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La « rampe de Khéops » relance les recherches sur la construction des pyramides

Complexe de Gîza. Flickr, CC BY-NC-SA

Une nouvelle découverte vient raviver le débat sur la construction des pyramides d’Égypte. Il y a quelques semaines, l’équipe franco-anglaise de la mission archéologique d’Hatnoub, un site situé à environ 300 km au sud du Caire, a mis au jour une rampe d’une trentaine de mètres de long (environ 100m dans son état d’origine) pour trois mètres de large. Cette rampe est bordée de deux escaliers et de trous de poteaux (creusés dans l’escalier) dont le diamètre, entre 70 et 80 cm de diamètre, est considérable. Elle aurait été creusée à même la roche, sans retaille postérieure.

Jusqu’alors, les seules rampes découvertes en Égypte dataient de périodes bien postérieures à l’Ancien Empire, époque à laquelle furent édifiées les grandes pyramides du plateau de Gîza. De cette époque n’ont été retrouvés que de rares vestiges (par exemple à Meïdoum, au sud du Caire). Cela rend la découverte de la mission d’Hatnoub véritablement remarquable.

Une rampe incroyablement inclinée

Il y a plus. La pente de cette rampe, mesurée à 20 %, ce qui est incroyablement incliné, remet en question certains présupposés quant aux différentes théories de construction des pyramides. En effet, l’une des principales théories, celle dite de la « rampe droite », ou « rampe frontale » (rampe accolée à la pyramide et permettant l’acheminement des blocs) a été, jusqu’à maintenant, rejetée pour diverses raisons. D’une part, une inclinaison (ou dévers) trop importante rendrait le halage des pierres extrêmement délicat, voire impossible. D’autre part, un dévers moins élevé (entre 5 et 8 %) obligerait à ériger une rampe de plus de 2km de long, soit un ouvrage considérable en plus de la pyramide elle-même.

Ce que les archéologues viennent de découvrir à Hatnoub pourrait donc constituer un argument fort en faveur de l’existence de rampes dépassant largement la pente maximum envisagée jusqu’à présent. Car si les ouvriers étaient capables de haler les blocs sur un dévers d’au moins 20 %, cela permettrait d’envisager que la rampe soit moins longue.

Une conférence de Yannis Gourdon, qui a mis au jour les éléments de la rampe.

De plus, les trous de poteaux observés aux abords de la rampe semblent signaler l’utilisation, par les travailleurs, de poteaux permettant de retenir les blocs extraits de la carrière. Comme l’explique Yannis Gourdon, directeur de la mission, des cordes reliaient le traîneau aux poteaux et, « par un système de contrepoids, empêchaient le traîneau de repartir en arrière ».

Certes, la rampe découverte dans la carrière d’Hatnoub avait pour fonction de traîner des blocs d’albâtre, pierre non utilisée dans la construction des pyramides. Mais rien n’empêche qu’une technique semblable ait été employée pour transporter les éléments nécessaires à la réalisation de ces édifices gigantesques, et de telles rampes ont très bien pu recevoir d’autres types de roches (notamment du granit et du calcaire dans le cas de la pyramide de Khéops). Notons par ailleurs que de telles rampes sont attestées sur le site du Parthénon, à Athènes, employées comme systèmes descendants.

Outre la rampe elle-même, le chantier d’Hatnoub a livré lors de précédentes missions diverses inscriptions rupestres en écriture hiéroglyphique et hiératique, textes qui nous renseignent sur la vie de la carrière et de ceux qui y ont œuvré (jusqu’à 4000 ouvriers). Certaines de ces inscriptions ornent justement les parois du système de halage mis au jour et datent du règne de Khéops (env. 2550-2525 av. J.-C.). Si aucune de ces inscriptions ne donne d’information précise sur le système même de transport des blocs, elles permettent néanmoins de confirmer le fait que les Égyptiens étaient capables, dès la IVe dynastie (env. 2575-2460 av. J.-C.), de réaliser de telles rampes et de les utiliser à des fins de transport.

Quel impact cette découverte peut-elle avoir sur l’égyptologie en général et, plus précisément, sur le débat autour de la construction des pyramides ? Bien qu’il soit encore tôt pour tirer des conclusions et que de nombreuses analyses doivent encore être effectuées, il est évident que cette structure apporte de nouvelles données de grand intérêt.

Des traîneaux tirés sur du limon

D’abord, c’est notre connaissance du fonctionnement même du site d’Hatnoub qui bénéficie de cette découverte : il est désormais possible de décrire avec une relative assurance la façon dont certains blocs extraits de la carrière étaient halés. D’après les archéologues, la rampe centrale était couverte de limon sur lequel glissaient les traîneaux tirés par les ouvriers. Sur ces traîneaux (pouvant mesurer jusqu’à trois mètres de large d’après les dimensions de la rampe) étaient disposés les blocs de pierre (eux-mêmes pouvant atteindre deux à trois mètres de largeur). Les poteaux situés sur les côtés servaient alors à retenir le traîneau à l’aide de cordages également employés pour le tirer et empêcher qu’il ne reparte vers l’arrière du fait du dévers élevé de la rampe.

Transport d’une pierre de taille à l’aide de bœufs, carrières de Ma’asara (XVIIIᵉ dynastie). sir john gardner wilkinson/Wikipedia

C’est également la recherche autour de la construction des pyramides qui est relancée. Car même si cette découverte semble donner du crédit à la théorie de la rampe dite « droite », elle n’exclut aucunement l’utilisation – conjointe ou distincte – d’autres techniques. Yannis Gourdon le dit lui même lorsqu’il envisage que « la construction des Grandes Pyramides d’Égypte ait fait intervenir plusieurs rampes. Au moins une de chaque côté de la pyramide pour monter plus efficacement les blocs ». Il est même possible que plusieurs rampes frontales aient été employées en même temps, une pour chaque face de la pyramide.

De plus, la pente élevée mesurée sur la rampe d’Hatnoub invite les spécialistes à revoir les différents postulats quant aux calculs précédemment établis. En effet, diverses théories ont souvent été critiquées sur la base d’une prétendue « impossibilité » à réaliser, à l’époque de la construction des pyramides, telle ou telle structure, telle ou telle manœuvre. Avec le fait désormais établi qu’un dévers de 20 % n’était pas rédhibitoire, de nouvelles conjectures vont pouvoir être établies et d’anciennes données actualisées. N’oublions pas cependant qu’il ne s’agit en aucun cas d’une preuve définitive de l’emploi de telles rampes sur le chantier des pyramides, notamment celles de Gîza.

Quoi qu’il en soit, les résultats de cette mission démontrent que l’activité archéologique en Égypte continue d’offrir de passionnants résultats et que même certains questionnements que l’on pensait jusqu’alors insolubles laissent entrevoir un début de résolution.

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