Ce vendredi 27 septembre, au festival « Sur les épaules des géants » au Havre, Étienne Ghys, mathématicien et académicien, donnera une conférence sur « la merveilleuse histoire des flocons de neige ». L’occasion de s’intéresser à la beauté de la nature vue par les mathématiques et de parler de l’intérêt de faire de la vulgarisation pour un scientifique.
Vous êtes fasciné par les flocons de neige, au point de leur avoir consacré un livre, d’où vient cet intérêt ?
Je veux montrer que la nature regorge de choses qui inspirent le mathématicien que je suis et que j’ai plaisir à partager. L’exemple des flocons de neige est absolument merveilleux en premier lieu parce qu’ils sont beaux. La recherche de la beauté est l’une des motivations principales du chercheur. Mais aussi parce l’histoire de la compréhension des flocons est très riche. J’aime beaucoup l’histoire des sciences et l’histoire des maths en particulier. J’ai pris un peu de temps dans mon livre sur les flocons pour décrire quelques épisodes de cette histoire, qui est très ancienne. Je pense en particulier à Kepler, ce grand astronome et mathématicien (mais aussi astrologue), déchiffreur du mouvement des planètes. En 1610, alors qu’un flocon tombait sur son manteau, il décida de l’observer avec soin. Il vit dans cette toute petite chose un tas de structures et de symétries qui l’ont vraiment fasciné, au point qu’il écrivit un petit livre décrivant les flocons et qui, pour beaucoup de scientifiques, pour beaucoup de physiciens, représente l’acte de naissance de la cristallographie.
Que remarque Kepler en observant ces flocons ?
L’une des choses qui est surprenante est que les flocons ont tous une symétrie d’ordre six : ils ont toujours une structure hexagonale. Kepler cherche à comprendre pourquoi. À l’époque on réfléchissait bien sûr déjà à la nature du vivant. Qu’est-ce que la vie ? Aujourd’hui, si on demande à un biologiste ce qui est le plus proche du vivant dans le monde minéral, il évoquera les cristaux. Parce qu’un cristal a cette capacité à se reproduire, à croître et à développer des structures ordonnées. Kepler observe que ces branches sont très complexes et en même temps qu’elles sont identiques entre elles. Il voit les branches qui croissent de la même manière. Il se demande si elles communiquent entre elles. Comment expliquer cette similitude, cette symétrie ? Il se pose même à un moment une question qui peut nous paraître étrange : est-ce que les flocons ont une âme ? Le XVIIe siècle était une époque profondément religieuse et il faut se souvenir qu’on est dans la préhistoire de la science. Kepler observe avec les yeux d’un scientifique et pose des questions. Je trouve cela merveilleux.
Et il n’y a pas que les scientifiques qui s’intéressent aux flocons de neige…
Bien sûr ! Par exemple, au début du XXe siècle, Wilson Bentley, un agriculteur américain du Vermont, décide, pour la première fois, de prendre des photos de flocons. Il utilise un appareil photo à soufflets. Il réalise des photos extraordinaires qui eurent un succès médiatique vraiment impressionnant. Beaucoup de livres d’art ont publié ses très belles photos. Les historiens suggèrent que c’est lui qui a été à l’origine du concept culturel du flocon de neige, symbole de Noël.
Que vous apporte la vulgarisation par rapport à la recherche en mathématiques ?
Étienne Ghys : D’une certaine manière, c’est un peu égoïste. Il y a fort longtemps que j’ai compris que pour comprendre des maths, le plus simple est encore de les expliquer à d’autres. J’ai compris cela assez rapidement dans ma carrière, en particulier avec mes doctorants. Quand on travaille sur un sujet mathématique, que l’on a une idée, on la teste sur des collègues ou des étudiants. C’est dans cette interaction avec l’étudiant ou le collègue que les choses s’affinent et se concrétisent. Donc, expliquer à d’autres est une source de compréhension. Pour reprendre l’exemple des flocons de neige, la plupart des pages que j’ai écrites sur cette question sont très élémentaires, trop élémentaires pour moi, mais à cette occasion, j’ai appris énormément de choses. Je me suis posé beaucoup de questions, un peu comme Kepler, auxquelles je n’ai pas répondu. Cela fait partie de ma réflexion.
L’autre élément important, à mon sens, est que si un scientifique ne partage ni avec ses collègues ni avec le grand public, il scie la branche sur laquelle il est assis. On a besoin de futurs scientifiques. C’est quand même le rôle du scientifique que de partager ce qu’il fait avec d’autres.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de la pratique de la vulgarisation chez les scientifiques, allons-nous dans le bon sens ?
Oui, et spécifiquement en maths. On partait de bien loin. Il n’y a encore pas longtemps, dans la communauté des chercheurs en maths, il y avait très peu de collègues qui se préoccupaient de vulgarisation ou de diffusion. C’était même assez mal vu. Par exemple, quand on est chercheur au CNRS, on doit rendre compte de son activité tous les ans et pendant très longtemps je ne jugeais pas utile de le mentionner dans mon rapport d’activité. Parce que je pensais que c’était, peut-être pas ridicule, mais un peu à côté de mes activités. C’était ce que je faisais sur mon temps libre. Et puis je me suis rebellé contre ça et j’affirme maintenant qu’il s’agit d’une activité aussi noble qu’une autre qu’il faut absolument la mettre en valeur.
Cela dit, la vulgarisation ne doit pas nécessairement être pratiquée par tous les scientifiques. Par ailleurs, tous les sujets n’ont pas vocation à être vulgarisés. Certains pans des mathématiques sont trop complexes et inaccessibles. Par ailleurs, des parties des maths sont plus accessibles à la diffusion, en particulier celle que je pratique. Je suis géomètre et j’ai donc beaucoup de belles choses à montrer !
Propos recueillis par Benoît Tonson.