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Une foule déambule sur une place, lors d'une fête, en été
Une foule lors d'une fête de quartier organisée à l'occasion de la Saint-Jean, à Montréal, en 2018. Les groupes francophone et anglophone conservent presqu’universellement la pratique de leur langue maternelle au Québec. La Presse Canadienne/Graham Hughes

L’anglais progresse au Québec depuis 2001… et le français aussi !

Les dernières données du recensement de Statistique Canada, publiées cet été, concernant la mobilité linguistique des francophones, des anglophones et des allophones sont compromises, en raison d’une formulation différente dans une question. C’est ce que je démontre dans cet article publié dans La Conversation.

Même si Statistique Canada semble croire que « les concepts et les données sur la langue parlée le plus souvent à la maison demeurent comparables avec ceux des cycles précédents », j’ai déjà montré l’écart entre des valeurs prévisibles et celles recensées, voire un biais contre le français langue parlée. Statistique Canada a même admis, le 17 août 2022, qu’il « … est déconseillé de comparer les données pour la langue parlée au moins régulièrement à la maison avec celles des cycles précédents ».

Ainsi, je vais me limiter ici à comparer les langues régulièrement parlée aux recensements de 2001 à 2016.


Read more: En modifiant la question sur les langues d’usage, StatCan a compromis les résultats du recensement de 2021


Problématique

L’analyse classique de la démolinguistique porte exclusivement sur la primauté d’une langue d’usage principale et ignore totalement la présence d’une autre langue régulièrement parlée à la maison.

Jusqu’ici, notre objectif consistait à améliorer la méthode classique, bien que l’utilisation des données en provenance de la langue seconde parlée dans les familles allophones déroge considérablement de la pratique habituelle.

Or, dans ma précédente publication, j’ai fait la proposition que la langue la plus souvent parlée à la maison… ne l’était peut-être pas vraiment. Je m’explique : d’une part, près de trois-quarts des « anglicisés » de langue maternelle française parlaient toujours le français à la maison. Par ailleurs, la majorité de leurs enfants étaient de langue maternelle française.

Une situation analogue se retrouve chez les « francisés » de langue maternelle anglaise. Cela suggère que la différence réelle entre, par exemple, des francophones anglicisés qui parlent toujours le français et ceux non anglicisés, mais qui parlent régulièrement l’anglais, est peut-être marginale. Du moins, c’est l’hypothèse que j’explore dans cet article.

En effet, toute déclaration au recensement canadien d’une pratique bilingue du français et de l’anglais à la maison requiert une appréciation hautement subjective de la préséance de la langue que l’on dit parler le plus souvent.

Comment le bilingue peut-il distinguer si ces deux langues sont également parlées ? Et si le français était parlé 51 % du temps et l’anglais, 49 % ? On peut très bien supposer que la personne bilingue, qui aujourd’hui parle davantage l’anglais, parlera davantage le français dans cinq ans, ou qu’elle déclarera le bilinguisme intégral de ces deux langues.

Développement de mesures alternatives

Face à l’ambiguïté intrinsèque du bilinguisme français/anglais, nous avons donc besoin d’une mesure plus souple que celle de la primauté d’une langue sur l’autre.

Je propose donc de construire des mesures alternatives de l’importance relative des deux groupes. Le numérateur représente le nombre de répondants qui déclarent parler le français (ou l’anglais) à la maison, soit comme langue principale, soit comme langue seconde ; le dénominateur, l’ensemble des personnes qui déclarent parler le français ou l’anglais à la maison, excluant du calcul des personnes qui parlent exclusivement une langue allophone.

Un premier indicateur, FPARL, mesure la présence du français ; le deuxième, APARL, celui de l’anglais. Ces deux mesures ne sont pas mutuellement exclusives, car les personnes qui déclarent l’usage de ces deux langues à la maison sont comptabilisées deux fois.

Évolution linguistique selon la langue maternelle

Le tableau 1 présente les indicateurs de l’évolution linguistique pour les personnes de langue maternelle française.

J’examine les changements intercensitaires, c’est-à-dire l’évolution de la pratique linguistique nécessaire pour produire les données observées en 2016 à partir de celles de 2001.

Tableau 1 : Évolution des indicateurs linguistiques, personnes de langue maternelle française, Québec, 2001 à 2016. (Calvin Veltman), Author provided

Les données révèlent que le français est parlé à la maison par 99,6 % des francophones, un pourcentage à peu près inchangé depuis 2001 et cela, malgré un petit fléchissement pendant la période 2001 à 2016 : 99,2 % déclaraient parler le français à la maison.

Ce qui a changé le plus, c’est l’utilisation de l’anglais à la maison par les francophones : pendant la période intercensitaire, de l’ensemble de la croissance de la population de langue maternelle française, soit 457 900 personnes, 35,0 % déclarent parler l’anglais à la maison, ce qui engendre le taux de 7,9 % en 2016 à partir d’un taux de 5,7 % en 2001.

Le tableau 2 présente des données similaires pour les personnes de langue maternelle anglaise.

Tableau 2 : Évolution des indicateurs linguistiques, personnes de langue maternelle anglaise, Québec, 2001 à 2016. (Calvin Veltman), Author provided

Ce tableau ressemble fortement au tableau précédent. Presque tous les anglophones parlent toujours anglais à la maison. Pendant la période intercensitaire, le taux d’adoption du français s’élève à 69,4 %, environ deux fois supérieur à celle de l’anglais par les francophones. En 2016, 29,5 % des anglophones parlaient français à la maison.

Le tableau 3 fournit des données similaires pour le groupe allophone.

Tableau 3 : Évolution des indicateurs linguistiques, personnes de langue maternelle allophone, Québec, 2001 à 2016. (Calvin Veltman), Author provided

Selon ce tableau, le français était parlé à la maison par 68,9 % de la population allophone en 2016 (excluant, bien entendu, les personnes n’ayant aucun usage du français ou de l’anglais à la maison). Il s’agit d’une croissance de 9,3 points depuis 2001. La part de l’anglais parlé a diminué de 56,7 % en 2001 à 49,3 % en 2016. De toute la croissance allophone de 2001 à 2016, 82,8 % parlent le français à la maison, contre 38,1 % pour l’anglais.

Enfin, le tableau 4 présente la synthèse des données pour l’ensemble de la population québécoise.

Tableau 4 : Évolution des indicateurs linguistiques, ensemble de la population, Québec, 2001 à 2016. (Calvin Veltman), Author provided

Des 940 000 personnes ajoutées à la population québécoise, 40,8 % parlent l’anglais à la maison, propulsant le pourcentage total de 17,3 % en 2001 à 19,9 % en 2016. Malgré tout, le pourcentage de la population parlant français est en légère croissance, passant de 90,6 % en 2001 à 90,7 % en 2016.

Une société de plus en plus éduquée

L’adoption de nouveaux indicateurs jette un éclairage fort différent de la situation linguistique au Québec. J’en conclus ce qui suit :

  • Les groupes francophone et anglophone conservent presqu’universellement la pratique de leur langue maternelle ;

  • L’adoption de l’anglais comme langue parlée à la maison est en forte croissance ;

  • Le français continue à progresser chez les anglophones et les allophones, ce qui permet de compenser entièrement les pertes observées dans le groupe francophone et qui provoque même une certaine croissance du français parlé ;

Maintenant, la question « à 100 piasses » : que signifie l’implantation de l’anglais chez les francophones ? Les craintifs diront que cette réalité mènera inévitablement à l’effondrement complet du français. Toutefois, c’est peut-être le résultat d’une société de plus en plus éduquée, une situation peut-être comparable à celle des pays scandinaves où la tolérance vis-à-vis des minorités linguistiques est très grande, mais où ces dernières reconnaissent clairement la primauté de la langue nationale.

Les taux très importants de l’implantation du français depuis 2001 chez les anglophones et les allophones semblent suivre ce modèle.

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