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Les leaders législatifs se tiennent sur les marches d'un bâtiment gouvernemental à Jackson, Mississippi.
Le représentant américain Robert Johnson, D-Natchez, au centre, et d'autres membres de la Chambre expriment leurs objections à l'interdiction de l'enseignement de la théorie critique de la race (Critical Race Theory) au Mississippi en mars. (AP Photo/Rogelio V. Solis)

La théorie critique de la race (critical race theory) et le féminisme ne prennent pas le contrôle de nos universités

Les commentateurs de la droite se plaignent d’un prétendu essor des théories critiques de la race (critical race theory) et féministes dans les collèges et les universités.

Le 3 mai, l’auteure Maïka Sondarjee discutera, dans le cadre d’un événement en direct organisé conjointement par The Conversation/La Conversation et le Conseil de recherches en sciences humaines, de ses recherches sur comment intégrer les études sur le genre et la race en classe.

En Hongrie, le gouvernement est allé jusqu’à interdire les maîtrises en études de genre. Leur raisonnement : il faut éviter la propagation d’idées sur la construction sociale du genre.

Aux États-Unis, des législateurs républicains se sont lancés dans une guerre contre l’enseignement de la théorie critique de la race dans les écoles primaires et secondaires, craignant un endoctrinement des enfants avant même qu’ils n’entrent dans les établissements d’enseignement supérieur.

Nombreux sont ceux qui pensent que les universités dépensent trop d’argent pour « insuffler » des approches critiques de la race ou féministes dans les programmes, ce qui risque de perturber ces derniers et d’engendrer des divisions. Est-ce vraiment le cas ? Les études critiques de la race et féministes sont-elles en train de prendre d’assaut nos salles de classe et nos universités ?

Des manifestants tiennent des pancartes
Des personnes protestent contre l’enseignement de la théorie critique de la race devant le département de l’éducation publique du Nouveau-Mexique, à Albuquerque. (AP Photo/Cedar Attanasio)

Mon expérience personnelle, ainsi que mes recherches, suggèrent le contraire. Lorsque j’étais étudiante aux cycles supérieurs en relations internationales (RI) de 2011 à 2020, les approches de genre étaient à peine abordées, ou étaient réservées à une seule semaine de l’année. Depuis, j’ai suivi ou donné 10 cours de relations internationales dans trois universités canadiennes, en français et en anglais. Dans tous ces cours, j’ai observé une tendance à la marginalisation des visions non occidentales et non masculines de la politique mondiale.

Pour évaluer et explorer le décalage entre l’appréhension du public de voir ces théories envahir nos salles de classe et mon expérience personnelle, j’ai analysé le contenu de 50 plans de cours de relations internationales en Amérique du Nord et en Europe.

Ce que j’y ai trouvé a confirmé mon expérience : les études sur la race et le genre sont réduites au silence ou marginalisées dans les cours d’introduction aux relations internationales offerts en Occident.

Une semaine rose

Plus de la moitié des professeurs de relations internationales des pays occidentaux n’abordent tout simplement pas la question du genre, du féminisme ou des femmes. Seuls trois pour cent des lectures obligatoires et facultatives traitent d’enjeux de genre ou féministes dans le monde.

À titre d’exemple, un cours consacrait quatre semaines à la mondialisation, sans aborder le travail dans le domaine des soins ou la division du travail selon les sexes à l’échelle mondiale. Un autre consacrait sept semaines à diverses guerres régionales et mondiales, sans mentionner les définitions féministes de la sécurité, les impacts sexospécifiques de la militarisation, l’influence de la masculinité sur la guerre, la violence genrée ou l’incidence du genre sur la consolidation de la paix.

Sur les 23 programmes d’études qui mentionnent le genre, 78 % (18 sur 23) adoptent le principe de la semaine unique. Ce cloisonnement condense la recherche sur le genre à une maigre semaine, la sacro-sainte « semaine de la femme ». Dans l’esprit des étudiants, cela réduit le genre à un cadre sectoriel facile à écarter. En bref, soit vous vous intéressez à la guerre, soit vous vous intéressez au genre – les deux ne peuvent pas cohabiter.

Il n’est question ni de race ni de colonialisme

Les relations internationales ont également été critiquées pour leur « aveuglement face au racisme ». L’ethnocentrisme du domaine des relations internationales a été dénoncé, encore, encore et encore.

Mes recherches confirment qu’on mentionne rarement les études sur la race – seulement dans sept plans de cours (14 %). Quant au postcolonialisme, il n’en est question que dans 17 plans de cours (34 %). À titre de comparaison, le libéralisme apparaît dans 38 plans de cours (76 %).

Les listes des événements historiques qu’on présente sont également dominées par le monde occidental. Ainsi, la guerre froide est citée comme événement important dans 25 plans de cours, mais les processus de colonisation ne le sont que dans trois et l’esclavage dans un seul.

Siphamandla Zondi, professeur de relations internationales à l’université de Johannesburg, note que le fait de décrire un domaine comme « international » est une « mascarade ». On prétend que les cours de relations internationales traitent de tout le monde, mais en fait, on y parle principalement des pays occidentaux et de leurs citoyens blancs (ignorant les populations racisées ou autochtones).

En effet, les universitaires des pays du Sud sont marginalisés dans les listes de lecture, les manuels et la recherche, et même dans les revues féministes.

22 drapeaux représentant principalement des pays occidentaux flottent devant un ciel bleu
En général, les cours de relations internationales se concentrent uniquement sur les pays occidentaux et leurs citoyens blancs. (Shutterstock)

Une histoire plus complexe, moins masculine et moins occidentale

Le manque d’inclusion des femmes et des auteurs du Sud dans les listes de référence n’est pas seulement un problème de représentation, mais cela fait en sorte que ce sont toujours les points de vue masculins et occidentaux qui sont perpétués dans notre enseignement.

Ainsi, l’histoire de la Seconde Guerre mondiale aborde généralement l’Axe et les Alliés, l’évolution des armements, l’impérialisme allemand en Europe et le soutien militaire des États-Unis et du Canada.

Pour une histoire plus complexe – moins masculine et occidentale –, on devrait ajouter que cette guerre a changé le visage des sociétés occidentales, car les femmes ont remplacé sur le marché du travail les hommes partis à la guerre et n’ont pas voulu le quitter à leur retour. On mentionnerait également les guerres par procuration ainsi que les hommes et les femmes du Sud qui ont combattu aux côtés des Européens dans des batailles à l’étranger.

Un récit occidental du développement international commence typiquement en 1947, avec le président américain Harry Truman, qui mentionne pour la première fois les pays « sous-développés ». On y parle de la création d’organisations d’aide occidentales comme la Banque mondiale.

Une approche plus internationale élargirait le champ d’investigation et pourrait commencer par l’appropriation des richesses et des connaissances du Sud par les colonisateurs européens, la destruction des modes de vie des peuples autochtones et le traitement violent des populations africaines qui a contribué à l’enrichissement continu des capitalistes de Grande-Bretagne et des États-Unis. Cela permettrait de lier le concept de développement aux inégalités Nord/Sud, et pas seulement à l’aide occidentale aux pays du Sud.

Un changement qui s’opère lentement

On peut observer un signe encourageant de changement dans les conférences et les publications universitaires. De 2000 à 2010, les présentations sur le genre dans le cadre de la conférence annuelle de l’International Studies Association (ISA) ont connu une hausse de 400 %.

Il semble toutefois que les organisateurs de conférences tombent dans le même piège que les professeurs de relations internationales en enfermant les présentateurs dans la catégorie du féminisme. Sur plus de 320 communications qui traitent d’enjeux féministes, queer et de genre présentées à la conférence de l’ISA en 2021, seules 71 ont fait partie de panels qui n’étaient pas dédiés au genre.

On peut inviter des chercheurs qui s’intéressent au genre à participer à un groupe de discussion sur la sécurité en lien avec le genre, mais pas à un groupe plus général sur la sécurité.

Enseigner (ou ne pas enseigner) les questions liées à la race ou au genre influence la manière dont on décrit le monde aux universitaires et aux dirigeants de demain. En retour, cela aura une incidence sur les politiques et les recherches auxquelles on donnera la priorité.

Malheureusement, une chose est sûre : ces concepts ne sont pas encore intégrés dans les salles de classe des pays occidentaux. Et ils ne sont assurément pas en train de prendre d’assaut les universités.


Note de la rédaction : Ce reportage fait partie d’une série qui comprend également des entretiens en direct avec certains des meilleurs universitaires canadiens en sciences sociales et humaines. Cliquez ici pour vous inscrire à cet événement gratuit coparrainé par The Conversation/La Conversation et le Conseil de recherches en sciences humaines.

This article was originally published in English

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