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image d'un écran de smartphone avec les logos des principaux réseaux sociaux
Les plateformes numériques sont désormais au coeur de nos vies. Mais comment fonctionnent-elles vraiment ? G. Piccinini - Shutterstock

La réputation, un élément-clé de la stratégie des plateformes numériques

Le succès des plates-formes numériques a été si soudain et puissant qu’elles sont désormais dans nos vies sans que l’on maîtrise toujours leur mode de fonctionnement. Décryptage du rôle joué par la réputation dans une plate-forme de cours en ligne. Quelles conséquences le management algorithmique de la réputation a-t-il sur les individus ?


Avec le franchissement du cap des 5 milliards d’utilisateurs de réseaux sociaux, début 2024, et la suprématie non démentie des GAFAM en termes de capitalisation boursière, nul doute : notre début de XXIe siècle est l’ère du capitalisme des plates-formes numériques.

Leur succès a été si rapide qu’il convient de revenir sur sa généalogie et notamment sur l’économie des plates-formes numériques et le rôle particulier de la réputation dans cette économie. Pour cela, nous nous appuyons sur les résultats d’une étude récente que nous avons menée auprès d’enseignants sur une plate-forme de cours particuliers.

Un modèle d’affaires centré sur les effets de réseau

Plus flexibles et moins coûteuses : le développement des nouvelles technologies a favorisé l’émergence d’organisations alternatives à l’entreprise industrielle traditionnelle. Plutôt que de se concentrer sur la production de biens et services, les plates-formes numériques se positionnent comme des orchestrateurs d’échanges, que ceux-ci soient sociaux (messages, likes) ou économiques (achats, locations, emprunts). Ainsi, comme l’ont noté de nombreux observateurs, Facebook, le plus grand média au monde, ne crée aucun contenu, et Airbnb, le plus grand hébergeur, ne possède pas de biens immobiliers.

Les plates-formes numériques opèrent dans des marchés où la stratégie de croissance prédominante est le modèle « le gagnant remporte tout… ou presque », grâce à l’activation des effets de réseau. La valeur pratique des plates-formes augmente non pas par addition, mais par multiplication des connexions entre les utilisateurs du réseau. Pour illustrer ce concept d’effets de réseaux, imaginons une application de messagerie privée sur une île déserte : même si cette île était miraculeusement dotée d’électricité et de wifi, une telle application serait inutile sans autres utilisateurs. Cependant, à mesure que de nouveaux rescapés arrivent sur l’île (50, puis 100, 500, etc.) l’application devient exponentiellement plus utile et précieuse. Les effets de réseau créent donc des boucles positives de rétroaction en connectant différents participants et marchés. Ces groupes d’usagers sont souvent appelés « versants » ou « faces » de la plate-forme.

Les enjeux de réputation au cœur de la stratégie de croissance des plates-formes

La réputation est un pilier central du modèle d’affaires des plates-formes, indispensable pour attirer les utilisateurs et renforcer les effets de réseau. Certaines initiatives, comme l’application « I Am Rich », lancée en 2008 à titre de provocation, ont illustré les risques liés à une gestion laxiste de la réputation. Vendue à 999,99 $, cette application ne proposait rien d’autre qu’une image d’une pierre précieuse rouge, accompagnée du message : « I am rich, I deserve it, I am good, healthy and successful ». Huit utilisateurs l’ont achetée, générant 2 400 $ de revenus pour l’App Store, avant qu’Apple ne prenne conscience de la nécessité d’établir des normes de qualité pour protéger sa réputation.


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Moins de 24 heures après son lancement, l’application a été retirée, et les règles de l’App Store ont été révisées pour éviter de tels incidents à l’avenir. Une mauvaise gestion de ces enjeux réputationnels peut gravement nuire à la légitimité d’une plate-forme – leur talon d’Achille ! – comme l’a montré le scandale des ingérences étrangères via l’application Cambridge Analytica sur Facebook lors des élections présidentielles américaines de 2016.


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La curation des contenus et des profils utilisateurs, qui définit qui peut rejoindre une plate-forme et ce que les utilisateurs peuvent y faire, est donc stratégique pour réduire le nombre de transactions de piètre qualité. Cette curation peut se faire avec différents degrés de rigueur et sous diverses formes : vérification d’identité, charte communautaire, évaluations par les clients, et management algorithmique des comportements de travail. Sur les réseaux sociaux et places de marché numériques, la curation s’appuie principalement sur des algorithmes d’intelligence artificielle, dont la puissance optimise le matchmaking et garantit une expérience utilisateur de meilleure qualité.

L’algorithme de référencement comme commissaire d’exposition virtuel

L’algorithme de référencement agit comme un véritable commissaire d’exposition virtuel, qui filtre, ordonne et facilite la recherche d’artefacts pour mieux répondre aux attentes des publics. Dans une perspective inspirée de l’approche dramaturgique de Goffman, la plate-forme peut être assimilée à une galerie d’exposition virtuelle et ce qui y est exposé comme des artefacts qui sont le résultat de performances théâtrales passées et qui apparaissent en ligne sous la forme de descriptions, de photographies, de statuts, etc., volontairement partagées par les utilisateurs.

Les algorithmes de référencement sont au cœur des stratégies de visibilité des travailleurs et créateurs de contenu sur les plates-formes. Toutefois, ils sont souvent perçus comme très opaques, rendant difficile la compréhension des critères pris en compte. Leur opacité peut résulter d’un secret intentionnel lié à la protection des informations commerciales, à la difficulté des utilisateurs à surmonter leur manque de connaissances techniques concernant le fonctionnement de l’IA, ou encore au fait que les calculs des algorithmes à grande échelle peuvent dépasser les intentions initiales des développeurs.

Les stratégies d’adaptation des travailleurs et créateurs de contenus

Comme nous le montrons dans une recherche récemment publiée, certaines plates-formes s’efforcent d’apporter de la littératie sur les critères encodés pour encourager les créateurs de contenus et les travailleurs des plates-formes à s’y conformer. Par exemple, l’introduction d’un système de ludification, sous forme de quêtes à accomplir correspondant à ces critères (certifier son identité, obtenir des recommandations ou des évaluations, avoir une certaine réactivité en réponse aux sollicitations, etc.), permet aux utilisateurs de gagner des badges ou d’améliorer leur statut. À chaque niveau atteint, de nouveaux défis se débloquent, augmentant d’autant plus la visibilité des profils correspondants.

Les enseignants de cours particuliers présents sur la plate-forme Superprof, que nous avons interrogés, adoptent des stratégies de présentation de soi qui visent à se conformer aux critères algorithmiques pour attirer de potentiels clients. Ils sont non seulement engagés dans ces pratiques, mais aussi demandeurs de ces injonctions managériales. Il ne faut pas oublier la grande précarité économique à laquelle ces travailleurs font face, amplifiée par la concurrence intense et le manque de familiarité avec les techniques de marketing digital.

Fnege.

Vulnérabilité aux changements de l’algorithme

Nos enquêtés regrettent par ailleurs que le rôle de commissaire d’exposition des plates-formes soit limité. Une fois leur visibilité augmentée par l’algorithme, ils se demandent comment convertir les vues en ventes. Ils souhaitent que le rôle de commissaire d’exposition ne se limite pas à la curation, mais inclut également un accompagnement plus poussé pour mieux comprendre les comportements d’achat des clients.

Soulignons la précarité algorithmique des travailleurs et créateurs de contenus des plates-formes, qui restent vulnérables à toute modification de l’algorithme. La question de la gouvernance des plates-formes, souvent très unilatérale, mérite d’être posée. Pour intégrer cette dimension dans le modèle d’affaires des plates-formes, pourquoi ne pas encourager la création en interne d’espaces de discussion entre les différentes parties prenantes de l’écosystème, notamment avec les travailleurs les plus fidèles, pour aller vers des prises de décision davantage délibérative ? Une telle approche délibérative permettrait aux travailleurs et aux concepteurs d’algorithmes de collaborer pour définir ensemble les critères de qualité du contenu et du travail, renforçant ainsi la légitimité et l’efficacité des stratégies de curation.

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