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Andrea Dworkin en 1981, lors d'une prise de parole au Gay american arts festival. Archives de John Glines.

La plume la plus radicale du féminisme ? Redécouvrir Andrea Dworkin

Tandis que le procès de Mazan place les violences sexistes et sexuelles au centre de l'attention médiatique, il est peut-être temps de (re)découvrir Andrea Dworkin, féministe américaine méconnue et détonnante qui s'attaquait déjà aux ravages de la misogynie dans les années 1970.


En 2005 s'éteignait Andrea Dworkin. Pendant 40 ans, l'essayiste et écrivaine féministe avait intéressé, agité ou effrayé les consciences avec des écrits impitoyables et incisifs, semblant presque venir d'un autre monde. Comme le disait si bien son admirateur Leonard Cohen en 1988, elle était peut-être “[Le premier auteur], masculin ou féminin, qui affiche une défiance qui soit profondément subversive au sens sacré - extraterrestre. […] La position qu'elle adopte […] est si provocante et passionnante qu'elle crée une autre réalité et pourrait arriver à l'actualiser.”

Aujourd'hui, si les études de genre, en France comme outre-atlantique, s'intéressent de nouveau à ses travaux, elle est encore majoritairement inconnue du grand public. Pourquoi est-il encore pertinent de lire Dworkin aujourd'hui ?

Penser les violences faites aux femmes

Née en 1946 dans une famille juive du New Jersey, Andrea Dworkin se fait connaître à partir des années 70 comme militante pour les droits des femmes, journaliste, romancière et essayiste.. Ses écrits se caractérisent par un mélange entre des réflexions théoriques très poussées et une utilisation brute de son propre vécu. Ayant elle-même connu les violences conjugales et sexuelles, la prostitution et la vie dans la rue, elle fait des violences faites aux femmes le coeur de sa réflexion, le tout dans une langue singulière mêlant un style universitaire à des expressions très crues. Elle devient également célèbre comme oratrice, avec de nombreuses prises de parole publiques lors d'événements féministes de la deuxième et troisième vague du mouvement. Son militantisme s'étend à la lutte contre la guerre du Vietnam, l'apartheid en Afrique du Sud ou l'antisémitisme. Elle continue de publier romans, essais et articles jusqu'aux dernières années de sa vie, avec la publication en 2002 de son autobiographie Heartbreak: The Political Memoir of a Feminist Militant. Dans l'une de ses dernières interviews, elle a déclaré souhaiter “que [son] travail soit un témoignage anthropologique d’une société primitive éteinte”, une fois que la domination masculine serait abolie.

Des positions radicales

Si Dworkin, aujourd'hui, semble avoir été oubliée par une bonne partie du mouvement féministe, c'est sans doute parce qu'un certain nombre de ses positions vont à contresens de celles qui sont majoritaires dans le mouvement actuel. Ses charges radicales contre la prostitution et la pornographie la rendent difficilement appréciable par une nouvelle génération de militantes majoritairement pro-sexe, qui défendent ces deux pratiques comme une possible voie d'émancipation.

Mais ces divergences ne doivent pas empêcher ses détractrices et détracteurs de s'intéresser à son travail. La vidéaste américaine transféministe Contrapoints l'a bien montré, l'année passée, avec son essai vidéo The Witch Trials of J.K Rowling. Malgré son positionnement pro-sexe, elle y base la majorité de son argumentaire sur l'ouvrage Les femmes de droite, dans lequel Dworkin s'interroge sur les raisons pour lesquelles certaines femmes, notamment aux États-Unis, maintiennent des positions anti-féministes, contre le divorce, la contraception ou l'avortement. Pour justifier son utilisation de la pensée dworkienne, Contrapoints déclare que « Dworkin est connue pour ses points de vue “sex-négatifs” radicaux, avec lesquels je ne suis pas d'accord. Mais c'était une écrivaine intéressante, un de ces savants à moitié fous qui te rentrent dans la tête, et à qui tu ne peux pas t'empêcher de penser. »

Ce type d'utilisation du travail de Dworkin est la preuve vivante que des féministes de sensibilités très variées peuvent trouver de l'intérêt dans son travail, et utiliser sa pensée aiguisée pour alimenter leurs raisonnements : ici, Contrapoints utilise Les femmes de droite , ouvrage de 1983, pour expliquer les récentes prises de position conservatrices de l'autrice J.K Rowling. Dans le féminisme français aussi, on retrouve des traces ou des résurgences de cette pensée, qu'elles soient conscientes ou non : pour ne citer que lui, l'un des derniers essais d'Ovidie, La chair est triste hélas, rappelle par bien des aspects les réflexions développées dans le Coït de Dworkin trente ans plus tôt.

Une autrice à (re)découvrir

Le nouvel essor de la théorie féministe en librairie a permis plusieurs traductions françaises récentes des oeuvres de Dworkin, notamment par les éditions Syllepse à partir de la période post #Metoo. Alors par où commencer pour la découvrir ? Tout dépend bien sûr de vos centres d'intérêt, tant elle a abordé et approfondi de sujets variés liés aux femmes et aux violences qu'elles subissent. Les femmes de droite est de toute évidence un essai politique passionnant, et peut-être plus actuel que jamais, à l'heure où le mouvement « tradwife » (abréviation de « traditional wife », pour « épouse traditionnelle »), prônant le retour du rôle de la femme mariée comme femme au foyer prend de l'ampleur sur les réseaux sociaux et où les statistiques attestent à quel point le vote d'extrême-droite est - aussi - un vote féminin.

Ses recueils d'essais et de discours comme Souvenez-vous, Résistez, Ne cédez pas ou Notre Sang ont l'avantage de proposer un panel de textes courts et efficaces sur des thèmes divers, et sont sans doute ses plus faciles d'accès. Quant à Coït, son essai provocateur qui analyse la sexualité hétérosexuelle traditionnelle avec une crudité et une radicalité sans doute inégalées, il s'adresse davantage à des lectrices et lecteurs plus avertis, déjà familiers des lectures théoriques féministes, mais développe des idées passionnantes sur la manière dont la sexualité patriarcale construit et maintient en place les normes de genre.

Dérangeante, caustique, parfois politiquement incorrecte : Dworkin est une penseuse unique qui n'a jamais laissé son lectorat indemne. A l'heure de l'immense succès commercial des essais féministes coup-de-poing parfois très unilatéraux, sa pensée subtile, profonde et parfois déroutante, qui pousse ses raisonnements jusqu'au bout sans jamais s'en excuser, gagne à être redécouverte, pour inspirer de nouvelles générations dans leur quête de vérité.

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