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« Sur la piste du Marsupilami », une adaptation audacieuse d'Alain Chabat, en 2012. Chez Wam – Nicolas Guiraud

L’adaptation de BD au cinéma, un pari risqué  ?

L’adaptation cinématographique de bandes dessinées est un phénomène ancien qui existe quasiment depuis l’invention du cinéma. Comment interpréter ce phénomène ? Quels sont les enjeux côté éditeurs et producteurs ? Quels sont les critères d’une adaptation réussie ?

Quelques mois avant la sortie du très attendu Valerian et la Cité des milles planètes de Luc Besson, film le plus cher de l’histoire du cinéma français, nous proposons quelques éléments de réponse à ces interrogations.

D’un point de vue marketing, l’adaptation peut être analysée par le prisme de l’extension de marque (« brand stretching ») qui consiste à utiliser une marque performante sur un marché donné dans un autre domaine d’activités. Bic, cas d’école, est ainsi réputé pour avoir étendu sa marque avec succès des stylos aux briquets puis aux rasoirs alors qu’il a échoué pour les parfums et les collants.

Si les avantages procurés par cette stratégie sont multiples pour l’entreprise (générer des revenus additionnels, démontrer ses capacités à innover, réussir en dehors de son marché d’origine, conquérir de nouveaux clients, accroître sa visibilité), ses risques sont tout aussi réels (réactions négatives des clients et des distributeurs, complexité de gestion, extension ratée).

Dans notre perspective, l’idée est de considérer une bande dessinée et/ou son personnage principal comme une marque qu’on pourrait transposer à d’autres supports. La technique comporterait donc des opportunités pour les éditeurs de bande dessinée ainsi que pour les producteurs de films.

Un acteur « bankable » ne garantit pas toujours le succès. Christine Tamalet/Allociné, CC BY

Côté éditeur, l’adaptation constitue un prolongement naturel (à l’instar d’un produit dérivé ou d’un jeu vidéo) de la bande dessinée qu’elle revitalise tout en lui permettant de conquérir un nouveau public qui découvre les univers à travers les films. Elle représente également une manne financière non négligeable. Outre la cession des droits d’adaptation, la sortie du film peut également booster les ventes d’albums – ce qui a été constaté avec Lucky Luke et Boule et Bill et faciliter la commercialisation de la licence auprès d’autres entreprises (les deux films des Schtroumpfs ont généré de nombreux partenariats avec des marques comme McDonald’s, Haribo ou H&M).

L’adaptation de BD, une manne commerciale ? Chris/Flickr, CC BY

L’industrie du cinéma est, quant à elle, à la recherche permanente d’idées, de personnages, d’histoires attirant un vaste public dans les salles. Deux alternatives se posent, l’écriture d’un scénario original ou l’adaptation d’une histoire existante. La seconde option est souvent privilégiée en puisant dans des sources aussi diverses que les ouvrages, les biopics (films sur la vie d’une célébrité décédée ou encore vivante), les jeux vidéo (Silent Hill), les séries télévisées (Starsky et Hutch), les jouets (La Grande Aventure Lego) ou les attractions (Pirates des Caraïbes). Parmi ces supports variés, la bande dessinée reste un grand classique et une valeur sûre, en dépit de la difficulté même de l’adaptation.

Un casse-tête artistique

En 2014, L’Express titrait « Pourquoi les adaptations de BD au cinéma sont-elles (presque) toujours ratées ? ». Ce constat, sévère bien que fondé, résume assez bien la difficulté (certains diront l’impossibilité) de la tâche.

Tout d’abord, les supports sont de nature assez différente, le cinéma étant une expérience individuelle et/ou collective (et familiale) par rapport à la BD qui reste éminemment individuelle (bien que d’importantes communautés fassent vivre la marque de manière collective comme en témoignent les conventions). Ensuite, les rythmes sont différents, le lecteur dictant le tempo alors que le spectateur subit sa continuité et sa linéarité (du moins, quand le film est visionné au cinéma).

Dans le même ordre idée, la part d’imaginaire et d’interprétation est plus importante dans la BD. Enfin, certaines créations comme Boule et Bill ou Gaston Lagaffe, fondées sur des histoires très courtes ou des sketches, paraissent inadaptées au format cinématographique.

Dans tous les cas, le scénario devra réaliser l’exploit de traduire l’univers de la BD en langage cinématographique.

Au-delà de cette difficulté imposée par le format (il s’agit avant tout de réaliser un film et non de transcrire une BD), se pose le dilemme du respect de l’esprit de l’œuvre originale. Le réalisateur doit-il coller à l’imagerie et au texte de la BD, ou au contraire s’affranchir de la chape de plomb du matériau original pour se réapproprier l’univers ? Alain Chabat a su séduire les critiques avec ses adaptations très audacieuses d’Astérix et du Marsupilami, mais a dérouté certains fans des BD, qui lui ont reproché de s’être trop éloigné de l’esprit des créateurs. Jan Kounen, de son côté, a complètement déstabilisé le public avec son interprétation du personnage de Blueberry.

Le choix des acteurs incarnant les héros s’avère aussi un art délicat. S’il est tentant de confier ces rôles à des stars qui peuvent drainer sur leur nom de nombreux spectateurs, l’option d’un acteur moins connu mais correspondant mieux à l’esprit et au physique du personnage est tout aussi acceptable. Outre son coût, la célébrité reste complètement tributaire d’autres éléments comme le scénario, la réalisation, les dialogues ou les effets spéciaux. Des personnalités aussi « bankables » que Jean Dujardin et Vincent Cassel n’ont pas suffi à transcender les adaptations de Lucky Luke et de Blueberry, alors que le pari plus audacieux d’un Tomer Sisley pour Largo Winch s’est avéré gagnant.

L’affiche de « Largo Winch . Wild Bunch distribution

Enfin, les moyens alloués aux costumes, aux décors ainsi qu’aux effets spéciaux jouent un rôle important pour projeter les spectateurs dans l’univers souvent extraordinaire traduit merveilleusement par les bandes dessinées. Les films tirés des comic books américains ont longtemps pâti du piètre niveau des effets spéciaux avant d’en faire un facteur clé de succès essentiel d’un business colossal.

L’industrie de l’adaptation

Un tournant s’est opéré à partir du moment où Marvel a décidé de produire les films tirés de ses comics alors qu’auparavant des studios traditionnels (Sony, Fox) exploitaient une licence concédée par l’éditeur.

Deux séries de films (X-Men et Spider Man) ont incité Marvel à changer de stratégie afin de récolter l’essentiel des recettes des adaptations. Depuis Hulk et Iron Man, l’entreprise va de succès en succès (tous les films sont rentables en dépit de coûts de production énormes) et de nouvelles sorties sont programmées jusqu’en 2028 !

Le succès des productions Marvel ne se dément pas. Allociné

Disposant d’un portefeuille de personnages diversifié et sans cesse renouvelé, Marvel semble avoir trouvé la formule commerciale et artistique mainstream capable d’attirer dans les salles du monde entier un public familial. Tout comme son principal concurrent, DC Comics, Marvel gère ses personnages comme des franchises qu’il étend à l’infini avec des sequels, des prequels, des reboots, des spin-offs et autres crossovers. Le fait que les éditeurs de comic books soient contrôlés ou partenaires de grands groupes multimédia conforte cette thèse de l’industrie de l’adaptation (Marvel est sous pavillon Disney, DC Comics appartient à Warner et Sony a mis la main sur le catalogue de Valiant Comics).

Il est extrêmement tentant pour l’industrie cinématographique de continuer à exploiter l’extraordinaire réservoir d’histoires et de personnages provenant de la BD franco-belge, des comic books ou des mangas. Et s’il n’existe pas de formule magique concernant l’adaptation d’une bande dessinée au cinéma, cette stratégie s’avère souvent rentable pour les éditeurs et les studios, même si elle peine à faire l’unanimité auprès des fans de BD et des critiques de cinéma.

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