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La langue des signes à l’école : 50 ans de luttes et de progrès

La langue des signes répond à toutes les fonctions langagières. Shutterstock

Depuis 2005, la loi sur l’accessibilité autorise les parents à choisir la langue de scolarisation de leur enfant sourd. Ces derniers peuvent en théorie demander à ce que leur enfant suive un cursus bilingue en langue des signes française (LSF)–français. Cependant, les structures proposant ce type d’enseignement restent rares ce qui peut compliquer considérablement les démarches de rentrée des familles.

La reconnaissance de la langue des signes française comme langue d’enseignement et d’apprentissage est le fruit d’un long processus qui a émergé dans les années 1970. Retour sur 50 ans de luttes et de progrès.

L’hégémonie de la parole

Jusqu’aux années 1970, les sourds subissaient la proscription de la langue des signes dans les institutions spécialisées, l’oralisation par la rééducation étant priorisée dans les écoles.

Ce statut d’élève handicapé, parce qu’avant tout atteint de surdité, et par conséquent perçu comme « non-entendant », est lié à l’histoire répressive des signes utilisés par les sourds en particulier, à la suite du Congrès de Milan en 1880. Ce congrès est l’apogée du combat entre manualistes et oralistes : les manualistes défendent l’utilisation des signes dans la classe, aussi bien pour apprendre que pour enseigner tandis que les oralistes ne reconnaissent pas de légitimité aux signes comme éléments linguistiques et prônent la parole vocale comme seul élément vecteur de langage et de la pensée.

Cette hégémonie de la parole a perduré jusque dans les années 1970. L’enfant sourd était un enfant à rééduquer, défini par différents manques (auditif, langagier, intellect, affectif). La proscription des gestes allait jusqu’à attacher les mains des enfants pour ne pas entraver le travail de rééducation vocale.

À partir des années 1970, le sociologue français Bernard Mottez et le sociolinguiste états-unien Harry Markowicz vont œuvrer à rendre visible la communauté sourde et, surtout, à faire prendre conscience aux sourds qu’ils forment une communauté linguistique.

À travers des rencontres à l’international et en France, des ateliers, la création d’associations, les sourds réalisent qu’ils sont locuteurs d’une langue dont la modalité est visuo-gestuelle. Cette langue qui n’avait pas de nom est enfin désignée « langue des signes française », lui conférant une identité linguistique propre.

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Pour Bernard Mottez, il s’agit avant tout que les sourds réinvestissent leur langue dont ils avaient été dépossédés au profit du handicap. Jusque dans les années 1980, quand il s’agissait de désigner la parole des sourds, on parlait de « langue mimique », « langage gestuel », « langage des sourds-muets », « muet », « sourds-parlants » (pour désigner les sourds démutisés). Ces différentes terminologiques dénotent un rapport soustractif par rapport à la langue orale.

« Le Réveil Sourd »

Dans les années 1970 et 1980, sourds et entendants, parents, professionnels vont s’unir pour revendiquer la langue des signes auprès des pouvoirs publics. Toutes ces actions s’inscrivent dans le mouvement « Le Réveil Sourd » qui donna à voir la langue des signes mais surtout ses locuteurs.

Parmi les nombreuses revendications, deux sont les fils conducteurs de la loi actuelle : la reconnaissance du statut de langue de la LSF et le droit à l’éducation bilingue (LSF et français écrit). En 1984, à l’encontre des autorités politiques, la première classe bilingue « sauvage » ouvre à Poitiers. Ce type de classe s’étendra dans plusieurs villes et obtiendra progressivement un statut officiel.

La langue des signes, un pont entre deux cultures.

La première loi mentionnant timidement la LSF comme option possible en classe est la loi dite Fabius du 18 janvier 1991 : « dans l’éducation des jeunes sourds, la liberté de choix entre une communication bilingue – langue des signes et français – et une communication orale est de droit ».

Toutefois, cette loi ne sera pas suivie de décrets d’application et la présence de la LSF comme langue de scolarisation continuera à balbutier jusqu’en 2005 avec loi du 11 février qui donnera finalement un premier statut à la LSF au sein de l’école : « dans l’éducation et le parcours scolaire des jeunes sourds, la liberté de choix entre une communication bilingue, langue des signes et langue française, et une communication en langue française est de droit ».

Le choix de la scolarisation

Les parents ont dorénavant le choix de parcours de scolarisation, avec la possibilité que la LSF soit langue principale sans exclure l’oralisation qui peut être proposée en dehors de l’école, et sans contrainte d’évaluation.

Depuis cette loi, plusieurs circulaires ont été rédigées afin d’améliorer sans cesse la scolarisation des enfants sourds. Par exemple, la circulaire dite PEJS de 2017 (Pôle d’enseignement pour les jeunes sourds, PEJS), en lien avec la Haute Autorité de Santé affine les programmes scolaires en fonction du choix des parcours scolaires.

Toutefois, ces textes ne reflètent pas la réalité ni le combat des parents pour que leur enfant ait accès à la langue des signes. Pour ceux dont le choix se porte sur cette langue, le parcours est long, compliqué et parfois incompris.

Alors que leur sont données toutes les informations sur les différents types d’appareillage et implants cochléaires (des appareils électroniques qui permettent aux personnes atteintes de surdité grave d’avoir un meilleur accès aux sons), ils n’en ont aucune concernant la LSF, sa structure grammaticale, comment l’apprendre, ce que représente la communauté sourde ni ses actions envers les droits des Sourds.

Ces parents doivent alors chercher par eux-mêmes des contacts d’associations qui pourraient les accompagner dans l’apprentissage de cette nouvelle langue, dans la découverte de ce nouveau monde.

Tout ce cheminement se fait en parallèle de l’acceptation de la surdité. L’annonce de cette dernière, pour des parents entendants, est souvent brutale et entraîne un questionnement viscéral : comment vais-je communiquer avec mon enfant ?

Selon le degré de surdité (sévère, moyen, profond), l’âge auquel la personne devient sourde (à la naissance, après deux ans), s’il s’agit d’une surdité de transmission ou de perception, acquise ou progressive, l’accompagnement diffère.

Appareillage et rééducation

La rééducation et les propositions d’appareillage sont les premiers éléments proposés, voire imposés, aux parents, l’idée étant que l’enfant sourd se rapproche le plus possible de l’enfant entendant. Il s’agit pour l’avis médical de « la réponse la plus logique à la surdité ».

Cette promotion des appareillages auprès des parents intervient alors qu’ils sont dans la souffrance. Selon la psychothérapeute Elisabeth Zinschitz, « la réaction des parents varie selon des paramètres individuels bien sûr, mais on constate, chez chacun d’entre eux, que c’est tout un univers qui s’écroule. »

La langue des signes est parfois proposée comme une langue d’appui afin d’aller vers le français vocal. Shutterstock

Toutefois, pour les enfants ayant une surdité sévère, profonde, prélinguale (avant l’âge de 2 ans), ce processus de rééducation peut être long et peu efficace. La langue des signes est parfois proposée, par la suite, comme une langue d’appui afin d’aller vers le français vocal, « comme une langue tremplin, c’est-à-dire moins comme une langue à part entière que comme une langue permettant l’accès au français vocal » selon la sociolinguistique Pauline Rannou.

Les parents sont, dès lors, entraînés dans une spirale médicale, rééducative mais sans que la langue des signes ne leur soit présentée comme une autre langue qui lui est accessible (voire même naturelle) et qu’il peut apprendre, comme toute autre langue.

La surdité relève certes d’une déficience, mais être sourd permet aussi d’être locuteur de la langue des signes, langue qui répond à toutes les fonctions langagières. Les parents doivent pouvoir avoir le choix de la langue de l’enfant, dès la surdité dépistée, en toute connaissance de cause sachant que l’appareillage n’est pas incompatible avec la langue des signes et inversement.

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