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En général, l'agriculture biologique reste pire pour la nature que l'agriculture conventionnelle. shutterstock

L’agriculture locale et bio est-elle vraiment meilleure pour l’environnement ?

L’agriculture a la lourde responsabilité d’alimenter des milliards d’humains dans des conditions difficiles : la démographie est croissante, le climat est de moins en moins favorable, les ressources en eau se tarissent et les sols se dégradent. Malgré des progrès immenses, elle laisse trop de ventres creux et mal nourris tout en affectant la nature à l’excès.

Pour réformer cette situation intenable, plusieurs encouragent un virage vers une agriculture paysanne, locale et biologique. De même, depuis le début de la pandémie, des politiques sont déployées un peu partout pour accroître l’autonomie alimentaire.

On pourrait difficilement être plus à côté de la plaque.

Entendons-nous. Je ne rechigne pas devant un casseau de fraises bio achetées dans un sympathique marché local. Je suis émerveillé par l’ingéniosité des agriculteurs de par le monde pour améliorer leurs impacts écologiques, et ce, en régie conventionnelle comme biologique. Toutefois, en insistant sur les aspects esthétiques de l’agroalimentation (écoblanchiment, romances paysannes et chauvinismes gastronomiques) et sur les jeux de pouvoir qui s’y trament, on en vient à défendre des politiques malavisées, qui ne s’appuient pas sur les données scientifiques.

Je suis ingénieur écologue et professeur en agroenvironnement. Mes recherches concernent la science des données agroenvironnementales et la construction d’habitats écologiques en territoires ruraux.

Pire pour la nature

Comme plusieurs autres l’ont fait avant eux, des chercheurs de l’Université du Minnesota ont publié une méta-analyse comparant les impacts écologiques des cultures en régies biologique et conventionnelle.

Leurs conclusions concordent avec ce que l’on sait depuis plus de 10 ans : en général (donc sans considérer les cas particuliers), l’agriculture biologique est pire pour la nature que l’agriculture conventionnelle.

Pourquoi ? Les rendements inférieurs obtenus en régie biologique font reposer le fardeau écologique d’une ferme sur une plus petite quantité d’aliments. Chaque aliment certifié biologique demandera ainsi à la nature davantage de territoire, contribuera davantage à la pollution de l’eau et produira un peu plus de gaz à effet de serre.

Produire davantage à l’hectare donne l’avantage à l’agriculture conventionnelle. Cette intensification de la production des aliments est néanmoins insuffisante sans une finalité écologique. Dans cette optique, l’intensification écologique de l’agriculture vise non seulement à minimiser les intrants (énergie, amendements, fertilisants et pesticides), mais aussi à concentrer la production d’aliments sur le plus petit territoire possible en vue de libérer des surfaces pour la conservation et la régénération d’aires et de corridors écologiques.

Concentrer la production

Épargner le territoire de l’occupation agricole a un potentiel de biodiversité bien plus élevé que d’y cohabiter avec la nature, que ce soit par l’agriculture biologique ou la permaculture. Tant qu’à allouer des terres agricoles qui perturbent nécessairement leur environnement, mieux vaut y concentrer la production d’aliments.

La régie biologique demande par surcroît beaucoup de ressources pour la production des fertilisants, qui repose non seulement sur de grands espaces voués à produire des engrais végétaux, mais aussi sur les déjections animales, ainsi que les résidus d’abattoirs et de la (sur)pêche. L’analyse du cycle des nutriments montre que les cultures bio dépendent largement des fertilisants synthétiques ayant préalablement été absorbés par des plantes, puis ayant transités par les systèmes digestifs des animaux. L’agriculture biologique est de toute évidence une fausse piste.

L’intensification, couplée avec un des objectifs écologiques, permet d’épargner le territoire, une stratégie qui favorise davantage la biodiversité que celle de cohabiter avec la nature sur des territoires cultivés.

Le local n’est pas une panacée

Une étude suédoise sur les gaz à effet de serre émis pour la production et le transport des tomates et des carottes a démontré qu’il était préférable d’importer des tomates d’Espagne plutôt que de les produire en Suède. Mais pour les carottes, mieux valait les produire localement.

L’agriculture de proximité n’est pas une panacée écologique : c’est aussi une contrainte à produire des aliments dans des conditions écologiques pas nécessairement favorables, parfois au sein d’écosystèmes fragiles. Si le transport des aliments était une source majeure d’émissions de gaz à effet de serre, consommer localement pourrait évidemment en valoir la peine.

Mais le transport des aliments de leur lieu de production à l’épicerie ne correspond qu’à 6 % des émissions du secteur agroalimentaire. Les sources d’émissions de gaz à effet de serre de l’industrie agroalimentaire sont plutôt dominées par les ruminants, les fumiers, les fertilisants et la déforestation.

L’agriculture de proximité pourrait même freiner la réaffectation des cultures vers les terres où elles foisonnent tout en épargnant les zones de biodiversité sensibles, une stratégie qui pourrait nourrir les humains tout en redonnant à la nature près de la moitié des surfaces actuellement en culture (excluant les pâturages).

Or une approche globale est aussi justifiée sous l’angle de la solidarité internationale. Avec la pandémie de Covid, le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde risque de doubler. En ce moment, bien des régions ne sont pas en mesure de subvenir à leurs besoins alimentaires avec une agriculture de proximité, comme d’autres dépendent de leurs exportations agricoles. Mieux vaudrait rendre les liens d’interdépendance entre les pays plus solidaires plutôt que de les couper par souci d’autonomie alimentaire, de peur que l’autre ne les coupe le premier.

Puisqu’une population aisée a davantage de moyens pour améliorer ses pratiques agricoles et diversifier ses approvisionnements, l’amélioration des conditions économiques est de loin ce qui favorise le plus la durabilité de l’agriculture. Et celle-ci reste intimement liée à son industrialisation. Un retour vers la paysannerie serait délétère pour la viabilité environnementale, sociale et économique de l’agriculture.

Une diète végétalisée

Même en déployant tous les efforts possibles pour améliorer les pratiques agricoles, on ne pourra s’attaquer qu’à une faible proportion de ses impacts : les leviers les plus importants reposent bien davantage entre les mains des consommateurs. En effet, les gains en efficacité de l’agriculture ont permis d’assouvir un appétit excessif pour les viandes et produits laitiers, avec de graves conséquences sur l’environnement et la sécurité alimentaire.

Une civilisation qui favoriserait des diètes essentiellement végétales serait en mesure de retourner à la nature une superficie de 3,1 milliards d’hectares (équivalente à celle de l’Afrique), tout en diminuant de moitié les émissions de gaz à effet de serre du secteur agroalimentaire. Même si l’élevage (en particulier la viande bovine) et la pêche étaient réduits de moitié, nous améliorerons grandement tous nos indicateurs. Une diète carnée basée sur les meilleures pratiques écologiques polluera bien davantage qu’une diète végétale, faisant de l’élevage écologique le charbon propre de l’agroalimentaire.

Des vaches Holstein broutent. Si l’élevage, en particulier la viande bovine, et la pêche étaient réduits de moitié, nous améliorerons grandement tous nos indicateurs environnementaux. Shutterstock

Mais la viande n’est-elle pas une nécessité pour la sécurité alimentaire ? Un scénario où l’on intensifierait des cultures sur la moitié des terres à bas rendement dans le monde pourrait, sans changement de diète, tout juste éliminer la faim des 820 millions d’humains qui n’arrivent pas, aujourd’hui, à combler leurs besoins alimentaires. Le grave problème du gaspillage et des pertes alimentaires, adéquatement géré, remettrait sur les nappes les repas pour 400 millions de personnes.

Quant aux élevages, ils soustraient globalement au système agroalimentaire les repas de 4 000 millions de personnes. Évidemment, même si des accords multilatéraux favorisaient un meilleur partage des denrées, une migration rapide vers des diètes végétales serait difficile dans certaines situations, en particulier dans les pays qui souffrent déjà de la faim et de la malnutrition. Quoi qu’il en soit, les cas particuliers ne devraient pas servir de prétextes pour éviter d’infléchir une tendance globale insoutenable.

Un grand virage s’impose

Grâce à la révolution verte et aux progrès menés depuis, nous avons maintenant tout le nécessaire pour nourrir un peu plus de 12 milliards de personnes tout en diminuant de manière importante nos impacts sur l’environnement. Une seconde révolution devra s’inspirer de la première, par ses succès et ses erreurs, pour libérer le monde de la famine et de la malnutrition tout en assurant la protection et l’expansion des habitats naturels nécessaires au retour de la vie sauvage.

La démocratisation des technologies de l’agriculture de précision et du génie génétique, aussi bénéfiques soient-elles, sera vaine sans les changements de mœurs alimentaires nécessaires pour libérer de grands territoires de l’occupation pastorale et sans changements majeurs dans les politiques de gestion et d’allocation du territoire.

Agriculture mondialisée, industrialisée, intensive, et alimentant des diètes modernes à base de plantes : voilà qui détonne avec le discours ambiant, qui défend à tort une agriculture biologique, locale et paysanne. Débroussailler des voies viables pour l’agroalimentation passera au contraire par une perspective progressiste, une conscience écologique supportée par la science et une solidarité planétaire.

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