À la suite des polémiques autour de la signature du « Pacte mondial pour une migration sûre, ordonnée et régulée » par 150 pays lors de la conférence intergouvermentale de Marrakech, le rôle de l’aide internationale est questionné dans sa relation entre développement et migration.
Soulignés par le démographe François Héran, les propos de Stephen Smith sont symptomatiques : À poursuivre l’aide au développement, « la politique européenne risque de transformer les flux migratoires africains en ruée vers l’Europe. »
La recherche empirique est ici nécessaire pour éviter de tomber dans certains raccourcis et visions trop tranchées quant aux effets du développement et de l’aide internationale sur la migration.
La transition migratoire s’effectue en deux temps
Un grand nombre de travaux d’analyse portant sur les expériences migratoires passées ont montré que la « transition migratoire » s’effectue en deux temps.
À moyen terme, la croissance du PIB d’un pays permet à davantage d’individus de disposer des moyens de réaliser leur projet migratoire, et favorise donc l’émigration. Il a été montré par exemple qu’une augmentation du revenu par habitant de 10 % dans les pays d’Afrique subsaharienne a été associée à une augmentation de 1,2 % de leur taux d’émigration vers les États-Unis sur la période 1971-1998.
C’est seulement à plus long terme et à partir d’un certain niveau de richesse de la population que cette croissance du PIB conduit à une baisse de l’émigration.
Cette « courbe en U inversée » repose toutefois essentiellement sur des comparaisons de pays à un moment donné (les pays à revenu intermédiaire migrant plus que les pays pauvres et riches) ou sur des évolutions de long terme (les données étant alors essentiellement disponible sur un échantillon de pays actuellement développés ou à revenu intermédiaire).
Cependant, la relation ne se vérifie pas dans tous les pays, elle n’intègre pas les enjeux de qualité de la croissance et ne dit rien de spécifique sur la migration illégale ou sur la situation des pays qui ne sortent pas de la pauvreté.
À court terme, des liens complexes
Le développement recouvrant de multiples dimensions, l’amélioration de la situation sur certaines dimensions peut réduire le désir de migration.
L’insertion économique et sociale des jeunes est alors un sujet central. Dans les contextes où le taux d’emploi des jeunes est de 70 % ou moins, la migration est deux fois supérieure à celle constatée lorsque ce taux d’emploi est de plus de 90 % et ceci autant dans les pays développés que dans les pays en développement.
Des travaux récents sur l’impact du trio éducation – formation – emploi sur les migrations montrent que l’effet de la formation professionnelle sur les décisions migratoires dépend de son lien avec le marché de l’emploi environnant.
L’acquisition de compétences non adaptées à un marché local peut augmenter la propension à immigrer, alors que l’amélioration de l’adéquation entre l’offre des systèmes d’acquisition de compétences et la demande du marché du travail peut contribuer à réduire les pressions à l’émigration.
Par exemple, l’amélioration des marchés locaux, grâce à l’accès au droit foncier en Éthiopie a pu diminuer la pression migratoire des travailleurs.
L’impact du développement sur les déterminants des crises institutionnelles, sociales et économiques ainsi que sur la résilience aux crises est un autre axe par lequel le développement peut potentiellement réduire la pression migratoire.
Aide internationale et migration : une question ouverte
La littérature empirique sur les effets de l’aide sur la migration est encore assez récente et ne compte qu’un nombre limité d’études. Si des travaux assez anciens sur le sujet ont montré une relation positive entre aide et migration en Afrique subsaharienne ou concernant la migration illégale en Amérique latine, des travaux plus récents les ont remis en question. Ils montrent par exemple que l’aide au développement n’a pas ou peu d’influence sur le nombre de réfugiés sauf lorsque cette aide est doublée d’un soutien humanitaire.
La publication la plus récente et la plus robuste sur le sujet démontre un effet significatif et négatif de l’aide totale sur la migration l’expliquant alors par une amélioration des services publics. En analysant spécifiquement les différentes composantes de l’aide, les dernières publications montrent une réduction de la migration lorsque l’aide cible la gouvernance ou le développement rural.
L’impact de l’aide sur la migration est toutefois marginal et l’aide cible finalement assez peu les déterminants de la migration. Ainsi, l’aide européenne est faible dans les pays d’origine qui dominent les flux d’immigration vers l’Europe.
La question du lien aide-migration reste donc relativement ouverte notamment via ses modalités, sa réaction face aux crises et l’hétérogénéité des effets et secteurs ciblés. Une amélioration des données d’aide ciblant la mobilité ainsi que des évaluations scientifiques de programme pourraient faire avancer la recherche sur le sujet en particulier sur la question de la migration illégale.
Un consensus cependant émerge parmi les nombreux chercheurs spécialistes de ce domaine : l’aide ne peut pas être envisagée comme un facteur d’augmentation ou de réduction des migrations, mais bien comme un outil pour en améliorer les effets en jouant sur le développement des pays concernés.