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La philanthropie a largement participé au développement de l’entraide et au bien-vivre ensemble. À l'aube d'une nouvelle ère industrielle, elle est plus essentielle que jamais. Shutterstock

La philanthropie, la « science du don », plus essentielle que jamais

Nous sommes à l'aube de grands bouleversements dans nos société. Ce qu'on appelle les quatrième et cinquième révolutions industrielles peuvent certes représenter des avancées très importantes au plan politique et économique. Mais elle peuvent aussi devenir un cauchemar si des garde-fous ne sont pas mis en place afin de bien répondre aux enjeux sociaux et environnementaux.

Dans cette nouvelle ère industrielle, le travail sera de plus en plus pris en charge par des machines intelligentes ou par des algorithmes.

Voilà pourquoi la philanthropie est si importante. Et voilà pourquoi il devient essentiel de développer des connaissances scientifiques sur la philanthropie subventionnaire canadienne, soit les fondations privées, publiques ou communautaires.

Cette recherche de connaissances est au cœur de la décision de mettre sur pied le Réseau canadien de recherche partenariale sur la philanthropie canadienne (PhiLab), dont je suis le codirecteur avec Peter Elson, de Victoria University.

Un acteur essentiel

Le secteur des œuvres de bienfaisance canadien compte environ 170 000 organisations, dont 86 000 sont enregistrées auprès de l’Agence de revenu du Canada. Les organisations représentent 8,1% du PIB et emploient environ deux millions de personnes, soit 11% de la population active canadienne.

Sous différentes formes historiques et un peu partout sur la planète, le secteur philanthropique, et plus particulièrement les formes artisanale ou institutionnelle, a été un acteur important et continuera de l’être. Il a largement participé au développement de l’entraide et au soutien d’actions prônant le bien-vivre ensemble.

La philanthropie est un secteur en pleine croissance le monde, assurant entraide et mieux-vivre à des populations plus vulnérables. shutterstock

C’est un secteur en pleine croissance, par le nombre des organisations, le montant global des dons et surtout par les actifs financiers détenus par les fondations.

Un « désert cognitif »

Mais ce secteur est peu étudié.

Les fondations, par exemple, bien qu’elles se soient profondément transformées au passage du 19e siècle pour revêtir les habits de la modernité, demeurent relativement discrètes dans leurs actions.

Par ailleurs, elles sont associées, de par leur identité « économique », davantage au monde des affaires et de la finance qu'aux mouvements sociaux, communautaires ou à l’action politique engagée.

En effet, l'argent à la disposition des fondations privées provient généralement d'une accumulation de capitaux découlant de la production de biens ou de services réalisées par une moyenne ou une grande entreprise. Avec le transfert de fonds vers des activités philanthropiques, les mécènes impliqués transfèrent aussi des éléments de culture propres au monde des affaires. Il y a donc tout un processus de déconstruction et de reconstruction à réaliser afin que ces mécènes en arrivent à revêtir les nouveaux habits requis par l'action philanthropique.

Curieusement, la recherche scientifique canadienne et québécoise a tardé à faire de ce secteur un objet d’étude à part entière. En matière de développement de connaissances théoriques ou empiriques, nous nous situons dans un « désert cognitif » par rapport à la somme des connaissances et de réflexions développées aux États-Unis.

Au tournant des années 2000, la prise de conscience de cet état de fait s’est traduite par la mise en place de différentes initiatives. Du côté de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC), le programme d’administration des affaires a été restructuré à quelques reprises depuis 2003. Il s'appelle, depuis 2017, le UBC Sauder Philanthropy Program.

Mentionnons, en association avec l’Université Laval, la mise sur pied, en 2011, de l’Institut Mallet. À la suite d'un long processus d’idéation avec les milieux concernés, l’Université de Montréal crée, en 2009, un certificat en Gestion philanthropique et l’Université Carleton inaugure, en 2013, le Carleton’s Master (MPNL) and Diploma (DPNL) of Philanthropy and Nonprofit Leadership .

Enfin, la même année, le PhiLab débute ses travaux à l’Université du Québec à Montréal.

Nous pourrions compléter cette liste, toutefois elle est sans commune mesure avec l’offre universitaire de services éducatifs et de recherche aux États-Unis.

Il y a donc un constat de pauvreté dans notre offre de services qui n’a rien à voir avec la richesse représentée par le secteur. Ce dernier a des besoins évidents en matière de formation professionnelle et de recherche et développement.

En mode urgence

Il est d’autant plus nécessaire de voir se développer une meilleure offre de services professionnels et une capacité accrue de recherche et développement que nous observons une urgence évidente en lien avec les grands défis actuels.

Ces défis prennent la forme d’une injustice historique et grandissante entre les plus riches et les plus pauvres . Nous avons beaucoup de difficultés à réduire les écarts.

Ils prennent aussi la forme d’une urgence environnementale associée à nos activités de production et à nos habitudes de consommation. L'impact direct le plus ressenti et le mieux observé est celui concernant les changements climatiques, la pollution des océans et la réduction de la biodiversité.

Les organisations de bienfaisance, au moins depuis les années 1960, ont fortement contribué au développement et au déploiement de l’État social canadien. Tant aux paliers fédéral, provincial que municipal, des organisations ont œuvré pour proposer, expérimenter, tester et exiger des politiques publiques à la hauteur des besoins rencontrés par la population.

Les fondations subventionnaires ont joué un rôle clé en supportant financièrement et en accompagnant le développement d’innovations sociales importantes. Toutefois, cette capacité d’innovation s’est grandement essoufflée ces vingt dernières années en raison de l'ampleur des enjeux sociaux et environnementaux.

Une nouvelle proposition de « vivre ensemble »

Pour les fondations subventionnaires, ce constat a conduit au besoin de développer une nouvelle approche : la philanthropie dite stratégique.

Cette approche vise à soutenir des actions ou des projets ou à mettre en place des ressources qui provoqueraient des changements à l’échelle des institutions en place. Mais si l’objectif de susciter une réforme institutionnelle en profondeur est noble, il demeure encore faiblement assorti d’un « nouveau cadre de penser », d'une nouvelle proposition de vivre ensemble.

La philanthropie stratégique doit être assortie d'une ligne de conduite éthique en matière de justice sociale et environnementale.

Il est clair que la capacité d’innover est un impératif et doit être au centre des réflexions. Il est tout aussi clair que les actions organisationnelles individualisées peinent à générer le niveau requis d’innovation culturelle.

Dès lors, à l’échelle des fondations subventionnaires, tant le travail collaboratif que la mise en débat critique d’idées et de pratiques doivent compléter les actions individuelles.

Ceci n’enlève rien à l’importance de voir des individus changer leurs comportements afin de répondre à leur façon aux enjeux sociaux et environnementaux. Cela n’enlève rien non plus à la responsabilité des gouvernements et des entreprises privées d’agir solidairement et écologiquement pour le bien-vivre ensemble et non pas pour assurer un mieux-être individuel.

Mais afin de générer des actions réellement innovatrices, les fondations subventionnaires désireuses de suivre cette voie auront tout avantage à se doter d'une « posture éthique » clairement établie. Elles devront aussi élever leur capacité de collaboration entre elles et surtout, le faire avec d'autres organisations de la société civile, dont les grands mouvements sociaux.

Confrontés à des gouvernements relativement frileux et des entreprises conservatrices à l'idée de réduire notre empreinte écologique, les fondations subventionnaires, les réseaux scientifiques soucieux de justice sociale et d'environnement et les représentants de médias progressistes auront avantage à travailler ensemble.

Ces derniers inviteront, de concert avec des acteurs des mouvements sociaux, tant les gouvernements que les représentants du monde des affaires à prendre au sérieux ces grands défis: la lutte aux inégalités sociales, aux changements climatiques, à la pollution des océans et à la réduction de la biodiversité.

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