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La Mongolie, une démocratie fragile mais résiliente

Une femme âgée vote à domicile, à la veille des élections législatives mongoles à Oulan-Bator, le 27 juin 2024. Byambasuren Byamba-Ochir/AFP

Depuis sa transition d’un parti unique vers un système démocratique multipartite entamée il y a plus de trente ans la Mongolie a connu neuf élections législatives. Suite à l’adoption de la Constitution de 1992 le système politique mongol est semi-présidentiel : le premier ministre et le président sont élus séparément tous les quatre ans. Le mandat du président actuel, Ukhnaagiin Khürelsükh, court jusqu’en juin 2027. Dans ce système, le Parlement et le premier ministre cumulent plus de pouvoirs que le président, ce qui rend les élections législatives particulièrement importantes.

Les dernières en date se sont tenues le 28 juin 2024. Il s’agissait des premières élections depuis la réforme de mai 2023 qui a fait passer le Parlement monocaméral, appelé le Grand Khoural, de 76 à 126 sièges. 78 sièges étaient soumis à un scrutin majoritaire et 48 sièges étaient désignés à la proportionnelle. Que disent les résultats de ce scrutin, et la campagne préalable, de l’état de ce pays grand comme trois fois la France et peuplé d’à peine un peu de plus de 3 millions d’habitants, coincé entre deux masses immenses, celles de la Russie et de la Chine ?

Un rôle croissant pour les femmes en politique

Bien qu’il ne soit pas sans défaut, le système actuel a permis des transitions pacifiques de pouvoir, une vraie compétition multipartite et une hausse régulière du taux de représentation des femmes. Celles-ci n’étaient que trois à concourir lors des premières élections démocratiques, en 1992. Aux élections de juin 2024, elles représentaient 39 % de l’ensemble des candidatures. Avec 32 élues, elles composent dorénavant un peu plus du quart du nouveau Parlement (contre 14,4 % en 2012 et 17,1 % en 2020). La progression est réelle. La loi requiert un taux de candidatures féminines d’au moins 30 %. Il est prévu que le taux passe à 40 % en 2028.

Affiches électorales à Oulan-Bator, juin 2024. Cliquer pour zoomer. A. Leveau, Fourni par l'auteur

Dans une société qui reste avant tout patriarcale, notamment dans les zones rurales, la place des femmes en politique n’est pas sans susciter de débat. Ainsi, en 2022 lorsque le gouvernement a nommé pour la première fois une femme, Enkhbat Bolormaa, au poste de gouverneure de province, certains se sont inquiétés qu’elle ne puisse participer à certaines réunions traditionnelles réservées aux hommes. La même année, Bolor Ganbold est devenue la première femme à être élevée au rang de brigadier-général au sein des forces armées du pays.

Si des progrès restent à faire en termes de représentation des femmes dans la sphère politique et, plus généralement, en matière de droit des femmes, la Mongolie fait toutefois mieux que ses deux grands voisins.

En 2023, elle se classait au 80e rang sur 146 dans le Rapport mondial sur l’écart entre les femmes et les hommes publié par le Forum économique mondial. La Chine n’est qu’au 104e rang, tandis que la Russie était au 81e en 2021 (elle n’a pas été incluse dans les rapports 2023 et 2022). À l’exception du Kazakhstan qui se classe au 62e rang, le pays est également mieux classé que ses principaux partenaires régionaux. La Corée du Sud est au 105e rang et le Japon loin derrière, au 125e (à titre de comparaison, la France était au 40e en 2023).

Une corruption qui reste élevée

Depuis son instauration, la démocratie a fait preuve de dynamisme et de résilience. Elle reste toutefois confrontée à de nombreux défis.

La question de la corruption est au cœur des débats. En 2023, le pays se trouvait au 121e rang sur 180 dans l’indice de perception de la corruption publié par Transparency International. Son score a régressé par rapport au milieu des années 2010 et tend à se stabiliser.

Fin 2022, des allégations de corruption dans le commerce du charbon entre la Mongolie et la Chine ont déclenché une vague de protestations publiques et mis la lumière sur les lacunes du système de contrôle dans le secteur minier. Bien que le gouvernement ait pris des mesures pour renforcer ces contrôles, l’application des lois déjà existantes reste insuffisante, notamment en raison d’un manque de coordination entre les différents organismes en charge des enquêtes et des poursuites. Cette situation a contribué à accroître la méfiance de la population à l’égard du monde politique.

Un désintérêt croissant pour la politique

Cette méfiance se répercute sur le taux de participation aux élections qui, tout en restant élevé pour des observateurs français, baisse à chaque scrutin. Aux législatives de juin 2024, il a encore baissé de 3,35 % par rapport aux élections de 2020, pour tomber à 69,4 % (contre environ 96 % en 1992).

Outre une défiance grandissante à l’égard des politiques, ce recul régulier s’explique aussi par l’instabilité patente du système électoral, qui peut donner l’impression d’une certaine manipulation des résultats par la classe politique dominante. Il est vrai que le système de vote en bloc pratiqué les années précédentes a clairement été favorable aux grands partis et a laissé peu de place aux autres formations politiques. Cette année, avec seulement 17 jours, la campagne électorale a une fois encore favorisé les partis déjà bien établis.

La question du coût trop élevé de la vie et de l’accaparement par une élite fortunée de l’essentiel des bénéfices liés à l’essor du secteur minier ont également été des sujets de préoccupation. Après une période de forte réduction de la pauvreté au début des années 2010, la situation tend à stagner depuis plusieurs années. Ainsi, selon la Banque asiatique de développement (BAD) plus de 27 % des Mongols vivaient encore sous le seuil de pauvreté en 2022.

A la recherche d’un nouveau souffle

Alors que l’Asie vieillit rapidement, une fois encore la Mongolie fait exception : 59 % de la population est âgée de moins 30 ans et 27 % de moins de 14 ans.

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Le cadre est idéal pour mettre en place un renouvellement progressif de la classe politique. 1 346 candidats représentant 22 partis ont pris part aux élections législatives de juin 2024, offrant une forte diversité de programmes et de propositions.

Si avec 35,01 % des voix et 68 sièges sur 126, le Parti du peuple mongol (MAN pour Mongol Ardin Nam) du premier ministre Luvsannamsrain Oyun-Erdene a réussi à préserver sa majorité au Parlement, mais cette dernière est fortement réduite par rapport aux précédentes élections de 2020. Cette année-là, le parti avait obtenu 44,93 % des voix et 62 des 76 sièges, bénéficiant ainsi d’une confortable majorité qualifié. Le MAN est le descendant de l’ancien Parti révolutionnaire du peuple mongol. Fondé en 1921 et au pouvoir pendant près de sept décennies le parti était alors rangé sous le signe du marxisme-léninisme. Aujourd’hui, il se classerait plutôt au centre gauche.

Avec 30,14 % des voix, la principale formation d’opposition, le Parti démocrate, a obtenu 42 sièges, tandis que le parti anticorruption de centre-droit, HUN, avec 10,38 % des voix a réussi à obtenir huit sièges. Le parti Coalition nationale et le parti vert Volonté civile ont chacun obtenu quatre sièges. Les 18 autres partis en liste n’en ont obtenu aucun.

Une action dans la durée

En l’absence de majorité qualifiée, le premier ministre Oyun-Erdene Luvsannamsrain a appelé les deux principaux partis d’opposition à participer à un gouvernement de coalition. Après négociations, ces derniers ont accepté de rejoindre la coalition, arguant que la situation internationale tendue et que les tensions géopolitiques devaient faire passer la question de l’unité nationale au premier plan.

Dans le protocole d’accord signé avec le premier ministre pour former cette nouvelle coalition, le Parti démocrate et le HUN ont accepté de soutenir le programme de développement « Vision 2050 ». Il s’agit d’un ambitieux programme de développement fixant neuf objectifs fondamentaux (développement humain, bonne gouvernance, société pacifique et sûre, croissance verte, valeurs partagées, qualité de vie et renforcement de la classe moyenne, développement régional et villes centrées sur les personnes) et 50 objectifs spécifiques à atteindre en trois phases (2020-2030, 2031-2040, 2041-2050). Il a été initié pendant la crise du Covid-19 par le précédent gouvernement et approuvé par le Parlement en mai 2020.

Son acceptation par l’ensemble des membres de la coalition permettra au nouveau gouvernement d’inscrire son action dans la continuité du précédent. Sur les 22 ministres composant le nouveau cabinet, douze sont issus du MAN, huit du Parti démocrate et deux du HUN. Certains ministres du précédent gouvernement sont restés en place, comme Batmunkh Battsetseg aux Affaires étrangères et Bold Javkhlan aux Finances.

Cette volonté de continuité s’appuie sur les bons résultats économiques enregistrés par le gouvernement précédent. Selon la BAD, la croissance devrait atteindre +4,1 % en 2024 et +6 % en 2025. Elle était de 7 % en 2023 et de 4,85 % en 2022. Elle s’était toutefois fortement contractée pendant la période Covid (-4,56 % en 2020) avant de repartir doucement en 2021 (+1,64 %).

La hausse régulière des exportations minières, plus particulièrement de charbon (58 % des exportations en 2023), offre au pays une balance des paiements positive et lui ouvre l’accès aux marchés internationaux de capitaux. Depuis peu, la Mongolie s’est également positionnée comme un fournisseur émergent de minéraux critiques (lithium, nickel, terres rares, etc.). Ce nouveau positionnement va lui permettre de diversifier ses partenariats et de limiter en partie sa dépendance structurelle à l’égard de la Chine pour ses exportations (plus de 80 %) et de la Russie pour ses transports et importations de pétrole.

Double dépendance

Cette situation de double dépendance limite les capacités mongoles en matière de politique étrangère, le pays souhaitant avant tout rassurer ses deux grands voisins. Toutefois, pour se dégager des marges de manœuvre, la Mongolie a mis en place une stratégie de diversification de ses relations économiques et politiques, résumée sous le nom de « troisième voisin ». Elle s’accompagne d’un engagement accru auprès des organisations internationales. En Europe, seule l’Allemagne a un partenariat global avec la Mongolie. Des discussions sont en cours avec la France pour élever la relation à un partenariat stratégique.

En 2023, une série de visites officielles entre la France et la Mongolie ont généré des avancées notables dans les relations entre les deux pays, notamment pour la diversification et la sécurisation des approvisionnements en minerais et métaux stratégiques. Avec les États-Unis qui ont signé avec la Mongolie un accord sur les minerais critiques en juin 2023, la France se positionne donc comme l’un des rares « troisièmes voisins » à accompagner son action politique avec des projets économiques structurants. Au vu des soubresauts de la vie politique française, il reste à voir si l’engagement de la France s’inscrira dans la durée, ou s’il ne s’agissait que d’un effet d’aubaine.

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