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La victoire de Modi est-elle celle du monde des affaires en Inde ?

Une projection de l'image du Premier ministre ré-élu, Narendra Modi sur l'écran du Bombay Stock Exchange (BSE) à Mumbai le 23 mai 2019. La bourse a connu une forte hausse dès les premiers résultats en faveur du BJP. Punit Paranjpe/AFP

La victoire de Narendra Modi et de son parti le BJP aux élections générales indiennes du 23 mai prête à beaucoup d’interprétations au sujet des raisons de son succès.

Parmi elles, le soutien de la communauté d’affaires qui a été très effectif et qui a été organisé autour d’une réelle stratégie.

Une élection largement financée par la communauté des affaires

Depuis les élections de 2014, la communauté des affaires a toujours été globalement très favorable à Narendra Modi. Un sondage de 2013 montrait que 74 % des 100 grandes entreprises indiennes préféraient voir Modi comme premier ministre plutôt que Rahul Gandhi qui n’était pas jugé – déjà à l’époque – comme une alternative crédible.

Cette communauté l’a toujours largement soutenu financièrement. Au cours de l’exercice fiscal se terminant le 31 mars 2018, la BJP avait un revenu de 10,2 milliards de roupies (environ 131 millions d’euros), soit cinq fois le niveau déclaré par le Congrès. Par ailleurs, 92 % du total des donations déclarées par le BJP proviennent d’entreprises principalement indiennes.

Ceci a été rendu possible notamment grâce à un changement de loi en 2017 sur le financement des partis politiques par le BJP qui permet aux donneurs nationaux et internationaux de rester anonymes et de ne pas être taxés lors de ce don.

Une victoire saluée en bourse

En outre, quand les sondages de sortie des urnes ont été publiés le 19 mai, l’ouverture de la bourse a salué la probable victoire de Modi avec un bon du National Stock Exchange index qui a augmenté de 3,7 %. Le 23 mai (jour de la proclamation des résultats), l’indice BSE a franchi la barre des 40 000 en moins de deux heures (un record inégalé).

Le nouveau premier ministre ne s’y est donc pas trompé. La campagne a été largement tournée vers cette communauté des affaires et des commerçants en particulier. En avril, dans son manifeste positionnant sa doctrine (« Sankalp Patra »), Narendra Modi promettait un prêt de 50 lakhs (5 millions de roupies, soit environ 640 000 euros) sans aucune garantie, une facilité de carte de crédit et un régime de retraite pour les petits commerçants. Il a fortement insisté sur l’importance de cette communauté d’affaire comme étant la « colonne vertébrale » de l’économie indienne.

Durant la campagne pour les élections législatives de 2013 sous les couleurs du BJP, Narendra Modi, alors à la tête de l’état du Gujarat (ouest), s’appuyait déjà sur la puissante communauté d’entrepreneurs. Ici à Mumbai, en septembre 2013, certains pèsent son poids en argent. AFP/STR

Un bilan économique en demi-teinte

Durant cette campagne, Narendra Modi n’a cessé de proclamer que la croissance n’avait jamais été aussi forte que sous son mandat.

Cette vision est totalement contredite par les économistes puisque la croissance du PIB a été seulement de 6,6 % sur le dernier trimestre et les analystes notent un ralentissement de cette même croissance depuis cinq trimestres.

Même si le Produit national brut (PNB) de l’Inde en fait actuellement la 6e économie mondiale, une partie de la communauté des affaires ne partage pas totalement son avis et reste préoccupée par la situation économique réelle durant le dernier mandat. Le ralentissement de la consommation semble particulièrement les inquiéter de même qu’une croissance plus tirée par la dépense gouvernementale (forts investissements dans les infrastructures et les grands projets).

Par ailleurs, la croissance de la capitalisation boursière dans de grands groupes indiens a été généralement plus importante sous le précédent mandat de Manmohan Singh (premier ministre de 2004 à 2014). Par exemple, les actions du groupe Tata ont ajouté 4,22 trillions de roupies (environ 54 milliards d’euros) à leur capitalisation boursière combinée au cours des cinq dernières années, contre 5,33 trillions de roupies (environ 68 milliards d’euros) sous le dernier mandat de Manmohan Singh du Congrès.

Le choc de la démonétisation

Le grand choc de la communauté des affaires durant le dernier mandat a sans conteste été la démonétisation qui a vu en 2016 l’obligation de rapporter les coupures de 500 et 1 000 roupies, retirées de la circulation.

La mesure était destinée à limiter l’économie parallèle et la corruption. Mais cette idée vertueuse a eu des effets pervers. Elle a contraint un grand nombre de petites entreprises (notamment dans l’industrie) à fermer et a contribué à déstabiliser le système financier indien à cause d’un afflux de liquidités provenant de l’extérieur très important (plus de 200 milliards de dollars).

Cependant, l’uniformisation du système fiscal complexe qui était fragmenté dans toute l’Inde a permis d’accroître l’efficacité des entreprises.

File d’attente devant la banque Axis, à Salt Lake, Kolkata, en 2016. La démonétisation a particulièrement affectée les populations les plus fragiles en Inde. Biswarup Ganguly/Wikimedia, CC BY-ND

Un meilleur climat pour les affaires ?

L’Inde est a d’ailleurs gagné 65 places dans le ranking de la Banque mondiale sur la facilité de faire des affaires depuis 2014. Par ailleurs, le soutien au jeunes entreprises dans la haute technologie et l’augmentation du nombre de micro-crédits aux petites entreprises artisanales ont été des preuves constructives du soutien de Modi à l’entreprenariat.

En outre, Narendra Modi n’a pas négligé la communauté des affaires issue de la diaspora indienne pour assurer sa réélection. Au cours des quatre premières années de son mandat, il s’est rendu dans 52 pays différents sur une période cumulative de 165 jours.

Durant ces voyages, la communauté des affaires s’est toujours fortement mobilisée lors des rencontres organisées. Par ailleurs, deux hommes d’affaires ont particulièrement bénéficié des voyages présidentiels de Modi : Gautam Adani (du groupe Adani, un grand conglomérat indien principalement spécialisé dans les infrastructures portuaires et l’énergie) et Anil Ambani (chairman du conglomérat Reliance ADA group). Ces deux sociétés ont signé en tout 18 accords dans 16 pays (dont 13 pour la société Adani), mais leurs dirigeants sont tous deux controversés.

Gautam Adani est critiqué pour avoir financé une partie de la campagne de Modi et pour l’avoir fait voyager sur les jets de la compagnie à tarifs préférentiels, et Anil Ambania été dernièrement accusé de favoritisme dans l’obtention du contrat de partenariat dans le cadre de l’achat d’avions Rafale par l’Inde.


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Une relation symbiotique

Si l’on observe le capitalisme indien par le haut, l’économie et la politique ont toujours eu une relation symbiotique étroite et réelle en Inde. Les acteurs économiques ont depuis longtemps de multiples points d’accès dans les institutions démocratiques, les institutions publiques et les organismes de réglementation.

Au fil du temps, et en particulier après les réformes économiques de 1991, les acteurs étatiques sont devenus plus ouverts et réceptifs à l’inclusion des entreprises. Ainsi, depuis 1991 et la libéralisation de l’Inde, de nombreux hommes d’affaires sont entrés au Parlement que ce soir à la Chambre haute (Rajya Sabha, comme Anil Ambani de 2004 à 2006 et Vijay Mallya entre 2002 et 2016), ou à la Chambre basse (Lok Sabha). En 1991, 14,2 % des députés Lok Sabha appartenaient à des professions commerciales ou marchandes.

En 2014, ce chiffre était passé à 26,2 %, avec une légère prédominance de ces acteurs élus au BJP. Si cette présence permet démocratiquement de représenter une part importante de l’économie et de la société civile comme dans peu d’autres démocraties, elle permet aux entreprises d’élaborer des politiques, en plus d’influer sur la façon dont les politiques sont mises en œuvre.

Conflits d’intérêts et lobbying

Même si leur rôle consiste aussi à critiquer les politiques et les ministères du gouvernement, cette symbiose permet de façonner les politiques dans des domaines plus spécialisés liés aux intérêts des entreprises. Elle donne également un avantage concurrentiel certain aux hommes d’affaires élus qui disposent d’informations de première main avant leurs concurrents peuvent créer des conflits d’intérêts certains. Vijay Mallya (ancien patron de la compagnie d’aviation Kingfisher), en tant que membre du comité sur l’aviation civile, a par exemple été un fervent défenseur de la règle de pouvoir servir de l’alcool sur les lignes intérieures.

Vijay Mallya (alors propriétaire des alcools et ligne d’aviation Kingfisher) en compagnie d’autres hommes d’affaires indiens Cyrus Poonawalla et Vivek Jain au « Derby indien » le 7 février 2016. Mallya a été arrêté à Londres en 2017 pour une série de délits financiers. Rudolph.A.furtado/Wikimedia, CC BY-ND

Avec un coût des élections entre 2014 et 2019 ayant presque doublé, notamment en raison de l’usage important des médias sociaux et des moyens de transport coûteux (dont l’hélicoptère), nul doute que cette tendance ne saurait décliner.

Le problème n’est pas tant cette tendance que les lois encadrant les liens entre ces entités, et le financement de la vie politique. Malgré les lois anti-corruption et la volonté affichée de Modi de « nettoyer » la vie politique, on observe que le changement de la loi en 2017 n’a fait que limiter la transparence attendue et ouvre des perspectives d’évolutions sous ce nouveau mandat plus opaques que jamais en renforçant encore plus le lien avec cette communauté des affaires.

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