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Cancers pédiatriques en Afrique : une situation difficile mais qui s’améliore

Le Dr Koffi Guedenon ausculte un enfant assis sur les genoux de sa mère, au CHU de Lomé
Le service d’oncologie pédiatrique du CHU Sylvanus Olympio de Lomé (Togo) dispose de son propre laboratoire d'anatomie pathologique, indispensable pour établir des diagnostics de qualité qu'utilise le Dr Koffi Guedenon. Dr Koffi Guedenon, CHU Sylvanus Olympio, Author provided

L’oncologie pédiatrique est une spécialité médicale relativement jeune mais qui a connu, tout au long des dernières décennies, un développement particulièrement rapide. Cela tient notamment aux très importants progrès obtenus dans la prise en charge de ces enfants et à l’amélioration considérable des taux de guérison observés au cours des trente dernières années.

Néanmoins, ces progrès n’ont concerné qu’une partie des enfants dans le monde, principalement en Europe et Amérique du Nord, laissant de côté 80 % de la population pédiatrique mondiale, dont celle en particulier du continent africain. S’il atteint aujourd’hui 80 % dans les pays à revenu élevé, le taux de guérison dans les pays à revenu faible ou intermédiaire reste de 10 à 40 %, les chiffres exacts étant difficiles à connaître.

Chaque année, on évalue ainsi à 400 000 le nombre d’enfants touchés par le cancer dans le monde, mais, alors que seuls 3 % d’entre eux échappent au diagnostic en Europe et en Amérique du Nord, ce chiffre atteint 57 % en Afrique de l’Ouest. En d’autres termes, sur les 6 à 7 millions d’enfants susceptibles d’être touchés par le cancer entre 2015 et 2030, 2,9 millions d’entre eux, dont une grande partie en Afrique, mourront faute d’avoir été diagnostiqués.

Des cancers différents selon les populations

Les leucémies, les lymphomes et les tumeurs du cerveau et de la moelle sont les cancers les plus fréquents dans le monde chez les enfants de moins de 16 ans.

Néanmoins, cette répartition varie suivant les pays, en fonction notamment du nombre de cancers effectivement diagnostiqués (plateau technique souvent insuffisant dans les pays du Sud) et des facteurs génétiques et environnementaux (exemple du lymphome de Burkitt, endémique en Afrique et plutôt sporadique dans les pays du Nord).

À l’évidence, lutter contre les cancers de l’enfant constitue aujourd’hui un véritable défi pour les pays à revenu faible ou intermédiaire, et plus spécifiquement pour nombre de pays africains : 22 pays parmi les 25 les plus pauvres du monde se trouvent en Afrique et affichent un PIB par habitant moyen de 558 € (à titre de comparaison, le PIB par habitant en France s’élève à 39 500 € en 2021). Au Togo par exemple, la dépense totale de santé était évaluée en 2012 à environ 210 millions d’euros par an soit environ 40 € par an par habitant ; en France, en 2019, elle était évaluée à 208 milliards d’euros par an soit 3 102 € par an par habitant.

Comment améliorer ces résultats et faire en sorte que « les enfants africains puissent être traités avec succès dans leur pays par des équipes africaines », comme le proclamait en 2000 le Pr Jean Lemerle, fondateur du Groupe franco-africain d’oncologie pédiatrique (GFAOP) ? Une amélioration de l’offre de service, en termes cliniques, diagnostique et thérapeutique est indispensable.

Améliorer accueil et formation

Elle suppose une amélioration de la formation des personnels médicaux et paramédicaux, de manière à ce que soient créées des unités dédiées et de véritables équipes pluridisciplinaires indispensables à une prise en charge efficace des enfants.

Elle passe aussi par de meilleures conditions d’accueil, par un accès facilité aux médicaments spécifiques (chimiothérapie), à la radiothérapie, à la chirurgie oncologique mais également aux thérapies liées aux soins de support, aux soins palliatifs et à la douleur. Enfin, elle nécessite un appui aux programmes de communication communautaires et de mobilisation sociale en faveur du diagnostic précoce des enfants.

En 2018, l’OMS a lancé l’initiative de lutte contre le cancer de l’enfant (Cureall) dans le but d’apporter une aide technique aux gouvernements afin qu’ils renforcent et maintiennent des programmes de qualité pour combattre cette maladie. Cette initiative peut être rapprochée d’autres actions menées par diverses organisations telles que le GFAOP ou l’AMCC (Alliance mondiale contre le cancer).

Cette dernière, par exemple, a développé depuis 2016 un programme de lutte contre le rétinoblastome, en formant des médecins au diagnostic précoce et au traitement de cette maladie dans plusieurs pays d’Afrique. Le GFAOP, quant à lui, s’est investi depuis les années 2000 dans le développement et la structuration progressive de plus de 20 unités d’oncologie pédiatrique en Afrique francophone.

Il a d’abord œuvré au financement des médicaments anticancéreux pour les cinq cancers les plus fréquents en Afrique (lymphome de Burkitt, néphroblastome, rétinoblastome, leucémie aiguë et lymphome de Hodgkin). Ensuite entre 2014 et 2018, il a créé à Rabat (Maroc) un DIUOP (Diplôme interuniversitaire d’oncologie pédiatrique) pour la formation des pédiatres, puis l’Institut Jean Lemerle à Dakar (IAFOP, Institut africain de formation en oncologie pédiatrique) pour les paramédicaux. Il a en outre mis en place, en 2019, un programme de diagnostic précoce destiné à lutter contre les retards diagnostiques dans les pays d’Afrique francophones affiliés au GFAOP.

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S’adapter aux spécificités locales

Tous ces programmes, mis en œuvre à une échelle multinationale, sont autant d’actions essentielles au développement de l’oncologie pédiatrique en Afrique. Ils ont été complétés au plus près du terrain par des partages d’expérience entre les équipes d’oncologie pédiatrique françaises et africaines, notamment au travers de jumelages développés à partir de 2015 par le GFAOP.

Le CHU Sylvanus Olympio de Lomé, en collaboration avec le CHU d’Angers, a mis en place un plan quinquennal de développement de l’oncologie pédiatrique prenant en compte les réalités togolaises. Koffi Guedenon, CHU Sylvanus Olympio, Author provided

Ces jumelages sont en effet l’un des meilleurs moyens de cerner les spécificités de chaque pays africain, et de prendre en compte à la fois les besoins et les attentes de chaque pays mais aussi ses capacités et ses priorités en matière de santé. C’est en tout cas ce que nous a enseigné la collaboration mise en place en 2017 entre l’équipe d’oncologie pédiatrique du CHU Sylvanus Olympio de Lomé et celle du CHU d’Angers.

Les deux équipes ont réussi à élaborer, avec l’ensemble des responsables institutionnels concernés, un plan quinquennal de développement de l’oncologie pédiatrique prenant en compte les réalités togolaises, non seulement sur le plan sanitaire, mais aussi sur les plans économique et politique.

Cette collaboration a permis la réhabilitation du laboratoire d’Anatomie pathologique du CHU Sylvanus Olympio, étape indispensable à l’obtention de diagnostics de qualité. C’est dans ce laboratoire que sont étudiées au microscope les tumeurs opérées afin que les médecins pathologistes en fassent le diagnostic précis. Ceci permet ensuite de proposer aux patients les traitements les plus adaptés.

Des objectifs ambitieux

D’autres actions existent, telles que la mise en place de réunions médicales communes (visioconférences mensuelles) pour discuter de la prise en charge des patients, la modernisation des liaisons Internet, la formation des médecins et des personnels para médicaux, ou encore l’autonomisation pour l’obtention des médicaments essentiels.

Toutes s’inscrivent en parallèle des actions menées par le gouvernement togolais dans le cadre du Plan national de développement sanitaire qui, à terme, devrait permettre d’accroître sensiblement la couverture maladie de la population.

La route est longue qui mène vers l’objectif fixé par l’OMS d’un taux de survie de 60 % au moins pour tous les enfants atteints de cancer d’ici à 2030. Nous croyons cependant que ceci peut être réalisé à la condition que les États à revenu élevé prennent véritablement conscience de leurs responsabilités vis-à-vis des pays à revenu faible ou intermédiaire, et tout particulièrement des pays africains.

Mais, comme le soulignait Thomas Sankara, il serait probablement nécessaire, dans le même temps, de sortir du principe de l’aide au développement pour instituer « une véritable collaboration, de sorte que toutes les actions entreprises constituent des actions pertinentes […] et non des aides permanentes avec lesquelles les populations puissent vivre seulement grâce à celles-ci ».


Le Pr. Isabelle Pellier (PU-PH) et le Dr Stéphanie Proust (PH), de l’unité d’onco-hémato-immunologie pédiatrique du CHU d’Angers, ont également contribué à la rédaction de cet article ainsi qu’à sa relecture.

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