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La génération « Windrush » : un dommage collatéral de la politique britannique de dissuasion migratoire

Des gilets de sauvetage pour rappeler les naufragés en Méditerranée et protester contre la politique migratoire restrictive de Londres. Howard Lake/Flickr, CC BY-SA

60 000 personnes de la génération « Windrush », du nom de ce bateau qui a accosté à Tilbury en 1948 menacées d’expulsion… Venus participer à l’effort de reconstruction de l’après-guerre, ces citoyens britanniques en provenance des Caraïbes anglaises doivent aujourd’hui apporter la preuve de leur citoyenneté ou de résidence sous peine d’être expulsés.

Le Home Office, ministère de l’intérieur britannique, ne s’est pas encombré, à l’époque, de leur donner des papiers prouvant leur nationalité. En l’absence de ce type de documents aujourd’hui, leurs comptes en banque ont été bloqués, leur accès aux soins médicaux interdit et ils se sont vus menacés d’expulsion depuis 2014 et l’introduction de la nouvelle loi sur l’immigration (Immigration Act 2014). La carte d’identité n’existant pas au Royaume-Uni, ces personnes, souvent d’origine modeste, n’ont jamais fait de demande de passeport pour voyager à l’étranger.

Environnement hostile et délation

Mais au-delà de cette situation ubuesque pour des personnes ayant contribué à l’essor économique de la Grande-Bretagne, la Génération Windrush est en réalité un dommage collatéral d’une politique qu’on peut appeler de « dissuasion migratoire ». Alors même que Theresa May était ministre de l’Intérieur de 2010 à 2016, elle a mis en place une politique d’« environnement hostile » visant à casser l’image auprès des immigrés et réfugiés d’un Royaume-Uni perçu comme une terre d’immigration.

Tous les segments de la société anglaise ont été mobilisés pour dénoncer à l’État les immigrés irréguliers sur le territoire. Les hôpitaux, les écoles, les universités, les municipalités et employeurs sont fortement incités à faire de la délation. Par exemple, les universités doivent apporter le preuve que les personnes qu’elles rémunèrent ont le droit de travailler légalement au Royaume-Uni. Le gouvernement a également affiché l’objectif de diminuer par deux les visas délivrés aux étudiants étrangers.

Objectif 100 000

Forcée de démissionner après avoir affirmé, à tort, devant une commission parlementaire, que son ministère n’avait pas d’objectifs chiffrés d’expulsion, la ministre de l’Intérieur Amber Rudd n’est donc qu’un bouc-émissaire pour Theresa May.

Depuis le référendum du Brexit, son gouvernement a accéléré cette politique d’environnement hostile. L’objectif affiché par May a toujours été de réduire l’immigration annuelle nette à 100 000 individus par an : en septembre 2017, ce chiffre était de 244 000]. La politique d’asile britannique est également parmi les moins généreuses d’Europe avec seulement 14,767 demandes d’asile acceptées en 2018 par le Home Office, contre 32 011 en France.

La contribution économique des migrants

Les partisans d’une sortie de l’Union européenne ont surfé sur une vague eurosceptique associée à l’idée d’un trop plein d’immigrés. En quittant l’UE, ont-ils promis, le Royaume-Uni retrouverait enfin sa souveraineté sur les questions migratoires. Ceci est faux pour plusieurs raisons.

Le premier ministre britannique, Theresa May (en septembre 2017). Annika Haas/Wikimedia, CC BY

Tout d’abord, le Royaume-Uni a bénéficié d’une position privilégiée au sein de l’UE qui lui a permis, de décider souverainement quelle législation européenne il souhaitait mettre en œuvre. Ce sont les fameux mécanismes d’opt-outs décidés lors du traité d’Amsterdam et de Lisbonne. Ainsi, bien qu’ayant pris part à certaines mesures européennes en matière d’immigration irrégulière et d’asile, le Royaume-Uni est bien resté maître de sa politique d’immigration légale et du contrôle de ses frontières.

Ensuite, lors de l’élargissement de 2004, le Royaume-Uni a décidé de son plein gré d’ouvrir les portes de son marché du travail aux nouveaux citoyens européens de l’Est. Contrairement à la France et l’Allemagne qui ont mis en place une période transitoire de sept ans avant que les Européens de l’Est ne puisse venir travailler chez eux, le Royaume-Uni, tout comme la Suède et l’Irlande, les a accueillis.

Ayant besoin de main d’œuvre, ces immigrés européens ont participé au boom de l’économie britannique. Selon une étude de l’université britannique UCL, les immigrants européens arrivés au Royaume-Uni entre 2000 et 2011 ont contribué à hauteur de 20 milliards de livres sterling (22,75 milliards d’euros) aux finances britanniques.

« Little Britain » a besoin d’immigrés

Dans le contexte du Brexit, où le gouvernement promet à ses citoyens que le Royaume-Uni redeviendra une puissance globale, l’immigration est plus que nécessaire et la politique d’environnement hostile est contre-productive.

L’économie britannique a besoin d’immigration, en particulier dans le secteur de la santé. Or la délivrance de 400 visas pour du personnel médical en provenance notamment de pays situés hors de l’Espace économique européen est actuellement bloquée par le Home Office, pénalisant d’autant le National Health Service dans ses missions de soin.

Par ailleurs, de nombreux Européens boudent le Royaume-Uni du fait de l’incertitude qui règne à propos de leur futur statut après le Brexit. La politique de dissuasion migratoire mise en œuvre par Theresa May, mise en lumière par l’affaire Windrush, ne va guère les rassurer. Au lieu d’œuvrer en faveur du projet de « Global Britain », qui projetterait le Royaume-Uni au sein d’un monde globalisé, les conservateurs britanniques semblent davantage travailler à la mise en place d’une « Little Britain » par le biais d’une politique migratoire étriquée et, à bien des égards, surréaliste.

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