L’Assemblée générale des Nations unies pourrait inverser le cours des choses en matière de résistance aux antimicrobiens. Pour y parvenir, les décideurs doivent disposer des meilleures données probantes et mobiliser le soutien politique autour d’objectifs communs.
Vers la fin septembre, des dirigeants mondiaux, des représentants de la société civile et des chercheurs en santé mondiale comme moi se sont retrouvés à l’Assemblée générale des Nations unies pour une réunion sur la résistance aux antimicrobiens (RAM), sans doute la plus importante de la décennie. Cette rencontre de haut niveau devrait établir un programme mondial pour mobiliser les efforts autour de ce défi pour la santé et le développement économique.
Les enjeux sont considérables. La RAM est un problème mondial complexe qu’aucun pays ne peut relever seul, comme c’est le cas pour les changements climatiques. La RAM se produit lorsque des bactéries et d’autres microbes qui causent des infections telles que la pneumonie, la septicémie ou la tuberculose acquièrent la capacité de résister au traitement par antibiotiques ou autres médicaments antimicrobiens. On appelle parfois ces microbes « superbactéries ».
Ce processus naturel a été accéléré par l’usage inapproprié d’antimicrobiens et contribue aujourd’hui à environ cinq millions de décès par an, menaçant de plus en plus la santé animale, la sécurité alimentaire et les économies nationales.
Le 26 septembre, l’Assemblée générale des Nations unies a officiellement adopté la déclaration politique issue de la réunion de haut niveau de l’Assemblée générale sur la RAM, et les travaux visant à assurer la mise en œuvre de ses engagements ambitieux ne font que commencer.
Un triple défi
Comme pour les changements climatiques, les pays à revenu faible et intermédiaire se retrouvent dans une situation particulièrement précaire, étant confrontés à un triple défi : manque d’accès à des antimicrobiens de qualité, plus grande incidence de la résistance aux antimicrobiens et moins de ressources pour répondre efficacement à cette menace émergente.
Encore une fois, comme pour les changements climatiques, la RAM met en péril la santé humaine, la santé animale, la sécurité alimentaire et le bien-être économique, ce qui nécessite une approche « Une seule santé » et une coordination entre divers ministères : finances, santé, agriculture et autres. Face à cette complexité, il est urgent d’utiliser les meilleures données probantes pour déterminer les politiques qui permettront de remédier aux inégalités mondiales et de relever les défis intersectoriels.
Même si la RAM ralentit les progrès pour de nombreux objectifs de développement durable des Nations unies, notamment « bonne santé et bien-être » (objectif 3), « faim zéro » (objectif 2) ainsi que « travail décent et croissance économique » (objectif 8), il y a peu de pression politique pour agir aux plus hautes sphères gouvernementales. Cette situation est en partie imputable à la nature hautement technique de la plupart des discussions nationales et internationales sur la RAM, qui ne suscitent guère l’intérêt du public et ne parviennent pas à capter l’imagination des dirigeants politiques.
Leçons tirées des changements climatiques
Au Global Strategy Lab de l’Université de York, nous étudions des façons de traiter efficacement les menaces qui nécessitent une action mondiale coordonnée, comme la RAM. Nous avons dégagé des enseignements essentiels en étudiant les politiques liées aux changements climatiques et aux accords internationaux fructueux, tels que le Protocole de Montréal qui traite des substances qui appauvrissent la couche d’ozone.
Notre recherche met en évidence deux grandes idées qui pourraient faciliter la prochaine réunion de haut niveau en mobilisant l’action politique pour lutter contre la RAM et ses iniquités, aujourd’hui et à l’avenir.
1. Unifier les objectifs pour mobiliser l’opinion publique et obtenir un soutien politique
S’il est un objectif qui, de mémoire récente, a obtenu une reconnaissance quasi universelle parmi les politiciens, les militants et le public, c’est bien celui de l’Accord de Paris sur le climat qui vise à limiter le réchauffement de la planète à un niveau bien en dessous de 2 °C. Cet objectif a permis de sensibiliser l’opinion publique, de définir la réussite, de fournir un baromètre des progrès accomplis et d’unir les efforts collectifs contre les changements climatiques. Il a également joué un rôle essentiel dans la mobilisation de l’attention politique et des ressources nécessaires pour relever ce défi complexe.
En avril 2024, avec le soutien de la Fondation Rockefeller, nous avons réuni d’éminents experts en politique et en santé mondiale afin de déterminer les éléments indispensables à l’élaboration d’un objectif commun visant à accélérer la lutte contre la RAM. Le groupe Bellagio pour l’accélération de l’action contre la RAM a conclu qu’un objectif fédérateur devait :
unir les intervenants et les actions dans les secteurs de la santé humaine et animale, de l’agriculture et de l’environnement ;
prévenir les infections grâce à des interventions efficaces et abordables telles que la mise en place de programmes de vaccination, d’infrastructures hydrauliques, et d’installations sanitaires et d’hygiène ; et
donner la priorité à un accès équitable et durable aux antimicrobiens pour tous.
Le groupe Bellagio a proposé les objectifs unificateurs 1-10-100 : utiliser une approche « Une seule santé » pour sauver 10 millions de vies et viser une accessibilité durable à 100 % d’ici 2040.
Depuis, d’autres objectifs ont été proposés, notamment les cibles 10-20-30 de la série Lancet sur la RAM (réduction de 10 % de la mortalité, de 20 % du recours inapproprié à des antibiotiques chez les humains et de 30 % chez les animaux).
Quels que soient les objectifs qui ressortiront de la réunion de haut niveau, ils devront refléter les besoins et priorités des pays à revenu faible et intermédiaire et des communautés marginalisées, qui sont les plus touchés par les maladies infectieuses, qui ont le moins accès à des antimicrobiens efficaces et dont les systèmes sanitaires et alimentaires sont les moins bien préparés à répondre à la menace de la RAM.
Les États membres des Nations unies ne doivent pas se contenter d’une liste d’objectifs et d’orientations techniques, mais se saisir plutôt de cette occasion historique pour définir des cibles unificatrices qui mobilisent le soutien public et politique. Ces cibles permettront d’accélérer l’instauration de mesures qui visent à limiter la RAM.
2. Fournir aux décideurs politiques les meilleures données probantes
En 2019, le Groupe de coordination interinstitutions pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens des Nations unies a défini trois instances nécessaires pour lutter contre la RAM à l’échelle mondiale :
un groupe de dirigeants mondiaux pour mener une action politique ;
une plateforme de partenariat multipartite sur la résistance aux antimicrobiens afin de favoriser la coopération entre divers partenaires qui soutiennent l’approche « Une seule santé » ; et
un groupe indépendant chargé d’examiner les données probantes dans la lutte contre la RAM.
Les deux premières instances ont été créées respectivement en 2020 et 2023, mais le groupe indépendant sur les données menant à des actions — qui est censé dispenser des informations scientifiques aux décideurs politiques — n’a pas encore été mis en place.
Ce groupe scientifique fournirait aux États membres des Nations unies des analyses rigoureuses et adaptées des plus récentes études afin de promouvoir des politiques équitables et fondées sur des données probantes. Le rôle de ce groupe serait de synthétiser le volume de plus en plus important des recherches sur la RAM en une évaluation objective des progrès réalisés sur les plans national et mondial dans la lutte contre ce problème, ainsi qu’en vue de concevoir des options politiques adaptées à divers pays.
En considérant le fruit du travail de ce groupe — c’est-à-dire rendre accessible les données de la recherche pour mettre en place les politiques publiques — comme un bien public mondial, cela voudrait dire que tous les pays bénéficieraient de données probantes de haute qualité sur la RAM afin de protéger des vies, des moyens de subsistance et des économies.
Encore là, nous pouvons tirer des leçons des politiques relatives aux changements climatiques : un organisme scientifique appelé Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a été créé pour fournir aux décideurs politiques des évaluations scientifiques régulières sur les changements climatiques, leurs implications et les risques à venir. Nos recherches ont montré que le GIEC peut servir de modèle pour l’implantation d’un groupe indépendant chargé de se pencher sur des données menant à l’action et qui deviendrait un arbitre reconnu mondialement pour les données probantes sur la RAM.
En conservant les idées qui ont bien fonctionné et en évitant les aspects plus problématiques du GIEC, un groupe scientifique sur la RAM pourrait soutenir l’élaboration de politiques équitables et reposant sur des bases scientifiques.
Par l’établissement d’objectifs communs qui mobilisent le soutien politique et d’un mécanisme qui permet l’accès aux données pertinentes permettant aux États membres des Nations unies d’atteindre ces objectifs, la réunion historique de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations unies pourrait constituer un moment décisif dans la lutte contre la RAM.
Nous devons inverser le cours des choses avant qu’il ne soit trop tard.