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La neutralité du net est-elle vraiment neutre ?

Le 14 décembre, la Commission fédérale de réglementation des communications (FCC) a voté la fin de la neutralité du net aux États-Unis, malgré les nombreux appels au maintien d’un Internet neutre des pionniers de l’Internet et des entreprises de la sillicon valley.

L’« Open Internet Order » de mars 2015 » a vécu et l’organisation de l’Internet risque de changer, peut-être radicalement.

Manifestation à Washington le 6 novembre 2014 pour sauver la neutralité du Net. Stephen Melkisethian/Flickr, CC BY-NC-ND

Neutralité et absence de discrimination

La neutralité du net est une régulation du trafic sur le réseau qui s’applique aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI). Une régulation au départ technique, la neutralité du net est aujourd’hui la principale régulation économique de l’Internet. La neutralité du net impose que sur le réseau toutes les données soient traitées de manière équivalente.

L’Internet est neutre si tous les mégabytes de données sont traités de manière identique par les FAI, quelles que soient leur origine, leur destination ou leur nature. L’absence de discrimination entre les contenus implique que l’Internet neutre est le même partout, au contraire par exemple de la télévision où différents fournisseurs offrent différents contenus (chaines premium, contenu exclusif, etc.).

L’impossibilité de discriminer entre les contenus implique que les FAI ne peuvent pas offrir de services « premium » aux éditeurs de contenus (accès exclusif ou prioritaire par exemple) et dès lors, il leur est impossible d’exiger des paiements de la part des fournisseurs de contenu. Les FAI se plaignent alors d’avoir à supporter seuls tout le poids des investissements dans l’infrastructure du réseau, investissements nécessaires au transfert de contenu toujours plus gourmand en bande passante.

RIP Net Neutrality… DonkeyHotey on Visual Hunt, CC BY

Accommoder la règle de la neutralité du net ou la supprimer comme aux États-Unis, c’est ouvrir la porte aux relations contractuelles entre éditeurs de contenus et FAI et donc indirectement au financement des infrastructures par les éditeurs de contenus.

Trois types de pratiques discriminatoires occupent le débat sur la neutralité du net : l’exclusion de contenu (légal), les pratiques de « zero-rating » et la création de voies rapides sur l’Internet.

L’exclusion de contenu

Une forme de discrimination extrême sur le net consiste à exclure certains contenus légaux. KPN, un FAI néerlandais, a par exemple exclu de son réseau de « Wifi hotspot » les applications en concurrence avec ses propres services comme les services de téléphonie par Internet (VoIP type Skype) avant d’être sanctionnée par l’autorité néerlandaise de la concurrence (ACM).

Publicité vintage pour Skype. Joe Wolf/Flickr, CC BY-ND

Certaines applications sur le net sont en concurrence avec les services offerts par les FAI : Skype concurrence la téléphonie fixe et mobile, WhatsApp concurrence les SMS, Netflix concurrence les services de vidéo à la demande. Ces applications Internet affectent le FAI de deux manières : d’une part, elles sont en concurrence avec les services du FAI mais, d’autre part, elles créent de la valeur et en particulier, elle augmente la valeur de l’Internet aux yeux des consommateurs.

L’exclusion des applications concurrentes n’est donc pas à priori la stratégie la plus efficace pour les FAI. [Broos et Gautier (2017)] analysent en détail ce problème.

Le « zero-rating » une menace pour la concurrence

La pratique du « Zero-rating consiste à discriminer financièrement entre différents contenus en excluant certains contenus de la limite de surf mensuelle, par exemple une offre mobile avec Facebook illimité.

Publicité Binge On sur TMobile.

Cette pratique est une violation de la neutralité du net puisque les fournisseurs ne traitent plus les contenus de manière identique sur un plan financier.

Aux USA, les principaux FAI ont des offres de ce type pour le contenu vidéo. Certains programmes sont ouverts comme Binge On de T-Mobile qui offre un accès gratuit à plus de 100 contenus, d’autres sont fermés comme ceux de Verizon et de AT&T qui limitent leurs offres aux contenus qu’ils éditent.

Actuellement, la pratique du zero-rating n’est pas interdite mais elle surveillée de près par les régulateurs. En effet, cette pratique peut modifier la concurrence entre contenus puisque ceux-ci ne sont plus traités de manière équivalente. Cette pratique est d’autant plus problématique que l’on observe une intégration croissante entre les éditeurs de contenus et les FAI.

Vers une voie prioritaire ?

La question liée à la neutralité du net qui fait sans doute le plus débat est celle de la voie prioritaire sur Internet (« fast lane »). Comme sur une autoroute où certaines bandes sont réservées en cas d’embouteillage au co-voiturage, l’idée est de créer une voie prioritaire sur Internet où, en cas de congestion, transiteraient certains contenus « prioritaires ». La création d’une voie prioritaire introduit une discrimination en terme de vitesse d’acheminement.

Life in the Fast lane. Rodney Campbell/Flickr, CC BY-NC-ND

Nul besoin de préciser que certains fournisseurs de contenus sont prêts à rémunérer les FAI pour un acheminement prioritaire, notamment les gros éditeurs de contenus ou les éditeurs de contenus sensibles aux délais (live vidéo, jeu en ligne, etc.). La voie prioritaire fait craindre que certains contenus non-prioritaires disparaissent de l’Internet, une crainte qui est sans doutes exagérée. Par contre, comme pour le zero-rating, la concurrence entre contenus se trouvera modifiée par la mise en place d’une voie prioritaire.

Si l’Internet est neutre, l’Internet est le même partout. Demain, avec la décision du FCC, il ne sera plus le même des deux côtés de l’Atlantique. La fin de la neutralité risque de modifier la concurrence dans le secteur de l’Internet : entre FAI qui feront des offres différenciés, et entre fournisseurs de contenus. Cela risque aussi de renforcer l’intégration verticale entre contenus et infrastructures.


Texte associé : « la neutralité du net n’est pas neutre » présenté au 22° congrès des économistes, Bruxelles Novembre 2017.

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