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La mission JUICE part explorer les lunes glacées de Jupiter

image de Jupiter, Io, Ganymède, Europe et Callisto, avec la sonde JUICE
Jupiter possède plus de 80 lunes - les plus grosses, découvertes par Galilée, vont faire l'objet d'études approfondies grâce aux instruments scientifiques de JUICE, mission de l'ESA. ESA, NASA, JPL, ATG, DLR, University of Arizona, University of Leicester, CC BY

Les conditions nécessaires à l’émergence de la vie existent-elles dans le système solaire, en dehors de la Terre ? Voici un des mystères que cherchera à percer la mission spatiale JUICE (pour JUpiter ICy moons Explorer), dont le lancement est prévu le 13 avril 2023 à 12h14 TU par Ariane 5, depuis Kourou.

Pour lancer cette mission vers une planète à plus de 600 millions de kilomètres, l’agence spatiale européenne, l’ESA, a réuni pas moins de treize pays européens, les Américains, Japonais et Israéliens. Autre défi déjà réussi : placer JUICE sur la rampe de lancement onze ans seulement après son adoption, et avec seulement neuf mois de retard malgré la crise sanitaire du Covid. La France a participé au développement de six des dix instruments scientifiques dernier cri de JUICE. La sonde devrait arriver dans le système jovien en 2031.

Le système jovien, destination de rêve pour explorer les frontières de la science

Jupiter est la planète des superlatifs : c’est la plus grosse planète du système solaire, et celle avec le plus de lunes : entre 82 et 95, majoritairement découvertes ces deux dernières décennies. En effet, en 1610, Galilée découvrait au moyen de sa lunette astronomique les quatre premières lunes de Jupiter (Io, Europe, Ganymède et Callisto) et au tout début des années 2000, on n’en connaissait encore que… 13.

Les nuages tourbillonnants à la surface de Jupiter
L’atmosphère tumultueuse de Jupiter. Données : NASA/JPL-Caltech/SwRI/MSSS. Traitement d’image : Kevin M. Gill, CC BY

JUICE est la première mission de « classe L » du programme « Cosmic Vision » de l’ESA (pour large en anglais), désignant un budget supérieur au milliard d’euros. Ce programme s’intéresse à quatre grandes questions :

  1. Quelles sont les conditions de formation d’une planète et d’émergence de la vie ?

  2. Comment le Système solaire fonctionne-t-il ?

  3. Quelles sont les lois fondamentales de la physique de l’univers ?

  4. Comment est apparu l’univers actuel et de quoi est-il fait ?

Si JUICE a été choisie avant d’autres missions, c’est parce qu’on sait déjà qu’elle va permettre d’adresser la première et la dernière de ces questions.

En effet, le télescope spatial Hubble et les missions spatiales précédentes parties vers le système jovien (les sondes Voyager, Galileo, Juno ont déjà découvert par observation directe ou par recoupement un certain nombre d’indices prometteurs.

Des « lunes-océans » qui contiennent plus d’eau que la Terre

La présence d’eau dans les lunes est une découverte majeure faite avec les données de Galileo : cette sonde a atteint Jupiter en 1995 et a mis en évidence la présence d’océans liquides gigantesques sous les croûtes glacées de ses trois lunes glacées Callisto, Europe et Ganymède (Io, elle, est volcanique). On peut parler de « lunes-océans » !

En 2014, le télescope spatial Hubble a découvert des geysers sur Europe. Au pied de ces geysers, il y aurait des sels, notamment des carbonates. De façon surprenante, ces geysers ont pu être identifiés rétrospectivement dans les données de Galileo – elles avaient été prises pour des anomalies à l’époque.


Read more: Panaches d'eau sur une lune de Jupiter : spéculations sur la vie extraterrestre


Ainsi, sur ces lunes, les quatre conditions pour l’habitabilité (c’est-à-dire la capacité à accueillir et développer la vie) pourraient y être réunies :

  1. Les fameux CHNOPS, symboles des éléments chimiques principaux qui constituent les êtres vivants.

  2. De l’eau liquide qui agit comme solvant.

  3. De l’énergie pour permettre le développement de la vie.

  4. Un environnement stable (orbites, rotation, températures moyennes…)

Les lunes galiléennes disposent de l’énergie gravitationnelle de Jupiter qui a figé leurs orbites en résonance autour d’elle, créant des effets de marée importants et permettant de répondre aux conditions 3 et 4 ci-dessus.

Pourquoi Ganymède est l’objectif principal de la mission JUICE

La mission spatiale Galileo a également montré que Ganymède, en plus d’un champ magnétique induit qui laisse présumer un océan liquide salé gigantesque, possède sa propre magnétosphère à l’intérieur de la magnétosphère géante de Jupiter. Le champ magnétique de Ganymède détourne le flux des rayons cosmiques et des particules radiatives provenant des ceintures de radiation de Jupiter et protège sa surface des particules radiatives tout comme le champ magnétique terrestre protège la surface et la vie terrestre.

les aurores boréales de Ganymède
Les ceintures d’aurores boréales sur Ganymède, qui baigne dans le champ magnétique de Jupiter. Lorsque le champ magnétique de Jupiter changent, les aurores se balancent – et ce mouvement de balancement indique qu’une immense quantité d’eau salée serait présente sous la croûte de Ganymède, ce qui affecterait son propre champ magnétique. NASA/ESA

Ganymède est donc unique. Parce qu’elle est la plus grosse lune du système solaire, que c’est une lune-océan et qu’elle possède sa propre magnétosphère, elle sera étudiée beaucoup plus en profondeur par JUICE que Callisto et Europe.

JUICE, sonde de l’extrême

JUICE n’ira pas en ligne droite jusqu’au système jovien. Pour parvenir à faire ce long trajet de pratiquement 8 ans, il faudra quatre « assistances gravitationnelles » successives. Ces assistances, similaires à l’élan donné à un caillou par une fronde, accéléreront la sonde et économiseront ses ergols.

frise chronologique
Le long voyage de JUICE vers le système jovien. ESA, CC BY

Pour la première fois, une de ces assistances gravitationnelles va mobiliser le couple Terre-Lune plutôt qu’un corps unique. Plus précisément, un survol de la Lune va être utilisé pour accroître l’efficacité de l’assistance gravitationnelle avec la Terre qui aura lieu juste après.

De plus, JUICE va évoluer dans l’environnement radiatif le plus intense du système solaire. Il a donc fallu mettre les modules électroniques à l’abri dans des cavités blindées de plomb et utiliser des composants durcis ce qui permet de les rendre résistants aux dégradations qui auraient pu être causées par ce même environnement.

JUICE devra également faire face à des températures extrêmes, allant de +250 °C pendant le survol de Vénus, à -230 °C dans le système jovien. Une isolation thermique multicouche à base d’alliage d’aluminium de silicium a été étudiée et testée pour maintenir une température interne stable. Cette protection est grise – ce qui vaut à la sonde le surnom de « silver beauty ».

Un problème d’énergie

Autour de Jupiter, cinq fois plus éloignée du Soleil que la Terre, le satellite recevra 25 fois moins d’énergie solaire que ce qu’il recevrait autour de la Terre. L’Europe spatiale n’embarque pas de pile radioactive car elle n’est pas en mesure de les produire industriellement contrairement aux USA, à la Russie et à la Chine.

Afin de permettre aux équipements et instruments de fonctionner avec 1 000W (la puissance d’un petit sèche-cheveux), ce sont des panneaux solaires immenses de 85m2, qui ont été testés pour résister à aux radiations et aux grands écarts de température.

photo des panneaux de JUICE
Teste de déploiement des panneaux solaires de JUICE, dont les deux ailes comprennent 5 panneaux de 2,5 fois 3,5 mètres chacun, disposés en croix. Airbus, Fourni par l'auteur

La sonde JUICE, fabriquée par 80 entreprises européennes sous la direction d’ADS Toulouse, a une envergure de 28 mètres (la longueur d’un terrain de basket), possède une antenne de communication de deux mètres cinquante (car Jupiter est à une distance énorme de la Terre, plus de 600 millions de kilomètres), pèse presque 6 tonnes au décollage – la majorité de cette masse est composée d’ergols qui seront consommés pour effectuer les manœuvres de la sonde) et emmène dix instruments (moins de 280 kilogrammes).

Dix instruments scientifiques à bord

Parmi ces dix instruments, MAJIS (Moons and Jupiter Imaging Spectrometer) est le spectromètre-imageur infrarouge de la mission, à responsabilité scientifique française, sous maîtrise d’œuvre de l’Institut d’astrophysique spatiale, avec une contribution importante de l’Italie.

C’est le seul instrument de la sonde qui peut déterminer les compositions physico-chimiques de la surface des lunes survolées et donc trouver ces fameux CHNOPS qui pourraient fournir des indices sur l’habitabilité.

MAJIS a également pour but de caractériser la banquise de glace et l’eau liquide afin de préciser l’hétérogénéité de la glace et la nature des échanges surface-glace-océan, comprendre la formation des structures géologiques afin d’identifier les sites d’atterrissage de futures missions d’exploration in situ, évaluer la structure et la dynamique de l’atmosphère de Jupiter…

D’une précision 10 000 fois supérieure à l’instrument équivalent sur Galileo, MAJIS a également une résolution spatiale intéressante – entre 100 mètres et quelques kilomètres en fonction de l’altitude de la sonde.

Mission JUICE : demandez-lui les lunes ! Source: CNES.

Enfin, il faut savoir que les plans précis de JUICE pourront être revus en fonction des derniers résultats de la mission Juno de la NASA. Celle-ci orbite encore actuellement autour de Jupiter, et survole notamment ses pôles depuis 2016. La mission nominale de Juno a été étendue afin de survoler chacune des lunes galiléennes de Jupiter, à commencer par Ganymède en juin 2021, et Europe en ce début d’année 2023. Ces observations et l’analyse de leurs données vont permettre aux scientifiques de JUICE de mieux cibler les observations qu’ils feront – 12 ans après Juno et trente ans après Galileo.

Vivement que JUICE nous apporte sa moisson de données. Rendez-vous en… 2032 !


Les laboratoires français impliqués dans le développement de JUICE sont l’IAS, le LAB, le LATMOS, l’IPAG, l’IRAP, le LERMA, le LESIA, le LPC2E et le LPP.

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