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La « sortie des traités » est-elle vraiment possible ?

En France, la politique fiscale est conçue comme une politique d’accompagnement à la création du marché commun européen.

Des candidats à l’élection présidentielle invoquent, pour certains, « la révision des traités » et, pour d’autres, la « sortie des traités ». Pour les uns comme pour les autres, sans que la chose soit mentionnée, il s’agit du « traité sur le fonctionnement de l’Union européenne » (TFUE) qui impose notamment des objectifs de déficit public à ne pas dépasser. Il y a 10 ans, François Hollande, alors candidat à la présidence de la République, avait retenu l’idée d’une révision qu’il n’a été à aucun moment capable d’imposer.

Penser que les marges de manœuvre du gouvernement sont limitées par le seul traité européen serait pourtant une idée réductrice et partiellement inexacte. Nous sommes en effet engagés par d’autres textes que nous avons signés, mais aussi par la soft law d’organisations internationales, que nous intégrons dans notre droit interne.

Lutte contre le protectionnisme

L’accord de Marrakech, du 15 avril 1994, fait de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) une institution qui gouverne les relations commerciales internationales. Ses objectifs sont de libéraliser ces relations et de lutter contre le protectionnisme. Il s’agit en outre de multilatériser ces relations.

L’accord met en place un abaissement général et progressif des droits de douane. Il interdit les restrictions quantitatives et s’inscrit de plain-pied dans une économie libérale. L’OMC est ainsi l’outil de régulation du commerce mondial dans une économie qui pratique le libre-échange. L’agriculture comme le commerce des textiles, les investissements liés au commerce comme le domaine intellectuel sont concernés.

La signature de l’accord de Marrakech, en avril 1994, fait de l’OMC l’instance gouvernante des relations commerciales internationales. Abdelhak Senna/AFP

On peut penser, par exemple, qu’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne pourrait entraîner une distorsion de concurrence, dans la mesure où les pays les plus démunis n’ont pas obligatoirement accès aux technologies leur permettant de réduire l’intensité carbone dans leur production. Ce serait, en outre, une forme de protectionnisme. L’OMC pourrait avoir à en connaître. La solution n’est pas régionale, mais mondiale avec un prix mondial du carbone.

La France signataire de l’accord se doit de le respecter, sauf à le dénoncer. Actuellement, les membres de l’OMC ont des points de vue qui peuvent être rapprochés, quand ils ne sont pas franchement antagonistes, concernant le commerce électronique, l’investissement ainsi que la promotion du développement des petites entreprises. Si l’on ne prend pas le parti de sortir de l’OMC, alors il faudra donc que les candidats à l’élection présidentielle formulent des propositions ambitieuses.

Co-production de standards

De même, l’organisation administrative mondiale, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et l’instance politique, le G20, forment un couple qui fait que nous sommes dans une co-production de standards internationaux. Les pays observateurs (Chine, Brésil…) sont très largement associés à la réflexion comme à l’élaboration de standards internationaux. La soft law a largement fait preuve de son efficacité car les ensembles régionaux, dont l’Union européenne, et les États finissent sans contrainte par intégrer dans leur droit interne les préconisations de l’organisation internationale.

Le droit fiscal international fait l’objet, depuis la crise de 2008, d’une profonde réécriture. La France, comme d’autres, s’approprie le plan Base Erosion and Profit Shifting (BEPS) qui impacte toute la fiscalité internationale. Avec la signature puis la ratification de la Convention multilatérale, même si nous avons posé quelques réserves, c’est tout notre réseau de conventions fiscales internationales qui se trouve actualisé. L’OCDE a élaboré toute une série de standards internationaux, en matière de transparence comme en matière d’échange d’informations à des fins fiscales, que nous avons intégré dans notre droit comme dans nos pratiques.

Il semble donc pour le moins difficile de remettre en cause l’ensemble de ce processus qui est planétaire – même si une élection présidentielle peut profondément modifier le paysage politique.

Politique d’accompagnement

Mais ce sont surtout les traités concernant l’Union européenne qui cristallisent les passions. Bien souvent c’est un moyen commode pour les responsables politiques de s’exonérer et de faire porter la responsabilité aux instances communautaires. C’est de la faute de Bruxelles !

Quand on a pour ambition de créer un espace sans frontières, on songe à la liberté des hommes, des capitaux et des marchandises de pouvoir circuler librement. Dès lors, la politique fiscale est conçue comme une politique d’accompagnement à la création d’un marché commun puis du marché intérieur, comme nous l’avions souligné dans nos recherches. L’idéologie dominante au sein de l’Union européenne reste d’affirmer que le bon fonctionnement du marché intérieur implique une concurrence, qui doit être libre et non faussée, par des pratiques d’origine publique ou privée en favorisant ou désavantageant certaines entreprises.

Le château de La Muette, à Paris, héberge aujourd’hui le siège de l’OCDE. Patrick Janicek/Flickr, CC BY-SA

Les États membres, quand ils proposent un dispositif fiscal visant un secteur d’activités ou une activité particulière, doivent donc admettre l’obligation qui leur est faite de respecter le droit de l’Union, mais aussi de ne pas fausser la concurrence. Pour cela, la Cour de justice joue son rôle et s’assure que les États membres respectent les traités, n’hésitant pas à censurer des dispositifs nationaux votés par des assemblées nationales et parfois validés par les conseils ou cours constitutionnels.

Engagements dans une économie mondialisée

La France, comme le reste du monde, s’inscrit dans le cadre du marché mondial régulé, avec plus ou moins de bonheur, par l’OMC. Elle met dans son droit positif les standards internationaux de l’OCDE. Elle intègre le droit de l’Union européenne et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme.

Évidement, on peut toujours décider qu’il serait préférable d’avoir, concernant l’impôt sur le revenu, une imposition individuelle et non plus une imposition dans le cadre du foyer fiscal. On peut aussi décider aussi d’une réforme de la fiscalité locale ou d’avoir, ou non, des droits de succession et un impôt sur la fortune – encore que l’OCDE a formulé récemment des recommandations afin d’améliorer le rendement budgétaire des droits de succession et de donation. Mais les politiques fiscales sont, pour l’essentiel, définies dans des instances de soft law (OCDE) ou dans un cadre régional (Union européenne).

Les procédures sont parfaitement respectées. Les lois de finances sont présentées dans les formes requises. Le Conseil constitutionnel fait son œuvre. Il y a bien longtemps que le parlement ne fait plus la loi fiscale, ce qui ne lui interdit pas de voter le budget dans les délais et les formes requises.

Par conséquent, la question de savoir s’il faut réviser, ou sortir des traités, n’est qu’un aspect réducteur d’une problématique plus générale qui est d’apprécier les conséquences, à plus ou moins long terme, des engagements de la France dans une économie mondialisée.

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