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La politique climatique américaine suspendue aux résultats de l'élection présidentielle

La Cour suprême a mis le « Clean Power Plan » d’Obama en pause forcée. tabor-roeder/flickr, CC BY-SA

Le 9 février dernier, la Cour suprême des États-Unis décidait de suspendre, au moins temporairement, le Clean Power Plan, le « plan pour une énergie propre », dévoilé en août 2015 en amont de la COP21 par l’administration Obama. Ce plan constitue la pièce maîtresse de la politique du gouvernement fédéral en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Cette décision de la Cour a choqué de nombreux observateurs de la vie juridique, consterné les partisans d’une politique climatique ambitieuse et ravivé le souvenir de la décision tristement célèbre de la Cour en faveur de George W. Bush contre Al Gore. Beaucoup ont déclaré qu’il s’agissait là d’un nouvel exemple de la partialité de la Cour, plus préoccupée de stratégie politicienne que de justice.

Toutes ces réactions sont à mes yeux justifiées. Car même pour une instance qui n’a jamais caché son inquiétude de voir l’Agence fédérale de protection de l’environnement (EPA) prendre trop d’initiatives, cette décision est sans précédent et ne semble pas pouvoir se justifier si l’on s’en réfère aux critères légaux permettant de suspendre la mise en place d’une réglementation.

Une telle suspension est rarement accordée, parce qu’elle bouscule la déférence habituelle des cours à l’égard des agences spécialisées et court-circuite le processus de délibération qui est le propre de l’appareil judiciaire. Au vu du processus juridique engagé dans cette affaire, le Clean Power Plan, projet phare de la politique climatique d’Obama, se trouve désormais entre les mains du prochain président.

« Le plan pour une énergie propre » en débat sur France24 (diffusé le 4 août 2015).

Quel recours pour l’EPA ?

Le Clean Power Plan, qui réclame aux États de mettre en place des plans de réduction des émissions de CO2, fait l’objet d’une procédure de justice conduite par plus d’une vingtaine d’États du pays ainsi que des acteurs du secteur de l’énergie. La suspension décidée par la Cour suprême signifie que le plan ne pourra être mis en place avant la fin de cette procédure. Il s’agit d’un coup porté à un stade très précoce, avant même qu’une juridiction ait eu la possibilité d’évaluer la validité de cette action en justice conduite par les opposants au plan et bien des années avant que les recommandations de baisse des émissions aient pu s’appliquer.

Il est difficile de comprendre en quoi – la Cour n’ayant fourni aucune explication – cette suspension va dans le sens de l’intérêt général. Ceci d’autant plus que différentes cours avaient fait des actions en justice contre le Clean Power Plan une priorité : encore quelques mois et l’on aurait disposé de bien meilleures informations pour évaluer le bien-fondé de cette réglementation.

Cette suspension en dit en outre long – sans pour autant que ce soit définitif – du sort du Clean Power Plan. En décidant, à 5 juges contre 4, de suspendre ce programme, la Cour suprême signale ainsi le sens de ce que pourrait être son arbitrage final dans cette affaire. Mais il est encore plus important de noter qu’il n’y a eu à ce jour aucun exposé, aucune plaidoirie, aucune décision d’aucun juge sur le bien-fondé légal de ces accusations. Une cour d’appel va se pencher sur cette affaire et la position de l’EPA semble assez robuste.

Le cœur de l’affaire porte sur l’interprétation que l’EPA donne à l’expression, en soi ambiguë, de « meilleur système de réduction des émissions » contenue dans le plan – désignant la façon dont les États peuvent réduire les émissions de CO2 de leurs usines à charbon.

Historiquement, les cours ont permis aux agences telles que l’EPA d’avoir une grande latitude dans l’interprétation et la mise en place des lois. Et l’approche de l’EPA dans ce cas précis – qui porte sur la réductions des émissions de CO2 en recourant de manière croissante aux énergies renouvelables – semble bien s’inscrire dans le cadre de ce qui se présente comme « le meilleur système ».

Une fois que la cour d’appel aura rendu sa décision, la partie déboutée s’en remettra à la Cour suprême, qui pourra ou non s’emparer de l’affaire. Si elle le fait, ses juges auront une nouvelle occasion de parvenir à des conclusions indépendantes, mieux informées que celles qui ont conduit à leur décision de la semaine passée. Ainsi, même si de nombreux commentateurs ont indiqué que la décision de la Cour suprême avait porté un coup d’arrêt à la mise en place du plan, cette même Cour pourrait encore le déclarer légal.

Dans les mains du futur président

Mais faire face aux prochaines échéances judiciaires ne suffira pas à assurer la survie du plan. Il faudra aussi surmonter l’élection présidentielle. Chaque candidat républicain n’a en effet pas manqué de manifester son aversion à l’égard de toute réglementation climatique, et il est difficile d’imaginer que l’un d’eux puisse défendre le Clean Power Plan. Maintenant que la suspension a été votée, un président républicain pourra facilement se débarrasser du plan, en exigeant du ministère de la Justice qu’il abandonne sa défense.

Une administration démocrate fera probablement réviser la réglementation afin de se conformer aux directives de la Cour, examinant dans le même temps d’autres pistes via le Clean Air Act (et son article 115 notamment) afin de rendre possible les réductions d’émissions.

Mes amis démocrates partisans du verre à moitié plein se demandent si un bon côté de cette suspension ne réside pas dans la mobilisation des électeurs en réaction au vote de la Cour, à l’heure même où les champions du climat deviennent de plus en plus incontournables dans les sphères du pouvoir.

This article was originally published in English

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