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Des piétons et des cyclistes circulent sur la rue Sainte-Catherine à Montréal
Des gens déambulent sur une portion piétonne de la rue Sainte-Catherine, à Montréal, le 13 novembre. La pandémie a contribué à une reconnaissance de l’importance de l’espace public. La Presse Canadienne/Ryan Remiorz

La ville post-pandémie : vers une reconquête des espaces publics ?

La pandémie aura-t-elle permis d’amorcer un virage vers une ville plus saine, vouée au bien-être plutôt qu’à des préoccupations d’ordre fonctionnel et économiste ?

C’est l’hypothèse que semblent soutenir plusieurs chercheurs à travers le monde. À bien des égards, le confinement, et les mesures de distanciation physique, ont contribué à une reconnaissance accrue de l’importance de l’espace public comme lieu de rassemblement et d’équipement essentiel à la satisfaction des besoins primaires de la population. Les citadins ont pris conscience du rôle important de cet espace, milieu de vie essentiel à leur bien-être physique et psychologique.

Détentrice d’un doctorat en architecture de l’Université de Californie à Berkeley, je suis directrice des programmes d’études supérieures à l’École de design de l’UQAM, où j’enseigne le design de l’environnement depuis 19 ans.

Des gens profitent de l’été des Indiens, le 10 novembre, dans un parc à Montréal. La Presse Canadienne/Ryan Remiorz

Des parcs devenus essentiels

L’isolement forcé et la distanciation sociale ont exacerbé, chez une partie de la population, la solitude et l’anxiété, deux des grands maux de notre siècle. De nombreuses études démontrent que la solitude est liée à d’importants problèmes de santé, dont la dépression, les problèmes cardiaques et une diminution de l’espérance de vie.

Au cours des dernières décennies, l’individualisme, les politiques publiques néolibérales et les nouvelles technologies avaient déjà contribué à cet isolement. Les achats en ligne sont allés jusqu’à nous priver des micro-interactions qui représentaient parfois nos seuls contacts sociaux au quotidien.

Plusieurs Montréalais en situation d’isolement forcé ont pu apprécier les qualités de l’espace urbain de la métropole, avec ses espaces d’interstices (balcon, cour avant, ruelle) permettant de conserver certains contacts de proximité et les échanges avec les membres du voisinage, tout en respectant la distanciation physique. Des conversations d’un balcon à l’autre à l’heure de l’apéritif, aux pique-niques à distance entre voisins dans la ruelle, l’environnement domestique a pu s’élargir à la faveur de contacts humains majorés.

Des gens profitent de l’automne dans un parc, à Montréal, le 10 octobre. Les espaces publics, surtout les parcs, se sont révélés essentiels à la socialisation. La Presse Canadienne/Graham Hughes

Les espaces publics, surtout les parcs, se sont aussi révélés essentiels à la socialisation, particulièrement pour les jeunes. L’accès à la nature, aux grands espaces et aux équipements de sport et de loisir est apparu comme un besoin essentiel, avec des bénéfices tant individuels que collectifs. La marche à pied, un des seuls exercices accessibles à tous, a permis d’échapper à l’enfermement en s’exposant à l’air frais et au soleil.

La pandémie aura ainsi démontré les avantages de la piétonnisation, même temporaire, de certains grands axes, et la nécessité de trottoirs plus larges. On a pu constater l’importance des grands parcs linéaires comme la très populaire Promenade Champlain, à Québec, et les berges du canal de Lachine, à Montréal.

Le confinement a également révélé l’importance des espaces publics destinés aux animaux de compagnie, dont l’adoption s’est fortement accrue. Plus qu’une simple source de compagnie et d’affection pour les personnes souffrant d’isolement, ces animaux représentent également une raison de prendre l’air et de marcher, et peuvent servir de lubrifiant social, donnant l’occasion de socialiser avec d’autres propriétaires.

Des initiatives à travers le monde

À travers le monde, les villes ont compris l’importance de maximiser l’accès à l’espace public. Tout au cours du confinement, on a observé diverses initiatives créatives et peu coûteuses pour rendre les espaces urbains à la fois sécuritaires et appropriables. La pandémie a peut-être fait une victime imprévue : la vision automobiliste de la ville. Le nouveau contexte sanitaire a provoqué une prise de conscience collective de l’espace excessif consacré à l’automobile et de l’intérêt à mettre cet espace au service de l’humain.

Sans vouloir éliminer la voiture individuelle du paysage urbain, les villes ont cherché à promouvoir un partage plus équitable de l’espace public entre divers types d’usagers et modes de mobilité.

On a vu une augmentation accrue des rues piétonnes ou à usage partagé et la multiplication des pistes cyclables. À Rotterdam, les voitures sont bannies de certaines grandes artères après 16 heures, afin que les piétons puissent les investir. À Oakland, en Californie, des rues sont transformées en « slow streets », des lieux à usages mixtes où la voiture est tolérée, mais n’a plus la priorité. À Portland, en Oregon, on transforme les grands stationnements urbains dans les quartiers défavorisés en marchés fermiers. À Montréal, au parc Lafontaine, un accès pavé a été transformé en aire d’initiation au vélo. La transformation du stationnement sur rue en terrasses temporaires de café — un phénomène commun à Montréal depuis une décennie — s’est multipliée à travers le monde.

Une femme roule à vélo sur une piste cyclable temporaire mise en place par la ville, à Paris, le jeudi 7 mai 2020. Paris prévoit déjà le retrait de 72 % des espaces de stationnement sur rue, au bénéfice des vélos. AP Photo/Thibault Camus

Le succès commercial des rues piétonnisées à travers Montréal a assuré la survie de petits commerces, de bars et de restaurants. Les pratiques artistiques s’y sont multipliées, que ce soit la musique, le théâtre, la danse ou les projections multimédias, permettant aux artistes de s’afficher et gagner quelques sous. Pour les gens à mobilité réduite ou incapables de stationner à proximité, des solutions créatives (brouettes, pousse-pousse, etc.) ont été proposées.

Être dehors, le plus possible

Une autre tendance renforcée par la pandémie est celle de l’agriculture urbaine, avec une recrudescence marquée des micropotagers sur les balcons, dans les cours ornementales et les ruelles. Partout au Québec, la demande pour un lot dans les jardins communautaires est en forte croissance. Il ne s’agit pas seulement d’une question d’autonomie alimentaire, mais d’un besoin de toucher à la terre, une sorte de thérapie agricole, et d’un désir de manger plus sainement.


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D’autres aspects du design urbain pourraient être affectés par la pandémie, en raison des risques de transmission. La contagion étant moins rapide dans les espaces extérieurs signifie qu’il est plus sécuritaire de faire ses courses sur une rue commerçante et dans un marché public que dans un centre commercial hermétiquement clos ou une grande surface climatisée.

Les édifices devront eux aussi être repensés et offrir plus de ventilation naturelle, d’espaces extérieurs, individuel ou commun : toit-terrasse, cour, balcons. En ville, les espaces et équipements communs, tels que les abribus, les trottoirs, les traverses piétonnes et les zones de repos devront être repensés de façon durable.

La pandémie aura ainsi accéléré des tendances déjà émergentes vers une ville plus saine, humaine et active, créant de nouvelles habitudes qui lui survivront peut-être.

Certaines réallocations temporaires de l’espace automobile pourraient bien devenir permanentes après la fin de la pandémie. Plusieurs villes sont à repenser entièrement leur système de mobilité urbaine. Paris prévoit déjà le retrait de 72 % des espaces de stationnement sur rue, au bénéfice des vélos. On note déjà un usage accru des transports actifs, ce qui peut avoir à long terme un effet positif sur la congestion urbaine et la santé publique.

Paradoxalement, la Covid aura peut-être aussi des bénéfices sur la santé publique au long terme, favorisant une population plus active, autonome et solidaire.

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