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L’armée américaine : vivier du suprémacisme blanc ?

L'armée américaine.
Il existe une longue histoire de liens entre les mouvements nationalistes blancs et l'armée américaine. Bo Zaunders/Corbis Documentary via Getty Images

Les suprémacistes blancs, qui représentent l’une des menaces terroristes les plus sérieuses aux États-Unis, trouvent des soutiens et de nouvelles recrues au sein même de l’armée américaine. Selon eux, les Blancs sont menacés aux États-Unis.

Ces groupes, qui rêvent de créer un pays entièrement blanc où les non-Blancs ne jouiraient d’aucun droit civique, sont souvent à l’origine de violents affrontements visant les minorités raciales et religieuses. Depuis 2018, ils ont mené plus d’attaques meurtrières sur le sol américain que tout autre mouvement extrémiste national.

Le groupuscule Proud Boys, par exemple, que Donald Trump a évoqué lors du premier débat présidentiel, comprend d’anciens combattants et des soldats en service actif. Ses membres, qui sont tenus de se livrer à des actes de violence physique avant d’être acceptés, ont salué avec enthousiasme l’injonction du président de se mettre « en retrait » et de se « tenir prêts », y voyant la validation de leur idéologie d’extrême droite.

Si les propos du président sont jugés consternants par de nombreux Américains, la plupart ignorent les liens qui existent entre ces groupes et l’armée.

La collusion entre l’armée américaine et les suprémacistes blancs remonte aux années 1990, nombre de ces derniers voyant dans le service militaire l’occasion de parfaire leurs techniques de combat et de recruter de nouveaux adeptes.

Selon notre étude, la plupart des Américains savent peu de choses sur la place qu’occupe le suprémacisme blanc au sein de l’armée mais ils expriment leur inquiétude lorsqu’on leur en apporte la preuve.

Deux personnes portant un équipement militaire
Deux membres des Proud Boys au look ostensiblement militaire lors d’un rassemblement dans l’Oregon, en septembre 2020. John Rudoff/Anadolu Agency via Getty Images

Des suprémacistes blancs dans l’armée

Les chercheurs ne disposent pas de données fiables sur le nombre de soldats en service actif ou d’anciens combattants appartenant à des groupes suprémacistes blancs, mais les militaires perçoivent de plus en plus l’influence des groupes d’extrême droite dans leurs rangs.

Dans le dernier sondage réalisé par Military Times, un média indépendant spécialisé, environ un cinquième des militaires disent avoir perçu des signes de suprémacisme blanc ou de racisme au sein des forces armées, comme l’utilisation décomplexée d’insultes racistes et d’une rhétorique antisémite, et même d’explosifs délibérément disposés en forme de croix gammée.

Plus d’un tiers des militaires interrogés en 2018 estiment que le suprémacisme blanc représente une menace plus importante pour les États-Unis que la Syrie, l’Afghanistan ou les crises migratoires.

Des actes de violence ont d’ailleurs été commis par des soldats suprémacistes blancs, généralement après leur retour à la vie civile, comme l’attentat à la bombe d’Oklahoma City en 1995 et la fusillade dans un temple sikh du Wisconsin en 2012.

Des militaires en service actif ont également été impliqués dans des actions violentes : en juillet 2018, un suprémaciste blanc a été renvoyé des Marines en raison de son appartenance à des groupuscules extrémistes, et notamment pour sa participation à la manifestation « Unite the Right » à Charlottesville (Virginie), en 2017.

En février 2019, un officier en poste au siège de la Garde côtière américaine a été arrêté et accusé de détenir un arsenal d’armes à feu en vue de préparer une guerre ethnique.

Deux mois plus tard, une enquête du Huffington Post a révélé qu’au moins 11 membres de divers corps d’armée faisaient l’objet d’une enquête car ils appartenaient à des groupes suprémacistes blancs.

En septembre de la même année, un soldat qui avait exprimé son soutien à l’extrême droite a été arrêté pour avoir donné des instructions sur la fabrication de bombes à des enquêteurs infiltrés. Le même mois, un sergent-chef de l’armée de l’air appartenant à un groupe suprémaciste blanc a été rétrogradé mais autorisé à conserver son poste.

En juin 2020, un autre soldat a été inculpé pour activités terroristes après avoir divulgué des informations secrètes sur son unité à deux groupes suprémacistes blancs, dont l’un fait l’apologie du viol et du meurtre dans l’espoir de provoquer une guerre ethnique.

L’inquiétude du Congrès

Les législateurs se sont penchés sur le problème. En 2019, dans le cadre de l’allocation budgétaire annuelle du Pentagone, la Chambre des représentants a approuvé l’obligation d’enquêter sur tout soupçon de suprémacisme blanc chez les nouvelles recrues. Mais le Sénat a supprimé cette disposition avant d’envoyer le projet de loi à la Maison Blanche.

Experts militaires et universitaires s’accordent à dire que les idéologies violentes dans les rangs de l’armée compliquent l’instauration d’un lien de confiance entre les soldats en situation de combat.

Si le Congrès interdisait aux suprémacistes blancs de servir dans l’armée, les membres de ces groupes extrémistes auraient plus de difficulté à suivre une formation militaire. Ils seraient également coupés d’un important réseau de recrutement.

L’opinion américaine sur le suprémacisme blanc

Nous avons voulu savoir à quel point les Américains sont conscients de la présence de suprémacistes blancs dans l’armée et ce qu’ils en pensent. Ainsi, début mai 2019, nous avons mené une enquête auprès d’un échantillon représentatif de 1 702 adultes.

Dans un premier temps, nous avons demandé aux personnes interrogées dans quelle mesure elles pensaient que le suprémacisme blanc était répandu dans l’armée. 70 % ont déclaré qu’il y avait « quelques » suprémacistes blancs en service actif, 20 % qu’il y en avait « beaucoup » et seulement 10 % qu’il n’y en avait pas.

Nous avons ensuite cherché à savoir si elles trouvaient cela problématique. Nous avons divisé les personnes interrogées en deux groupes, un auquel nous avons demandé si « le suprémacisme blanc dans l’armée » était un « problème grave », « assez grave » ou « pas un problème ». Seuls 30 % pensent qu’il s’agit d’un problème « grave », 47 % « assez grave » et 23 % que ce n’est « pas un problème ».

Nous avons posé la même question à l’autre groupe après leur avoir donné les résultats d’un sondage de 2018 effectué par le Military Times, qui concluait que « 22 % des militaires […] ont constaté des signes de suprémacisme blanc ou d’une idéologie raciste au sein des forces armées ». Cette fois, 35 % des sondés disaient que le problème était « grave », soit une augmentation statistiquement significative de cinq points.

Dans un troisième temps, nous avons donné les résultats du sondage du Military Times au premier groupe ; nous avons constaté que 39 % considéraient le problème comme « grave », soit une augmentation de neuf points.

Nous avons aussi constaté que les convictions politiques des personnes interrogées avaient une incidence sur les réponses données. Les personnes s’identifiant comme « très conservatrices », par exemple, s’inquiètent moins de la place du suprémacisme blanc dans l’armée que celles se définissant comme « très progressistes ». Mais l’ensemble des répondants, tous horizons politiques confondus, ont reconsidéré leur point de vue après avoir pris connaissance d’informations factuelles, et qualifié le suprémacisme blanc de problème grave.

La confiance dans les forces armées

Les Américains respectent l’armée et ont confiance dans cette institution. Par conséquent, les liens que les groupes de suprémacistes blancs et les idéologies d’extrême droite entretiennent avec elle renforcent leur crédibilité et leur légitimité auprès des civils qui ont souvent tendance à valider les déclarations et les actes de ceux qui ont servi pour le pays.

Notre travail tend à montrer que le fait de communiquer aux citoyens américains l’inquiétude des militaires quant à la présence de suprémacistes blancs en leur sein est susceptible de conduire à une prise de conscience (que ce soit chez les gens de gauche ou de droite) du pouvoir croissant de ces groupes. Et que cette inquiétude accrue chez les civils pourrait inciter les décideurs à tenter de combattre cette idéologie, dans l’armée et dans la société en général.


Traduit de l’anglais par Karine Degliame-O’Keeffe pour Fast ForWord

This article was originally published in English

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