En France, l’opposition aux droits des personnes trans est minoritaire mais en progression. Les conclusions de cinq vastes enquêtes mettent en lumière le rapport des Français à la transidentité.
Les droits des personnes transgenres (dont le genre ressenti ne correspond pas au sexe assigné à la naissance) reviennent de plus en plus fréquemment sur le devant de la scène politico-médiatique. Cet été, Emmanuel Macron a jugé « ubuesque » une proposition de la gauche visant à changer plus facilement la mention de sexe figurant sur les papiers d’identité. En mai, le Sénat a adopté une proposition de loi de la droite visant à interdire les transitions de genre pour les mineurs.
Plusieurs recherches ont montré que l’adoption de législations conservatrices ou, au contraire, progressistes comme en Espagne, peuvent susciter une forte « polarisation » sur les réseaux sociaux. Mais on dispose de peu de données, en particulier en Europe, sur les attitudes des citoyens à l’égard des personnes trans.
En France, la seule exception était, jusqu’à peu, un rapport de la CNCDH. L’exploitation de nouvelles enquêtes mesurant les attitudes des citoyens à l’égard des personnes trans en France vient compléter ces premiers résultats. Ces enquêtes mettent en lumière un contraste marqué entre l’acceptation abstraite des droits des personnes trans et leur acceptation concrète.
« Tout à fait à l’aise avec un collègue trans »
Selon une enquête Eurobaromètre de 2019 réalisée auprès de 1007 personnes, 71 % des Français considèrent que « les personnes transgenres devraient avoir la possibilité de changer leurs documents d’état civil pour qu’ils correspondent à leur identité sexuelle intérieure », soit 5 points de plus qu’en 2015. Seulement 19 % sont en désaccord avec cette idée (-5 points par rapport à 2015).
D’après la même enquête, 59 % des Français seraient tout à fait à l’aise si l’un de leurs collègues était trans (contre 55 % en 2015) et 4 % ne seraient pas du tout à l’aise (contre 5 % en 2015). Alors que l’école est souvent identifiée comme un lieu d’action privilégié des mouvements conservateurs, en 2019, 62 % des Français considèrent que « les leçons et le matériel pédagogique à l’école devraient inclure des informations sur le fait d’être transgenre » (contre 53 % en 2015) et seulement 27 % sont en désaccord avec cette idée (contre 38 % en 2015).
Une acceptation abstraite
Cependant, de nombreuses études sur l’homosexualité révèlent que son acceptation abstraite est souvent bien supérieure à son acceptation concrète. Notre équipe de recherche a souhaité vérifier s’il en allait de même avec la transidentité.
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Nous avons donc ajouté deux questions au volet français de l’enquête « Familles et rôles de genre » 2022 de l’International social survey programme (réalisé auprès de 2 136 personnes).
On constate certes que 69 % des répondants considèrent qu’une personne transgenre « doit pouvoir être légalement reconnue comme elle le souhaite » mais seulement 40 % accepteraient facilement la situation si leur enfant leur annonçait être transgenre et 42 % l’accepteraient difficilement ou ne l’accepteraient pas.
De plus, l’acceptation concrète de la transidentité reste plus minoritaire que l’acceptation de l’homosexualité (l’étude de la CNCDH l’avait également souligné). Ainsi, 67 % des répondants accepteraient facilement la situation si leur enfant leur annonçait être lesbienne, gay ou bisexuel et 22 % l’accepteraient difficilement.
Un recul de l’acceptation en 2024 ?
Par ailleurs, les attitudes favorables aux droits des personnes trans semblent refluer en France. Dans deux enquêtes conduites en juillet 2024 (auprès de respectivement 1315 personnes et 5109 personnes), nous constatons en effet que la part de personnes d’accord avec le fait que « les personnes qui le souhaitent doivent pouvoir modifier leur sexe sur leur carte d’identité ou leur passeport » n’est plus que de 50 % et 42 %. Cela demeure plus que les personnes en désaccord avec cette affirmation – respectivement 34 % et 37 %. C’est en outre bien moins que la part de personnes considérant qu’il est « normal que des couples homosexuels puissent adopter des enfants » dans les mêmes enquêtes (respectivement 61 % et 60 %).
La comparaison avec les enquêtes précédentes n’est néanmoins pas pertinente en raison de la formulation différente des questions, de modes de passation différents et de variables de pondération incluant ou non l’orientation politique. Il n’est toutefois pas impossible que la France vive une situation similaire aux États-Unis. Les attitudes favorables aux droits des personnes trans et des personnes LGBTQIA+ en général y ont progressé entre 2016 et 2020. Elles ont néanmoins reflué en 2024, y compris dans le camp démocrate. Cela concerne en particulier les questions qui ont été fortement mises à l’agenda médiatique par les mouvements conservateurs (toilettes, sport…).
Les hommes, moins tolérants
Si on s’intéresse à présent aux ressorts des attitudes des Français à l’égard des droits des personnes trans, l’exploitation des cinq enquêtes précédemment mentionnées montre que ces attitudes dépendent peu des caractéristiques sociales des personnes sondées. Seule exception : le genre et, dans une moindre mesure, l’âge. Les femmes sont ainsi significativement plus favorables aux droits des personnes trans que les hommes, en particulier au sein des plus jeunes générations, ce qui s’expliquerait par une moindre adhésion aux attitudes sexistes.
De même, les répondants les plus jeunes (moins de 30 ans) sont moins hostiles aux droits des personnes trans que les répondants âgés de 65 ans ou plus, ces derniers ayant tendance à moins se prononcer. On peut rapprocher ce résultat des attitudes globalement plus tolérantes des jeunes générations.
Des bac+5 citadins pas moins transphobes
En revanche, le niveau de diplôme n’a pratiquement aucun impact sur le degré d’acceptation des droits des personnes trans. Autrement dit, l’accumulation de capitaux scolaires ne rend pas mécaniquement plus tolérant (cela avait déjà été constaté à l’égard des personnes homosexuelles).
Enfin, loin de l’image d’un problème avant tout urbain, on constate que les habitants des zones rurales et des petites et moyennes villes ne sont qu’un peu moins nombreux à accepter les droits des personnes trans. Mais cette différence est, selon l’enquête, non significative, car liée à l’âge notamment, ou très faiblement significative.
Les variables les plus structurantes des attitudes à l’égard des droits des personnes trans sont, comme aux États-Unis, le fait de connaître des personnes concernées, la religion et le positionnement politique sur un axe gauche-droite. Il en va de même à l’égard des droits des personnes homosexuelles.
Le fait d’avoir des amis ou relations qui sont des personnes transgenres est rare (10 % selon l’enquête Eurobaromètre de 2019, 7 % en 2015), mais va de pair avec une acceptation beaucoup plus importante des droits des personnes trans.
Ensuite, le fait de déclarer appartenir à une religion, quelle qu’elle soit, va de pair avec une moindre acceptation des droits des personnes trans.
Enfin, plus un individu se positionne à droite, moins il adopte des attitudes favorables aux droits des personnes trans. Pour ne donner qu’un exemple, dans l’enquête auprès d’un échantillon de 5 109 personnes que nous avons réalisée en 2024, 73 % des personnes se situant très à gauche et 61 % des personnes se situant à gauche sont d’accord avec le fait que « les personnes qui le souhaitent doivent pouvoir modifier leur sexe sur leur carte d’identité ou leur passeport ». Cette proportion tombe à 30 % parmi les personnes se situant à droite et à 20 % parmi les personnes se situant très à droite. Sur le plan électoral, ce sont 69 % des électeurs du Nouveau Front populaire et même 49 % des électeurs d’Ensemble qui sont d’accord avec cette affirmation contre seulement 23 % des électeurs du RN et 27 % de celles et ceux de LR.
En France, les droits des personnes trans sont donc loin de diviser la société entre classes supérieures et classes populaires ou entre villes et campagnes. L’opposition à ces droits reste minoritaire, même si elle semble se renforcer. De plus, si elle est plus répandue parmi les hommes, elle est surtout politiquement située à droite et à l’extrême droite, a fortiori quand cette question est mise à l’agenda politique. À gauche et au centre, il est dès lors légitime de s’interroger sur l’efficacité électorale d’une mise en sommeil des discours favorables aux droits des personnes trans et, plus encore, sur l’adoption de discours ouvertement critiques à leur égard.