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Des déchets dans les feuilles mortes
Les activités de notre espèces ont considérablement affecté la planète. Faut-il pour autant parler d'une nouvelle époque géologique ? Et surtout, est-ce si important ? Nicolas Nova/Flickr, CC BY-NC

L’anthropocène, mort et enterré pour les géologues ? Et s’il survivait malgré tout ?

Le terme d’anthropocène a été proposé en 2000 pour décrire les modifications profondes que les activités humaines ont provoquées dans le fonctionnement de notre planète, et baptiser ainsi l’avènement d’une nouvelle ère géologique. Il a rapidement connu un certain succès dans la sphère scientifique et même parfois au-delà.

Sauf qu’en mars 2024, la commission de géologues qui devait statuer sur le sort de l’anthropocène a finalement voté contre sa reconnaissance officielle comme une nouvelle époque géologique. Faut-il en conclure que les activités humaines ne modifient pas significativement le climat ? Que l’anthropocène n’a aucune réalité concrète et qu’il faille jeter à la poubelle ce mot et passer définitivement à autre chose ?

Ce n’est pas certain. Polysémique, ce terme pourrait encore nous rendre quelques services… Pour le comprendre, il faut revenir sur l’histoire du terme et les sens multiples qu’il peut revêtir. Une histoire en plusieurs actes…

Une brève histoire de l’anthropocène, de la proposition au rejet

Tout commence il y a près de 25 ans, lorsqu’un groupe de scientifiques, sous l’impulsion du chimiste Paul Crutzen et du biologiste Eugene Stroemer, propose de reconnaître que nous avons changé d’époque géologique. L’Holocène (nom donné à la période géologique en cours, qui a débuté il y a 11 000 ans) serait terminé et nous serions entrés dans l’anthropocène.

Leur argument pour le justifier : le fonctionnement de la Terre aurait radicalement changé sous l’effet de certaines activités humaines. Par exemple, le changement climatique lié aux émissions massives de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Pour produire des biens et de la nourriture, se déplacer, se chauffer, etc., l’humanité a modifié le climat terrestre.

Dans les années 2000-2010, la proposition est finalement prise au sérieux et un groupe officiel de géologues est mis sur pied pour évaluer la proposition. En effet, pour qu’une nouvelle époque soit reconnue officiellement par la communauté géologique, il existe un processus précis, très normé. Il faut par exemple disposer de marqueurs de ce changement : des marqueurs permanents, planétaires et synchrones. C’est-à-dire, les modifications géologiques engendrées par un changement d’époque doivent être durables, se retrouver en différents lieux à l’échelle du globe, et être survenues en même temps.

Après plusieurs années de discussion, le groupe de travail finit par proposer au vote le lac Crawford, en Ontario (Canada), comme marqueur permettant de dater l’entrée dans l’anthropocène à l’année 1952, grâce au dépôt de radioéléments dans les sédiments du lac.

Une proposition finalement rejetée en mars 2024 par la Commission internationale de stratigraphie (ICS). Celle-ci refuse la proposition de création d’une nouvelle époque géologique nommée « anthropocène » suivant un vote de ses membres de 12 voix contre et de 4 voix pour. Ce vote, bien qu’en partie contesté, a mis, de fait, un coup d’arrêt au processus de validation. Clap de fin ? Pas tout à fait.

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Cette décision a entraîné des réactions parfois contradictoires. Y compris au sein de la communauté des géologues, où certains l’ont regrettée, étant donné qu’elle pourrait laisser croire que les géologues minimisent les changements générés par les activités humaines dans le fonctionnement du système Terre.

D’autres, au contraire, soutiennent que cette décision est logique au regard des critères formels de la discipline, et appellent à nuancer : l’anthropocène n’est peut-être pas une époque géologique au sens strict, mais ce pourrait être un label à même de souligner les enjeux écologiques actuels. En effet, le mot anthropocène n’a pas un seul sens, mais plusieurs.

Un seul mot, plusieurs sens

Le mot anthropocène ne se limite pas à un enjeu de chronologie géologique. Il est régulièrement utilisé, dans d’autres disciplines scientifiques, pour désigner au moins deux autres notions. La première est liée à l’influence de certaines activités humaines sur le fonctionnement du système Terre, et la seconde est liée à la responsabilité qui découle des effets néfastes de ces changements, ce que résume le schéma ci-dessous.

Les trois sens du mot anthropocène, les enjeux et les disciplines scientifiques associées. Modifié d’après Zalasiewicz et al. [2021], Fourni par l'auteur
  • D’un côté, l’anthropocène propose un cadre conceptuel pour analyser le fonctionnement du système Terre en intégrant sa modification par certaines activités humaines et surtout les effets systémiques de ces activités sur les conditions de vie des êtres humains en termes de risques, de ressources, de conditions climatiques, etc.

  • De l’autre, l’anthropocène alimente une série d’analyses, parfois très critiques, sur les enjeux philosophiques, moraux et culturels de l’évolution contemporaine de ces conditions de vie. Il entre en résonance avec le développement du capitalisme, de la mondialisation, voire de la colonisation qui peuvent ainsi être considérés comme les causes de la situation sociale et environnementale actuelle.


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Même en mettant de côté l’aspect géologique, ces deux dimensions restent pertinentes au vu des enjeux climatiques et environnementaux actuels.

Des enjeux sociopolitiques plus que jamais d’actualité

Le mot anthropocène n’est pas le premier à générer une certaine confusion du fait de la diversité des sens qu’on lui attribue dans la communauté scientifique et au-delà. Avant lui, la polysémie d’autres mots, comme biodiversité, développement durable, transition ou services écosystémiques a pu poser problème.

Le rejet de l’anthropocène comme époque géologique ne nie pas les dynamiques mises en lumière parce mot : modification des flux de CO₂, du cycle de l’eau et du cycle de l’azote, effondrement de la biodiversité, érosion massive des sols et des sédiments… certaines de nos activités humaines mettent à mal les limites planétaires, ce qui n’est pas sans conséquences sociales pour notre espèce, appelant des solutions politiques pour y faire face.

Par exemple, plusieurs dizaines de personnes sont mortes d’insolation en Thaïlande en avril 2024 lors d’une vague de chaleur. Nous pourrions n’y voir qu’un événement ponctuel, exceptionnel, lié à des conditions locales. Mais le concept d’anthropocène permet de voir cet événement différemment, comme s’inscrivant dans des temps et des espaces plus vastes.

En effet, cette vague de chaleur s’inscrit dans une chronologie qui montre que leur fréquence et leur intensité augmentent du fait des changements climatiques en cours. Les catastrophes climatiques qui affectent la Thaïlande ou un autre pays donné ne dépendent ainsi pas seulement des conditions locales, mais également des rejets de gaz à effet de serre globaux ailleurs dans le monde.

Ainsi, l’anthropocène amène à lier ce qui se passe à un endroit du monde à ce qui se passe ailleurs. Ce qui soulève des questions éminemment sociales et politiques. Pourquoi les concentrations de CO2 continuent-elles d’augmenter dans l’atmosphère ? Qui produit ce CO2 ? Quelles activités (le transport, le numérique, la production de ciment et d’acier, etc.) en sont responsables ? Quels individus ? S’agit-il des plus riches ? Quels pays ? L’anthropocène invite à montrer la complexité du monde, notamment à chercher les liens de cause à effet des enjeux écologiques contemporains et des dynamiques sociales.

Évidement, ce concept n’est pas parfait. Et justement comme il n’est pas parfait, sa critique nous amène à réfléchir. Anthropo veut dire humain, kainos nouveau, et donc anthropocène un nouveau temps, celui des humains. Cela amène à s’interroger : tous les humains sont-ils responsables de la même manière ? Comme le montre la figure ci-dessous, nous ne sommes ni également responsables des changements en cours, ni également exposés à leurs effets.

Fig. Banque Mondiale et FEINDOUNO et coll., 2020, Fourni par l'auteur

En effet, il n’y a pas de relation simple entre les quantités de gaz à effet de serre émises par les pays et leur vulnérabilité aux effets du changement climatique du fait de ces émissions. Certains pays sont de gros contributeurs, mais sont peu vulnérables (par exemple la Nouvelle-Zélande) et d’autres, à l’inverse, contribuent peu, mais sont très vulnérables (par exemple Kiribati). C’est pourquoi certains chercheurs proposent d’autres mots : capitalocène, anglocène, thermocène, etc.

L’anthropocène n’est peut-être pas une époque géologique à proprement parler, ni le meilleur mot pour désigner la période que nous vivons. Mais il nous oblige, avec d’autres mots (transition, habitabilité, limites, etc.), à continuer, plus que jamais, à penser le monde dans sa complexité, entre enjeux écologiques et sociopolitiques, en maniant plusieurs échelles spatiales et temporelles et en associant plusieurs disciplines. Et cela dans une vraie démarche systémique.

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