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Expliquer pour comprendre

La vérité des chiffres

Statistiques en hausse… boris drenec/flickr, CC BY-NC-SA

Tout se mesure pour le meilleur et le pire. Les statistiques et les études quantitatives occupent une place majeure dans la gestion politique, économique et sociale de nos sociétés. Dans cet univers de la quantification, dénoncer « la quantophrénie », cette obsession de la mesure, n’a donc plus grand sens. En revanche, se pose de façon aiguë la question de savoir comment nous interprétons les chiffres que l’on ne cesse de nous fournir.

Au premier abord, il ne semble pas y avoir de problème. Le choix de fournir des données chiffrées sur les sujets les plus variés – le chômage, la croissance, la réussite scolaire, les inégalités, la dette, la santé, la recherche – apparaît comme une garantie de sérieux. Il permet de remplacer des évaluations approximatives par des données objectivables à partir desquelles il est possible de construire des raisonnements robustes. Et, si l’on s’en tient là, le seul problème, dont les débats politiques fournissent souvent une illustration, serait l’erreur – se tromper sur les chiffres – ou la malhonnêteté – donner des chiffres que l’on sait inexacts. Il ne s’agit pas de nier que ce problème existe, mais, en se focalisant sur lui, l’on passe à côté des difficultés que nous rencontrons dans l’appréciation des données chiffrées.

Prenons par exemple le coût par année de la consommation en France des drogues licites et illicites, évalué selon une étude récente financée par la Direction générale de la santé à 250 milliards d’euros. Voici un chiffre impressionnant, comme le sont tous les chiffres où apparaissent des milliards, mais qui risque de plonger les non-spécialistes que nous sommes dans la perplexité. À quoi renvoie-t-il ? Aux seules dépenses de santé ? Autre exemple, qui ne concerne plus nos choix en matière de santé, mais nos choix politiques, celui de la dette exprimée par le ratio valeur nominale de la dette/PIB. Personne n’ignore plus que de nombreux pays européens, dont la France, n’ont pas respecté les 60 % inscrits dans le Traité de Maastricht. Mais, si l’on n’a pas quelques connaissances en économie, comment se faire une représentation de cet endettement, sauf par une analogie trompeuse avec celui des ménages ?

Voir au-delà des chiffres

Pour donner un sens aux chiffres, il faut d’abord faire l’effort de regarder au-delà d’eux. Revenons au coût de la consommation des drogues. Pour arriver à ce chiffre, comme nous l’apprend la présentation de l’étude, les chercheurs ne se sont pas contentés d’additionner par année les dépenses engagées par l’État pour les soins, la prévention et la répression et de déduire les recettes apportées par les taxes. Ils ont aussi évalué le coût que représente la baisse de la production, la perte de la qualité de la vie et même, une fois déduites les retraites qui ne seront pas versées, celui des vies perdues. In fine ces 250 milliards qui ne sont pas un total arithmétique, mais une estimation, donnent une image fort suggestive du coût humain et économique de cette consommation.

On peut aussi regarder de la même manière les chiffres de la dette. Le PIB qui intervient dans le ratio est une construction tout aussi complexe que celle que nous venons de présenter. Il n’a rien à voir avec le montant des impôts prélevés par l’État et qui permettent à celui-ci de rembourser les intérêts de la dette. Il est un indicateur, produit de manière comptable, de la valeur de l’activité économique d’un pays. Indicateur de plus en plus contesté, ne serait-ce que parce qu’il ne prend pas en compte les fluctuations de la valeur de remboursement de la dette.

Chiffrer c’est choisir

Les chiffres sont donc le produit de choix et ceux-ci bien évidemment ne sont pas arbitraires. À cet égard les deux exemples que nous avons pris se révèlent particulièrement significatifs. Dans le premier cas, la quantification de la valeur d’une vie humaine et de la qualité de la vie, outre qu’elle attire l’attention sur la dimension humaine du coût, permet d’arriver à un chiffre très supérieur à celui qui reposerait uniquement sur les autres données. Dans le second, le calcul du PIB, uniquement à partir de données comptabilisables, permet de privilégier la dimension proprement économique en laissant de côté les activités non marchandes comme le bénévolat ou le travail domestique et de souligner le poids de la dette.

On le voit, pour atteindre la vérité des chiffres, il ne faut jamais perdre de vue qu’ils ne se ramassent pas comme les champignons dans les bois à l’automne et exiger dans la mesure du possible que les conditions de leur production soient portées à notre connaissance.

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