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La lutte contre le suicide au travail nécessite bien plus que de la prévention

Toutes les catégories socio-professionnelles, dans tout type d’organisation, sont aujourd’hui concernées par le phénomène. Maxpixel.net, CC BY-SA

Selon l’Organisation mondiale pour la santé (OMS), plus de 700 000 personnes se suicident chaque année dans le monde. Surtout, le suicide est la quatrième cause de mortalité chez les jeunes entre 15 à 29 ans, après les accidents de la route, la tuberculose et la violence interpersonnelle.

Malgré son importance, le sujet du suicide lié au contexte professionnel reste tabou, et peu ou point abordé au sein des écoles de commerce et les facultés universitaires qui pourraient davantage (in)former les étudiants (et les enseignants) sur un risque de santé lié au travail qui demeure solidement documenté.

Pourtant, les entreprises, grandes comme petites, restent concernées. La vague de suicides qui a frappé diverses grandes entreprises privées et publiques (Renault, France Télécom, EDF, AP-HP, Police, etc.) à la fin des années 2000 l’a notamment révélé. En outre, aucune catégorie socioprofessionnelle n’est épargnée par le phénomène : ouvriers, employés, cadres, et dirigeants.

Communication perçue comme un risque

Pour mieux lutter contre le suicide dans le milieu professionnel, nous suggérons, sur la base d’un récent travail de recherche (à paraître), de développer la méthodologie de sciences de gestion sur ce sujet à une approche qualitative, plutôt que la vision quantitative qui prévaut. Autrement dit, il s’agit d’engager une réflexion qui cherche à comprendre la totalité et le contexte de l’acte suicidaire. Dans cette optique, la responsabilité de l’entreprise doit notamment inclure les « victimes de suicides » (collègues proches et famille essentiellement).

Une perspective éthique suggère en effet qu’une gestion responsable des ressources humaines (RH) – et un principe d’humanité en sens large – implique un devoir moral de s’occuper également, a minima, des autres parties prenantes qui risquent d’être marquées sur une longue durée par l’évènement tragique du suicide.

Les proches de la personne décédée, autres « victimes » du suicide. Maxpixel.net, CC BY-SA

Avec cette approche, les étudiants et les enseignants-chercheurs pourront développer un dialogue qui promeut une intelligence émotionnelle, qui n’est pas une mesure de prévention, mais un facteur connu de protection face au suicide. Il s’agit donc d’adopter une démarche de « postvention ».

Insister trop ou uniquement sur la prévention peut en effet donner aux « victimes », qui n’auraient pas su reconnaître les signes avant-coureurs du passage à l’acte, une impression de culpabilité. L’entreprise ne devrait donc pas ignorer les personnes qui souffrent à cause d’un suicide d’autrui.

Or, toute communication organisationnelle, dans ce domaine très délicat, reste perçue comme un risque, car toute initiative d’amélioration, même toute communication avec ces victimes qui demandent des explications pourrait s’apparenter à une admission de faute a posteriori. Une chose est certaine : tout ce silence ne devrait pas s’imposer comme routine, car il fait mal aux victimes qui ont besoin de voir plus clair dans le passé pour pouvoir tourner la page.

Droit à l’écoute

En 2019, le brillant professeur et chirurgien Christophe Barrat s’est suicidé, en laissant derrière lui deux fils et une femme. Dans le communiqué de presse de l’hôpital qui l’employait, le suicide fut mis en relation avec les différents problèmes de santé dont il souffrait, plus qu’avec son contexte professionnel.

Cette explication n’a pas satisfait la veuve, qui demande désormais des réponses à ses deux employeurs, les ministères de l’Éducation nationale et de la Santé. Depuis un an, elle attend une réponse des deux ministères, bien qu’une enquête préliminaire pour harcèlement moral a été ouverte entre-temps.

Autre cas : en mai prochain se déroulera le procès en appel des ex-dirigeants de France Télécom, condamnés fin 2019 à un an de prison, dont huit mois avec sursis, après avoir été reconnus coupables de « harcèlement moral institutionnel » à l’origine de la vague de suicides qui a frappé l’opérateur il y a une dizaine d’années. Dans cette affaire emblématique, une gestion par postvention aurait peut-être pu contribuer, sinon à prévenir, au moins à limiter les conséquences des premiers cas sur le climat de l’entreprise.

Il faut insister sur l’effet bien connu de la stigmatisation des familles atteintes par des actes suicidaires. Celle-ci peut notamment trouver son origine dans le manque de communication entre entreprises ou institutions avec les familles d’individus fragiles, et donner ainsi lieu à des plaintes, qui en quelque sorte reprochent de n’avoir mis en place aucune « postvention ».

Ce fut encore le cas récent en octobre dernier après le suicide de la lycéenne de 14 ans en Alsace. Non seulement la famille a porté plainte contre X pour dénoncer les élèves qui auraient harcelé la victime, mais également pour mettre en cause la direction du collège, qui n’aurait pas pris aucun contact avec la famille même après une précédente tentative de suicide quelques mois plus tôt…

Comme ces cas l’illustrent, la « postvention » commence par ne pas ignorer les victimes du suicide, qui demandent une explication sur le climat qui a contribué à pousser leurs chèr·e·s à l’acte définitif du suicide : elles ont au moins droit à l’écoute. C’est nécessaire pour les aider à faire leur deuil.

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