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La Russie, ce pays où la gestation pour autrui est légitime

Deux femmes en conversation dans la rue, à Moscou. En Russie, la maternité de substitution est autorisée et suscite peu le débat. Dmitry Ryzhkov/Flickr, CC BY-NC-SA

La gestation pour autrui (GPA) fait partie des sujets majeurs qui seront discutés lors les États généraux de la bioéthique, à partir du 18 janvier. Cette vaste consultation des citoyens précède la révision des lois de bioéthique prévue pour 2019. En France, la GPA est actuellement interdite.

Souvent désignée sous le nom de « mères porteuses », cette technique consiste, pour la gestatrice, à porter un embryon formé par les gamètes d'un couple, puis à remettre l'enfant à la naissance à ces parents d'intention.

Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), avait rendu le 27 juin 2017 un avis très attendu dans lequel il rejetait la légalisation de la GPA. Un peu plus tôt, son président, Jean‑François Delfraissy, avait posé les termes du débat sur France Inter. D’un côté, avait-il déclaré, « il y a un besoin sociétal absolument indiscutable pour un certain nombre de couples d’avoir une grossesse portée par autrui ». Et de l’autre, « des jeunes femmes (…) sont vendues pour ensuite devenir des porteuses de grossesses (…) dans des entreprises à but mercantile ».

La Russie, un des pays les plus libéraux

Pour éclairer cette question sensible, il est intéressant de s’extraire de sa propre culture et de regarder comment les mères porteuses sont perçues dans d’autres pays, selon leur histoire, leur sociologie et leurs traditions. Le cas de la Russie, rarement abordé, est intéressant à plus d’un titre. Le premier enfant né d’une maternité de substitution y a vu le jour en 1995. La technique y est autorisée, ce pays étant généralement rangé dans la catégorie des plus libéraux en la matière. Cependant les couples étrangers sont beaucoup moins nombreux à se rendre en Russie pour en bénéficier que dans le pays voisin, l’Ukraine, en raison de dispositions légales qui la rendent plus hasardeuse.

Pour un État, le choix de prohiber ou d’autoriser la pratique des mères porteuses dépend largement de la conception que celui-ci se fait de la procréation, de la filiation et de la parenté. En Russie, la GPA est considérée comme l’une des mesures susceptibles d’augmenter le taux de natalité face à une situation démographique préoccupante. C’est aussi une manière jugée légitime de résoudre un problème de fertilité. De ce fait, le débat se place moins sur le plan moral que juridique.

La technique est autorisée mais son encadrement comporte des lacunes. Ainsi, une mère porteuse peut finalement décider de garder l’enfant, sans recours possible des parents intentionnels. Inversement, la gestatrice n’est pas protégée si les parents d’intention refusent d’accueillir l’enfant, par exemple si celui-ci naît handicapé.

Des discussions en cours à l’assemblée nationale russe

Aussi les discussions à la Douma (l’équivalent russe de l’Assemblée nationale) portent-elles surtout sur la nécessité d’instituer un cadre légal détaillé qui protégerait toutes les parties au contrat de GPA, c’est-à-dire la mère porteuse, les parents intentionnels mais aussi l’enfant.

La loi fédérale en vigueur sur les techniques de procréation médicale remonte à 1993, à l’époque de l’URSS. Cette année-là, un chapitre intitulé « l’activité médicale lors de la planification de la famille et d’encadrement de la capacité de procréer de l’homme » a été introduit dans la législation relative à « la protection de la santé des citoyens ». Des précisions ont ensuite été apportées par deux ordonnances du ministère de la Santé en 2003 puis en 2012.

Les conditions d’accès à ces techniques sont comparables à celles existant en France. Selon l’ordonnance de 2012, les actes ne peuvent viser un autre but que celui de réparer les conséquences d’un dysfonctionnement pathologique à l’origine de la stérilité, ou d’éviter la transmission d’une maladie génétique.

La procréation assistée, autorisée aux femmes célibataires

Le recours à ces techniques est possible pour les couples, mariés ou non, composés d’une femme et d’un homme et, contrairement à la France, aux femmes célibataires. Dans ses différents textes, le législateur utilise le terme « époux », n’ouvrant ainsi l’accès expressément qu’aux couples mariés hétérosexuels. Mais contrairement à la France, l’ouverture de la PMA aux couples homosexuels n’est pas débattue.

C’est la jurisprudence qui s’est prononcée sur l’accès à la gestation pour autrui pour un ou une célibataire. Dans un premier temps, ce droit a été reconnu à une femme célibataire, en 2009. Dans cette affaire, le tribunal a jugé que conformément à la loi fédérale de 1993, une femme célibataire a le droit de se réaliser en tant que mère au même titre qu’une femme mariée.

Par la suite, la jurisprudence a reconnu le même droit à un homme célibataire. Ce même accès aux techniques de procréation médicale pour les hommes et pour les femmes a été déduit du principe d’égalité entre la femme et l’homme posé par la Constitution de la Fédération de Russie.

Une rémunération complémentaire occulte pour la gestatrice

En Russie, la gestatrice n’est, officiellement, pas rémunérée. Seuls les frais médicaux liés à sa grossesse et ceux du quotidien durant cette période peuvent être prévus par le contrat. Une compensation pour la perte de salaire liée à l’arrêt du travail peut s’y ajouter. En général il existe une rémunération complémentaire occulte, dont il est impossible de solliciter le remboursement devant la justice en cas de non-exécution du contrat par la gestatrice.

Selon l’article « Les mères porteuses » de la revue Ogonyok N4 du 1er février 2010, la rémunération variait en 2009 entre 15 000 (13 700 euros) et 20 000 dollars (18 300 euros), voire plus pour une gestatrice correspondant à certaines exigences de niveau d’étude.

« Mater semper certa est » disait, en latin, le droit romain : l’identité de la mère est toujours certaine. Cette règle s’applique aussi dans le droit russe. À la naissance, la mère est celle qui met l’enfant au monde, autrement dit la mère porteuse. Le droit russe fait ainsi primer la réalité physique sur la génétique.

La mère porteuse doit donner son accord à la naissance

Pour que la filiation de l’enfant avec les parents génétiques (les parents d’intention) puisse être établie, ces derniers doivent obtenir l’accord explicite de la mère porteuse après la naissance de l’enfant. Le Conseil constitutionnel russe a en effet affirmé la constitutionnalité du principe selon lequel les parents d’intention ne peuvent pas figurer dans l’acte de naissance de l’enfant en qualité de parents sans l’accord de la mère porteuse.

Une fois obtenu l’accord de la gestatrice, la filiation est établie au profit des parents d’intention et la gestatrice ne peut plus revenir sur sa décision. Aucun lien de filiation n’est maintenu à son égard ; le lien de filiation et les effets qui en découlent sont intégralement transférés au couple commanditaire. Le nom de la mère porteuse n’apparaît pas sur l’acte de naissance de l’enfant.

Du fait que la mère porteuse est la mère légale de l’enfant à sa naissance, elle peut décider de le garder. Sans recours possible pour la mère d’intention. La mère porteuse ne dispose pas de cette prérogative en Ukraine, par exemple, où ce sont les termes du contrat qui priment.

Ce pouvoir donné à la mère porteuse en Russie fait débat. Une partie des juristes se prononce en faveur de la suppression de la règle « Mater semper certa est », au motif qu’elle vide la convention de maternité pour autrui de son sens. Une telle évolution irait dans le sens du mécanisme juridique existant aux États-Unis pour la GPA. D’autres juristes veulent maintenir cette règle, estimant qu’elle évite de faire du corps de la femme un objet susceptible de transactions commerciales.

La mère porteuse doit parfois élever l’enfant sans l’avoir souhaité

La législation russe actuelle pose un deuxième problème. Il arrive en effet que les parents d’intention refusent d’établir la filiation avec l’enfant. Si le couple s’est séparé entre temps, par exemple. Ou bien si l’enfant naît handicapé. Dans ce cas, la gestatrice devient la mère légale de l’enfant dont elle a accouché et doit endosser la charge d’élever un enfant qu’elle n’a pas souhaité.

Un projet de loi avait été déposé à la Douma le 19 juin 2016 dans l’idée de remédier à ces deux difficultés. Le texte supprimait l’obligation d’obtenir l’accord de la gestatrice pour la transcription des parents d’intention sur le registre d’état civil en qualité de parents de l’enfant. Il prévoyait également, en cas d’abandon de l’enfant par les parents d’intention et par la gestatrice, de procéder automatiquement à l’inscription des parents d’intention dans l’acte de naissance de l’enfant. Mais ce projet a été rejeté, le 13 avril 2017, par le Comité de la famille, de la femme et de l’enfant de la Douma.

Un autre projet de loi visant une interdiction absolue de la GPA tant qu’il n’existe pas un encadrement législatif garantissant une protection des droits et des intérêts de la gestatrice, de l’enfant et des parents d’intention, a été déposé à la Douma le 27 mars 2017. La première lecture de ce projet de loi à la Douma était prévue le 10 janvier 2018, mais a été reportée à une date ultérieure.

Lors d'une réunion au mois de juillet 2017, le Comité de la famille, de la femme et de l’enfant de la Douma n’a pas approuvé l'initiative d’interdiction de la GPA. Le ministère de la Santé a adopté la même position. « Le problème d’infertilité masculin et féminin est majeur en Russie, a affirmé Oleg Philippov, chef-adjoint du Bureau de l’aide aux enfants et à la procréation du ministère de la Santé. L’interdiction de la GPA ne ferait qu’aggraver la situation. Mais il faut moderniser la législation ».

Ainsi, dans ce pays où la GPA – qui existe depuis plus de vingt ans – n’est pas fondamentalement remise en question, la manière de la pratiquer suscite encore des débats, pas si différents de ceux qui se tiennent en France ou ailleurs.

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