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L’administration Biden et la guerre en Ukraine : la ligne dure est-elle tenable ?

Joe Biden et Volodymyr Zelensky
Joe Biden accueille Volodymyr Zelensky à la Maison-Blanche, à Washington, le 21 décembre 2022. Olivier Douliery/AFP

La récente normalisation entre l’Arabie saoudite et l’Iran, succès de la diplomatie chinoise, est une nouvelle illustration de la transformation des rapports de force internationaux que révèle et accélère la guerre en Ukraine. Si les négociations entre Riyad et Téhéran avaient démarré avant le déclenchement de ce conflit, le contexte de la guerre a augmenté la marge de manœuvre stratégique de l’Arabie saoudite (mais aussi des Émirats arabes unis), dont le refus de souscrire aux demandes américaines s’agissant des mesures coercitives à l’égard de Moscou constitue une manifestation criante. Cette nouvelle donne, qui confirme la fin de l’adhésion des partenaires traditionnels des États-Unis à l’agenda global de ceux-ci, a une incidence sur le débat stratégique en cours aux Washington sur la guerre en Ukraine.

Ce débat est marqué par deux points de vue opposés. Le discours dominant au sein de l’administration Biden prône un appui maximal à Kiev jusqu’à la défaite indiscutable de la Russie, considérant que l’issue de la guerre aura un impact décisif sur la reconfiguration des rapports de force internationaux. L’autre point de vue, moins fréquent mais défendu par une partie des militaires américains, souligne qu’une issue militaire à la crise semble difficile et que seules des négociations qui aboutiront à un compromis permettront de mettre fin au conflit. Ce camp estime que l’intérêt des États-Unis est de ne pas s’enliser dans un soutien constant à Kiev dans le cadre d’une guerre longue qui exigerait toujours plus de moyens et détournerait Washington de son principal objectif stratégique, à savoir la confrontation avec la Chine.

La ligne dure de l’administration Biden

Les déclarations incendiaires vis-à-vis de Moscou se sont multipliées au cours des dernières semaines. Exemple parmi d’autres : le 18 février dernier, lors de la Conférence de Munich sur la sécurité la vice-présidente Kamala Harris a accusé la Russie d’être responsable non plus seulement de « crimes de guerre » mais aussi de « crimes contre l’humanité », déclarant que « les auteurs et leurs supérieurs seront tenus de rendre des comptes ». Des propos soutenus par le secrétaire d’État Anthony Blinken.

Cette accusation portée par les plus hautes instances américaines traduit la détermination du courant politique dominant à poursuivre la guerre, reprenant la position de l’Ukraine, qui considère qu’il faut rétablir l’unité territoriale totale du pays (Crimée comprise) et qu’aucun dialogue n’est possible avec Poutine avant que cet objectif n’ait été atteint.

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Pour autant, cette position ne fait pas l’unanimité dans le camp des dirigeants occidentaux. Dans un entretien accordé au Figaro au retour de la Conférence de Munich, Emmanuel Macron avait exprimé son souhait de voir la défaite de la Russie, mais non son « écrasement ».

Ces propos illustrent le fait que parmi les élites politiques, il existe une divergence de perception des risques et de la vulnérabilité des pays occidentaux face à la guerre en Ukraine. Au-delà des discours médiatisés des décideurs politiques, cette approche de la configuration géopolitique induite par la guerre en Ukraine est également partagée par un certain nombre de militaires américains.

La Rand Corporation tire le signal d’alarme

Le chef d’état-major américain, le général Milley, a rappelé à plusieurs reprises que seules les négociations pourraient mettre fin à la guerre.

Plus récemment, une étude de la Rand Corporation – connue pour être le think tank le plus proche du Pentagone et dont les analyses reflètent les débats au sein de l’institution militaire américaine – intitulée « Avoiding a Long War. US Policy and the Trajectory of the Russia-Ukraine Conflict » souligne les risques encourus pour les États-Unis en cas de guerre longue avec la Russie.

Elle rappelle qu’un engagement dans un conflit de longue durée génère le risque d’une guerre entre l’OTAN et la Russie qu’il « serait extrêmement difficile de maintenir en deçà du seuil nucléaire ».

Un conflit de longue durée aurait également des conséquences économiques majeures : « Pour les États-Unis et l’Union européenne, les coûts liés au maintien de la solvabilité économique de l’État ukrainien se multiplieront au fil du temps. »

Toutefois, le point qui cristallise les préoccupations est davantage « la capacité des États-Unis à se concentrer sur leurs autres priorités mondiales – en particulier la concurrence avec la Chine » qui reste « limitée tant que la guerre absorbera le temps des hauts responsables politiques et les ressources militaires américaines ». Le rapport insiste notamment sur le fait qu’une « guerre plus longue qui accroît la dépendance de la Russie pourrait donner à la Chine des avantages dans sa compétition avec les États-Unis ».

Les limites de la stratégie du containment

Pékin semble d’ores et déjà avoir rehaussé son engagement auprès de Moscou dans cette guerre, au point que Anthony Blinken mette en garde contre une participation de la Chine à l’effort de guerre du Kremlin, qui constituerait un « grave problème ».

L’endiguement de Pékin ne peut être conçu comme une répétition mécanique de la stratégie appliquée contre l’URSS pendant la guerre froide. Le déploiement militaire ou la volonté d’imposer une course aux armements ne suffisent plus à contenir l’affirmation d’une puissance économique, commerciale, technologique et scientifique disposant de capacités militaires et d’une influence politique croissante.

Une stratégie efficace implique de freiner l’essor des relations commerciales et économiques de Pékin – qui a plus de partenaires commerciaux que les États-Unis – ainsi que sa coopération scientifique et technologique avec les autres pays du monde, à commencer par les pays du Sud, en particulier dans des domaines « sensibles » tels que les technologies de l’information.

Du point de vue de la Chine, l’intégration réussie des pays du Moyen-Orient dans le projet « One Road, One Belt » revêt donc une importance cardinale pour tenir en échec la stratégie de l’endiguement. Pour y parvenir, Pékin a non seulement besoin de développer des relations économiques et commerciales vitales avec les États de la région, en particulier dans le domaine de l’énergie, mais également de s’imposer comme médiateur pour arbitrer les contradictions afin de maintenir un climat de stabilité et préserver les intérêts de l’ensemble des parties.

Les dissonances qui existent et l’absence de consensus aux États-Unis sur l’évolution de la stratégie et de la guerre dans un contexte de transformation accélérée des rapports de forces internationaux est en partie due à une erreur d’appréciation que commettent plus souvent les politiques que les militaires et qui est relevée par l’ancien ambassadeur américain en Syrie et en Algérie, Robert Ford. Dans un article paru le 12 février dernier dans le quotidien arabophone Asharq el Awssat intitulé « Le durcissement des États-Unis face à leurs adversaires », le diplomate explique qu’après l’expérience de 2003 en Irak, « Washington a souvent tendance à surestimer ses capacités » et à considérer « ses ennemis comme faibles ». Bien que la prégnance de cette perception n’en fait pas une réalité, elle pourrait toutefois conduire les États-Unis à franchir « sans le vouloir une ligne rouge qui provoquera une réaction violente de la part de leurs adversaires »…

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