de fédérations et de sections à laquelle ils ont préféré la fluidité et l’agilité de mouvements recourant au porte à porte, à des formes de mobilisation spontanée, à la participation locale comme aux derniers produits de la technologie électorale.

Une évolution des organisations progressistes françaises

Une telle évolution dans le business model des organisations progressistes françaises n’est pas sans rappeler la modernisation des campagnes américaines impulsées sous la présidence du Parti démocrate par Howard Dean avant l’élection de Barack Obama.

Les instituts de sondages n’envisagent pas une victoire de la France insoumise, créditée de 8 à 10 % des intentions de vote en novembre 2021. Par contre, si le président de la République française conserve en 2022 la confiance d’un nombre suffisants d’électeurs socialistes, le paysage politique national pourrait ressembler un peu plus à celui des États-Unis.

Il serait alors probablement dominé par l’opposition entre une force progressiste libérale qui succéderait, conformément à l’un des scénarios décrits par Bruno Jeanbart, au PS, et un parti républicain éprouvant des difficultés à convaincre les franges les plus radicales de la droite. La pièce n’est toutefois pas jouée comme en témoigne l’impact de la candidature de Valérie Pécresse sur la répartition des rôles.

La personnalisation du pouvoir

La France et les USA sont, à l’évidence, des pays dont la culture est différente. Cependant, saisir leurs convergences importe pour comprendre les contraintes de leur fonctionnement politique et l’état de la conjoncture.

La fondation de ces deux nations sur un moment révolutionnaire au XVIIIe siècle ne résume en effet pas leurs similitudes. Parmi celles-ci, l’institution d’une présidence de la république, caractérisée par une élection au suffrage universel, a une influence déterminante sur l’organisation des partis politiques bien que ceux-ci n’existent pas pour cette seule élection et interviennent aussi dans le cadre de structures parlementaires nationales et régionales. La fonction présidentielle était secondaire sous la IVe république comme pour nombre de constituants américains au lendemain de la révolution.

Son renforcement a induit une personnalisation du pouvoir en même temps qu’une bipolarisation du champ partisan que les organisations doivent maîtriser pour réaliser le score électoral requis. C’est cette capacité qui est aujourd’hui mise à l’épreuve en France. Aux USA, les partis démocrate et républicain connaissent d’importantes divisions, mais celles-ci ne remettent pas en cause leur existence.

En France, la disparition de Charles de Gaulle, qui fut à même de rassembler une majorité par delà les frontières de la gauche et de la droite, a favorisé dans les années 1970 l’imitation du modèle américain d’organisation et la construction, en vue de la course à la présidence, de deux alliances à vocation majoritaire, dominées par une figure charismatique.

L’avènement des partis présidentiels

L’établissement, en 1972, d’un « programme commun » à trois formations ainsi que l’évolution de la composition sociologique du salariat au détriment du mouvement ouvrier communiste permirent l’élection de François Mitterrand en 1981. Elle assura l’installation – au moins jusqu’en 2002, sinon 2012 – du PS dans le rôle de « parti présidentiel » de gauche. Parallèlement, l’affirmation du mouvement néogaulliste dominé par la figure de Jacques Chirac sur l’UDF, inspirée par la démocratie-chrétienne de Valery Giscard d’Estaing, fédéra un nombre suffisant d’électeurs de droite pour constituer un autre grand parti présidentiel.

Ce dernier se montra capable de surmonter les défaites de 1981 et 1988 avant de remporter une succession de victoires entre 1995 et 2012. Il se maintient aujourd’hui sous le nom des « Républicains » à l’intérieur d’une compétition qui l’oppose au « Rassemblement national » de Marine Le Pen, voire à l’initiative d’Eric Zemmour.

Contrairement au cas américain, l’existence de deux formations capables de rassembler, chacune sur son nom, un peu plus ou un peu moins de la moitié des électeurs n’a pas été accompagnée en France par la disparition d’organisations concurrentes. Aux USA, rare est la posture du « troisième homme ». Récemment adoptée par Donald Trump, elle a abouti à l’adoubement par le parti républicain du célèbre homme d’affaires.

Des usages électoraux bouleversés

La différence entre la France et les États-Unis trouve différentes explications qui se complètent. La question financière constitue un premier élément : une élection à l’échelle d’un continent suppose des ressources importantes et par conséquent la concentration de celles-ci au service d’un petit nombre de participants à la compétition.

Les usages institutionnels en sont un autre. La tradition américaine d’une « primaire » à laquelle les candidats acceptent de se soumettre contribue à la limitation du nombre des formations en lice à l’élection présidentielle proprement dite en même temps qu’elle assure l’expression comme la mesure des divergences. Elle est également une occasion de tester le talent de personnalités qui peuvent déjà présenter une expérience en tant que gouverneurs, de chefs d’État.

En France, la difficulté de l’enracinement des « primaires » dans les usages électoraux et le pluralisme historique de la gauche ne suffisent pas à expliquer le nombre des candidatures.

La garantie d’un remboursement par l’État des frais de campagne dès qu’un score minimum relativement faible est atteint contribue à l’explication. Il en sera sans doute ainsi tant qu’un mode de financement, inspiré des propositions de l’économiste Julia Cagé, ne réservera pas aux contribuables la responsabilité de la répartition des moyens financiers entre les candidats en amont de l’élection.

Mais plus fondamentalement, le nombre actuel des candidatures françaises communément cataloguées comme de gauche résulte d’une incapacité de « petites et moyennes entreprises » politiques qui, bien que partageant une sensibilité sociale et écologique, à s’agréger et à s’adresser d’une seule voix et de façon intelligible aux citoyens. Cette faiblesse de l’esprit d’entreprise de la gauche rompt avec un passé qui vit la construction, au XIXe siècle, par une « social-démocratie » unitaire d’organisations internationales mettant en réseau les partis ouvriers.

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