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L’Afrique de l’Ouest remplit-elle les conditions d’une zone monétaire optimale ?

Le président du Niger, Mahamadou Issoufou, prononce un discours le 24 octobre 2017 à l'ouverture d'un sommet des chefs d'Etat de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) à Niamey sur la création d'une monnaie unique de la CEDEAO. Boureima Hama/AFP

Les 15 pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont décidé, fin juin 2019, de créer une monnaie appelée éco. Dans la foulée, l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) a déclaré qu’elle allait changer le nom du franc CFA en éco.

Il s’agit d’un vieux projet qui remonte à plusieurs décennies.

C’est le 20 avril 2000, à Accra, que les six pays ouest-africains (Gambie, Ghana, Guinée, Liberia, Nigeria, Sierra Leone) ont annoncé leur intention de créer une Union monétaire en Afrique de l’Ouest (UMOA). Celle-ci deviendra en avril 2002 la Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest (ZMAO) à côté de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), regroupement de huit États ouest-africains essentiellement francophones (à l’exception de la Guinée-Bissau), ayant en partage le franc CFA.

Le projet prévoyait une fusion ultérieure de cette seconde union monétaire avec l’UEMOA. Le but était de faire coïncider les frontières de l’Union monétaire avec celles de la Cédéao. Ce scénario conduirait l’UEMOA à renoncer au franc CFA pour adopter l’éco, nouvelle monnaie régionale dont le régime de change vis-à-vis de l’euro et du dollar ne fut pas précisé. Mais sommes-nous aujourd’hui dans une configuration régionale propice à une union monétaire ?

La Cédéao, une zone monétaire optimale ?

Sur le plan théorique, c’est Robert Mundell qui a jeté les bases théoriques de la zone monétaire optimale. Autrement dit, il a énoncé les critères à l’aune desquels des régions du monde peuvent décider d’adopter une monnaie unique. Si l’on applique cette théorie à la Cédéao, que découvre-t-on ? La plupart des recherches qui analysent les coûts et les bénéfices d’une union monétaire au sein de la Cédéao (Masson et Pattillo en 2001-2002, Benassy-Quéré et Coupet en 2005, Houssa en 2008, Tapsoba en 2009, Prasad en 2019)) montrent que si les bénéfices d’une monnaie unique pour les pays ouest-africains sont potentiellement importants (en particulier en termes de commerce régional et de performance macro-économique), les coûts n’en demeurent pas moins élevés.

Les coûts d’une union monétaire

Les analyses montrent que la divergence des chocs est si importante entre les économies ouest-africaines que les coûts d’une union monétaire au niveau de la Cédéao risqueraient d’être plus importants que les bénéfices attendus.

Plus spécifiquement, le fait que les pays de l’UEMOA soient importateurs nets de pétrole, alors que le Nigeria, véritable géant économique de la zone, est exportateur net de pétrole, rend a priori difficile la mise en place d’une politique monétaire commune à l’espace Cédéao. En effet, les pays de l’UEMOA et le Nigeria ne sont presque jamais dans la même phase du cycle économique lors de la survenance d’un choc d’offre (par exemple la hausse ou la baisse du prix du pétrole).

Une politique monétaire commune à des pays en opposition de phase dans le cycle économique ne peut être optimale. Elle induirait tôt ou tard la tentation, pour certains pays, de récupérer leur souveraineté monétaire afin de faire face aux défis spécifiques de leurs économies respectives.

Les avantages

Au titre des bénéfices attendus, il convient de mentionner en particulier la réduction des coûts de transaction liés aux échanges.

Deux conditions sont requises pour que les gains d’une union monétaire soient supérieurs aux coûts : le caractère symétrique des chocs qui affectent les différentes économies, et l’existence de mécanismes alternatifs (par exemple une grande flexibilité des marchés) devant prendre le relais des ajustements du taux de change lorsque surviennent des chocs asymétriques.

Cependant, d’autres arguments, fondés notamment sur l’approche endogène des critères d’optimalité, plaident pour la mise en place d’une monnaie unique au sein de la Cédéao.

En effet, l’existence même d’une telle union monétaire pourrait être source de développement du commerce régional et donc de lissage intrarégional des chocs affectant les économies de la Cédéao. En outre, il peut se développer la notion de partage des risques, illustrée par la mobilité accrue des facteurs de production, la mise en place d’institutions comme les fonds de compensation, et le développement des marchés financiers régionaux.

Le ministre français de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire et le ministre de l’Économie du Bénin Romuald Wadagni posent pour une photo après la signature de l’accord de réforme du franc CFA le 21 décembre 2019 au palais présidentiel à Abidjan. Ludovic Marin/AFP

Les enseignements de la zone UEMOA

Il ne fait guère de doute que l’UEMOA ne correspond pas à tous les critères qui fondent l’optimalité d’une zone monétaire. En attestent les études empiriques qui montrent qu’il n’y a pas eu d’augmentation du caractère symétrique des chocs (faible corrélation des chocs liés aux termes de l’échange). Ceci s’explique notamment par la forte spécialisation des pays dans la production et surtout l’exportation de quelques matières premières, ce qui exclut une complémentarité entre eux.

En outre, il existe une forte hétérogénéité des structures économiques dans une zone où coexistent trois types d’économies : des économies sahéliennes fortement dépendantes des aléas climatiques (Burkina, Mali, Niger) ; des économies relativement industrialisées et à forte dominance des activités de services (Côte d’Ivoire, Sénégal) ; et, enfin, des économies côtières dont la dynamique est clairement tirée par le commerce d’import-export (Bénin, Togo).

Pour ce qui concerne le critère relatif à la mobilité de la main-d’œuvre, cette dernière est restée très faible en dépit de l’existence du Traité de l’UEMOA qui prévoit dans son article 4 la libre circulation et le droit d’établissement des personnes exerçant une activité indépendante ou salariée. Les mouvements migratoires semblent être plus liés aux déterminants historiques et culturels qu’aux ajustements économiques.

De plus, les difficultés qu’a connues à la fin des années 2000 la Côte d’Ivoire, pays le plus important de l’Union sur le plan économique, n’ont pas facilité les migrations de travailleurs en direction de ce pays, dans un contexte de regain nationaliste illustré par les controverses autour de la notion d’« ivoirité ».

Enfin, la faible flexibilité des prix relatifs dans des économies structurellement oligopolistiques (entre les mains d’oligopoles), et le bas niveau du taux d’épargne couplé à la faible profondeur du marché financier régional réduisent les transferts intracommunautaires au plan microéconomique. Tout cela, couplé à la faiblesse des fonds structurels, empêche la mise en place de politiques d’envergure macroéconomique et sectorielle de convergence des pôles régionaux, et la transformation de l’UEMOA en une zone monétaire optimale.

De plus, le commerce intrarégional est resté faible, du fait notamment de la structure extravertie des économies (priorité à l’exportation vers les pays du Nord de matières premières agricoles et non agricoles), de l’étroitesse des marchés, des coûts de transport élevés, de la faible productivité du capital et de nombreuses entraves tarifaires et non tarifaires aux échanges.

Dans ce contexte, pourquoi la Cédéao qui, pour une grande part, réplique les configurations économiques structurelles de l’UEMOA, réussirait-elle à devenir une zone monétaire optimale, là où l’UEMOA a échoué ?

Une monnaie unique pour la Cédéao ?

Plusieurs arguments plaident pourtant en faveur de la capacité de la Cédéao à devenir une zone monétaire optimale. Premièrement, tout choc affectant une économie de la Cédéao pourrait être plus vite amorti de manière endogène dans l’espace Cédéao que dans l’UEMOA, du fait de la taille importante du marché régional Cédéao.

Ensuite, les flux d’échanges sont historiquement et culturellement beaucoup plus pérennes au sein de la Cédéao que ceux existant dans l’UEMOA. À titre d’illustration, les échanges entre le Togo et le Ghana, ou entre le Bénin et le Nigeria, ou encore entre le Niger et le Nigeria, le Sénégal et la Gambie, au sein desquels les proximités de peuplement, historiques et culturelles jouent un rôle clé, sont de loin supérieurs en volume à ceux qu’on peut noter entre la plupart des pays membres de l’UEMOA.

Enfin, contrairement à l’UEMOA, le Nigeria est potentiellement capable de jouer, au sein de la Cédéao, le rôle de « prêteur en dernier ressort » lors des premiers pas de la monnaie unique, en supportant les coûts de la coordination régionale. Encore faudrait-il qu’il veuille le faire, eu égard notamment aux avantages tirés de la gestion nationale de sa monnaie le Naira pour résoudre des difficultés d’ordre interne à sa fédération. L’UEMOA pourrait venir en appoint en apportant sa grande expérience de gestion d’une union monétaire. Pami les défis rencontrés par la Commission de l’UEMOA, on peut citer les innovations institutionnelles comme, par exemple, le principe de la surveillance multilatérale.

D’un point de vue théorique et empirique, l’UEMOA et la Cédéao ne sont pas des zones monétaires optimales même si cette dernière dispose de quelques avantages. D’où la nécessité de corriger les caractéristiques structurelles des économies de l’Afrique de l’Ouest. Il en va de la réussite de l’éco.

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