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La France a envoyé des équipements respiratoires à oxygène et des générateurs en Inde pour aider le pays à faire face à sa crise du Covid-19. Ici l'aéroport de Roissy, le 1er mai 2021. Lewis Joly/AFP

La solidarité internationale dans la campagne présidentielle française

Malgré une augmentation des inégalités au niveau mondial, accentuées par les effets de la Covid-19, les programmes des principaux candidates et candidats déclarés à la présidentielle négligent les enjeux de solidarité internationale. Ceci au profit d’enjeux internationaux marqués au contraire par la concurrence et la compétition comme la défense, la sécurité et le commerce. Et au détriment de l’opportunité de positionner la France comme leader de la solidarité et de la coopération internationales pour construire un monde plus juste.

La lecture des programmes révèle cependant des différences et des nuances parmi les minces propositions. Tandis que la droite aborde très succinctement l’aide publique au développement et se concentre quasi exclusivement sur la thématique migratoire sous un prisme sécuritaire, la gauche formule des propositions plus détaillées et plus holistiques.

À droite, l’aide pour contrer l’immigration et aider… la France

À l’extrême droite, les programmes de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour n’abordent pas explicitement la solidarité et l’aide internationales. Ils se concentrent sur les questions de sécurité et d’immigration en matière internationale. Éric Zemmour a notamment proposé de conditionner l’aide française aux pays « en développement » à l’acceptation par ces pays du renvoi des personnes immigrées clandestines en France vers leurs pays d’origine. Il va plus loin en affirmant vouloir bloquer « les transferts de Western Union (transferts d’argent) et les visas, y compris ceux des dirigeants africains ».

Cette proposition est aussi clairement énoncée dans le programme de Les Républicains qui n’aborde nulle part la solidarité internationale, sauf pour traiter d’immigration. Valérie Pécresse porte ainsi le projet de « lancer un plan de codéveloppement des pays du Sud en conditionnant les aides au développement que nous accordons au retour des immigrés illégaux dans leur pays d’origine (délivrance des laissez-passer consulaires dans les délais utiles) ». Elle souhaite une aide « géostratégique » et « liée », c’est-à-dire profitable pour la France et les entreprises françaises.

Or ces logiques apparaissent infantilisantes et inefficaces, voire néocoloniales. Les pays récipiendaires d’aide sont les mieux placés pour savoir quelles solutions concevoir et comment les mettre en œuvre, ce qui est rappelé dans plusieurs engagements internationaux soutenus par la France. Une telle approche est contraire au respect des droits humains des personnes qui fuient des situations insoutenables, ce qu’assume d’ailleurs Éric Zemmour qui « ne définit pas sa politique étrangère par rapport aux droits de l’Homme ». Il est d’ailleurs en défaveur de l’accueil des personnes réfugiées ukrainiennes alors que les autres candidates et candidats de tous bords affichent leur soutien.

De plus, l’aide doit être donnée avec le but de promouvoir de développement économique et social d’un pays en fonction des besoins, et non pas en fonction d’un gain politique et financier pour le pays donateur. Restreindre les transferts d’argent des diasporas des pays en développement serait dommageable, tandis que ces flux sont l’une des plus importantes sources de financement pour le développement.

Dans la même veine, la priorité de Marine Le Pen est de restreindre drastiquement l’immigration, de renvoyer les personnes immigrées clandestinement dans leurs pays d’origine, mais aussi de réprimer toute personne aidant ces personnes sur le territoire français. Si contrairement à ses opposants de droite, le RN aborde les causes des migrations, un véritable défi du développement international au-delà des symptômes, c’est seulement pour prôner une politique migratoire violente, excluante, stérile et dénuée de solidarité par la France.

À gauche, s’attaquer aux causes et faire preuve de cohérence

La gauche prend globalement le contrepied de cette approche. Contrairement à la droite elle se prononce plutôt en faveur de la levée des brevets entourant les vaccins contre la Covid-19, première étape vers l’équité vaccinale mondiale.

Le Parti socialiste (PS) et le Parti communiste (PCF) sont les seuls parmi les « programmes » observés à mentionner la crise de la Covid-19 au niveau global, en s’engageant notamment pour une levée des brevets et une meilleure distribution dans les pays en développement.

En outre, le programme socialiste partage avec celui d’Europe-Ecologie-Les Verts et du PCF la défense d’une certaine cohérence pour le développement. Essentielle, elle consiste pour un pays à harmoniser ses politiques, notamment économique et commerciale, avec les objectifs de l’aide au développement pour qu’elles ne nuisent pas aux pays plus pauvres. Les socialistes et les écologistes partagent également leur engagement envers l’Europe et le multilatéralisme pour faire progresser les droits humains dans le monde.

Mais les propositions portées par Anne Hidalgo et les manières d’y parvenir restent parfois imprécises ou absentes – contrairement par exemple à l’engagement de La France insoumise et du PCF de consacrer 0,7 % du PIB français à l’aide publique au développement, une promesse de la France depuis les années 70 réaffirmée par Emmanuel Macron. Par ailleurs, si les points 65 et 66 du programme du PS contiennent l’aide au développement dans leurs titres… ils la réduisent aux questions d’immigration, suivant l’écueil de la droite. Ailleurs, le PS a prôné la coopération décentralisée et l’arrêt de l’aide au développement à la Chine, elle-même fournisseuse d’assistance.

Inspirations décoloniales

Sans prendre d’engagements financiers précis, les écologistes emmenés par Yannick Jadot proposent explicitement un projet inspiré du mouvement décolonial et en faveur d’organisations féministes en matière d’aide internationale. Ce projet serait basé sur l’expertise dans les pays récipiendaires et voué au renforcement des gouvernances locales. EELV indique notamment vouloir « rompre avec une vision verticale et condescendante des rapports Nord-Sud » et « soutenir les sociétés civiles et les expertises locales ». Ce fonctionnement, aujourd’hui porté par l’appel à la « localisation » de l’aide, permettrait de délivrer une aide plus adaptée, plus appropriée et plus efficace.

Serait favorisée également l’aide sous forme de dons plutôt que de prêts, critiqués pour contribuer à la charge de la dette et dont la France fait encore beaucoup usage. Enfin, l’Agence française de développement serait réformée, la fragmentation du dispositif institutionnel autour de l’aide et la complexité des procédures de l’agence ayant été relevées lors d’évaluations de la France en tant que bailleur, ce qui nuirait ultimement à la transparence et à la délivrance de l’aide.

La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon propose d’augmenter les moyens de l’aide et d’accentuer le codéveloppement dans tous les domaines, notamment scientifique. Au-delà, le parti souhaite « en finir avec la Françafrique : respecter l’indépendance des États africains et la souveraineté des peuples en s’interdisant de se mêler des élections et en réprimant les corrupteurs ». Cela rejoint les propos écologistes sur un rééquilibrage des rapports internationaux.

De plus, le parti propose « la mise en œuvre d’un mécanisme de restructuration des dettes souveraines dans le cadre de l’ONU ». Cet enjeu est pressant tandis que de nombreux pays en développement souffrent d’une crise de la dette qui tend à s’accentuer sous le poids des effets de la Covid-19. Enfin, plus loin que les symptômes que la droite cherche souvent à « traiter », La France Insoumise a le mérite d’aborder les causes des migrations dont le changement climatique, ce qu’avancent aussi les écologistes.


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Emmanuel Macron dans sa propre continuité ?

Sans véritable programme à un mois de l’élection, on peut supposer que l’approche d’Emmanuel Macron sera similaire à celle du mandat actuel : une défense de l’Europe et du multilatéralisme, une augmentation de l’aide au développement, mais une focalisation sur le rayonnement économique et culturel de la France au détriment du financement des services de base et de l’utilisation des dons. La loi de programmation relative au développement solidaire de 2021 doit encore être pleinement appliquée.

Enfin, le conflit ukrainien risque de mobiliser encore davantage le soutien de l’Union européenne, premier bailleur du pays en 2018-2019. L’Ukraine était déjà de loin le premier bénéficiaire européen d’aide publique au développement en 2019.

Au niveau français, le gouvernement actuel a assigné début mars 100 millions d’euros à l’aide d’urgence pour les populations civiles.

Ainsi, malgré deux ans de crise sanitaire et d’appels à la solidarité internationale notamment par la société civile et les organisations multilatérales, le débat français en particulier à droite se cristallise autour de la sécurité et de la défense – et c’était le cas même avant le début de la guerre en Ukraine. Les propositions devront aussi être plus ambitieuses à gauche. Et les candidates et candidats devront se souvenir qu’en matière sanitaire aussi bien qu’écologique, « nous ne sommes pas en sécurité tant que tout le monde ne l’est pas ».

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