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L’ascension des héroïnes dans « Star Wars », une victoire féministe ?

Rey, une héroïne féministe? Allociné

Avec plus de 5,5 millions d’entrées en France, le succès du dernier opus de Star Wars fait écho à ses bons résultats aux États-Unis (362 millions d’entrées). Sans toutefois dépasser les plus grands succès de la saga, comme Le Réveil de la Force (2015), L’Ascension de Skywalker renoue avec le grand public un lien fort commencé en 1977.

Grâce à cette prestigieuse acquisition faite en 2012, à la suite de Marvel en 2009 et avant la Fox en 2017, l’hégémonie du groupe californien sur la production de contenus de divertissement n’a jamais été aussi forte.

Associé aux parcs d’attractions et aux produits dérivés, ce « soft power » diffuse mondialement ses héros et héroïnes avec une efficacité remarquable. Rien de nouveau dans ce fonctionnement pour Star Wars, car dès le début, George Lucas avait compris l’importance de la maîtrise totale des produits dérivés dans le processus de diffusion de l’univers de la saga.

La machine à produire des histoires ne cessant de s’adapter, qu’en est-il des figures féminines ? Rey ayant succédé à Luke, cela signifie-t-il pour autant que les héroïnes ont finalement détrôné les héros ?

Une question tardive et une ascension lente

Si Lucas avait éprouvé les limites du pouvoir de ses décisions avec les oppositions fortes de ses fans à certains choix scénaristiques de la prélogie ou le remastering de certaines scènes, la question de la représentation des femmes dans la galaxie lointaine est venue plus tard.

Au départ George Lucas dit avoir construit un monde de garçons pour un public identique : « I did Star Wars for 12-years-old boys ».

Il n’est donc pas étonnant que les premiers Star Wars ne passent pas le test de Bechdel qui vise à mesurer la représentation féminine dans un film.

Malgré la présence de Princesse Leia, la trilogie initiale (1977-1983) est la plus sévèrement jugée. La prélogie (1999-2005), quant à elle, fait un peu mieux avec la figure de Padmé, mais reste néanmoins très discutée.

Dans la nouvelle édition (2015-2019), le personnage de Rey semble avoir enfin réglé la question. Star Wars a dorénavant une véritable héroïne, ce qui a même suscité la colère du « Men’s Rights Activists » (MRA). Née dans les années 1970,en réaction au mouvement féministe, une large partie de l’organisation s’est radicalisée en prônant la suprématie des valeurs patriarcales et s’est opposée à cette arrivée sur les écrans des femmes

L’ascension des représentations féminines dans la saga ne s’est pas faite par hasard : elle a répondu à des demandes de plus en plus insistantes des femmes, ce qui illustre bien la prise de conscience de la faiblesse des figures féminines dans l’imaginaire moderne. Ainsi en 2014, une mère britannique s’est aperçue que la Princesse Leia ne faisait même pas partie des figurines proposées aux enfants. La campagne virale #WeWantLeia amènera finalement la princesse Leia dans les magasins de jouets. Cependant l’ambiguïté du positionnement de la compagnie demeure. Il faudra en effet recommencer en 2016 avec #WhereIsRey, alors que les tenues des princesses Disney trouvent systématiquement leur place dans les rayons destinés aux petites filles.

De même, l’émergence de Rey dans le casting a fait suite à des critiques émises par les journalistes et les fans lors de la première annonce en 2014 [qui restait très masculine] en conférence de presse. Or comme l’avait prouvé la série Battlestar Galactica de D. Moore (2004-2010) l’univers de la science-fiction pouvait très bien être porté par de puissants personnages féminins.

Présentée comme l’aboutissement d’un long cheminement vers l’avènement d’une héroïne, qui est donc Rey ?

Une héroïne de « l’empowerment », la première ?

Rey, la pilleuse d’épaves, s’inscrit en rupture avec la lignée sociale des princesses antérieures. La question de ses véritables origines reste mystérieuse et la taraude, ce en quoi elle répond aux critères de la quête du héros développés par J.Campbell et appliqués méthodiquement à toute la saga par Lucas.

Dès le début du Réveil de La Force (2015), elle manifeste sa force et son indépendance. Lorsque Finn veut lui venir en aide, elle a déjà assommé ses assaillants. Plus loin et à plusieurs reprises, elle lui intime de lâcher sa main lorsqu’il faut courir. Par ailleurs, elle va manier le sabre des Jedi avec une étonnante efficacité et ce avant même toute initiation. Les signaux envoyés au public sont donc clairs : sur le plan physique elle n’a besoin de personne. C’est bien une héroïne de « l’empowerment », ce terme anglo-saxon fréquemment lié au féminisme qui signifie l’autonomie et le pouvoir sur sa propre vie.

Cependant, en leur temps, Leia tout comme Padmé ont été des combattantes aussi. Leia, jeune princesse, à la tête de la Rébellion, utilise le pistolet sans hésitation dès Le Nouvel Espoir

Princess Leia.

Rappelons que c’est elle qui déclenche toute l’histoire avec les plans volés de l’Étoile noire et sa recherche d’Obi-Wan Kenobi. Elle continuera, plus âgée, à jouer un rôle important, comme la générale des troupes rebelles, et cela même après le décès de l’actrice, dans la nouvelle édition.

Dans l’Empire contre-attaque, Leia, telle la Judith biblique qui pour sauver son peuple frappa au cou le tyran, étrangle à mains nues l’immonde Jabba dont elle est prisonnière. Sa tenue légère, un bikini très commenté par les fans, ne l’empêche pas d’ailleurs de procéder à cette mise à mort violente qui est plutôt rare dans la saga.

Padmé n’est pas en reste. Elle est à la fois une femme politique très intelligente, sage et intègre, consciente des dangers de la dictature, et une combattante. Elle se défend farouchement à plusieurs reprises, comme au milieu de l’arène alors que tout semble perdu dans l’Attaque des clones.

La menace fantôme.

Une héroïne sans vie amoureuse ni sexualité

Le reproche qui est adressé à ces figures féminines se situe plutôt du côté de leur vie sentimentale. Leia, bien que tenant tête à Han Solo, n’échappe pas au jeu classique de la séduction dominé par les hommes. Plus loin dans la trilogie, en dépit de toutes les épreuves traversées ensemble, les amoureux restent très discrets : trois baisers plus symboliques et furtifs que passionnés pour les trois films. On n’est loin du film Dune, l’une des références du Star Wars de Lucas, où Paul Atréides couche avec sa dame de cœur. Quant à Padmé, une fois amoureuse d’Anakin, elle perd de sa superbe jusqu’au sacrifice de soi. Et si ces amoureux-là s’enlacent, se touchent et s’embrassent bien davantage que Leia et Han Solo, ce n’est que pour les conduire à leur perte.

De cette lignée de vies amoureuses, il ne reste quasiment rien chez la forte pudique Rey. Vêtue toujours pareil, à quelques infimes détails près comme le port de la capuche, elle semble trop prise par sa destinée de combattante pour les atermoiements amoureux. D’ailleurs son environnement masculin sentimental, en dépit de quelques hésitations scénaristiques autour du personnage de Finn, reste pauvre et focalisé sur son affrontement avec Kylo Ren. Les scénaristes ont construit une héroïne forte, c’est-à-dire pour eux une héroïne sans véritable histoire d’amour et surtout sans sexualité.

Une héroïne à la recherche d’un nom

Propre au monde du mythe, la quête des origines structure la démarche du héros, Rey à l’instar de Luke et d’Anakin ne cesse de se poser cette question. Au « Comment t’appelles-tu ? » posé à plusieurs reprises, elle répond invariablement « Rey » qui sonne comme un manque, celui d’un patronyme.

Ce prénom, Rey, plutôt masculin, évoquant le « roi » en espagnol, le rayon de lumière ou d’espoir (Ray of hope), n’a été lui-même arrêté qu’au moment du tournage.

Abandonnée par ses parents dont elle scrute le retour au début du Réveil de la Force, Rey, tout autonome soit-elle, se présente très fragile sur ce plan-là. Le psychanalyste Marcel Czermak a étudié de près les rapports fort complexes et souvent douloureux que nous entretenons avec les noms de famille. Dans sa quête de soi, l’absence de nom de famille est vécue par Rey comme une souffrance intime qui revient régulièrement à la surface tout au long des 3 films qui lui sont consacrés.

Dès lors, le choix scénaristique final sera crucial pour déterminer le caractère profond de cette héroïne. Au bout de ses épreuves, Rey restera-t-elle enfermée dans le besoin du rattachement à une filiation, seule possibilité pour elle d’acquérir une identité ? Ou deviendra-t-elle une femme libre, surmontant son passé, fière d’être devenue enfin « Rey » ?

D’un stéréotype à un autre ?

Si la réponse du film – que nous n’allons pas révéler ici – définit le statut de cette nouvelle forme d’héroïne, on peut l’étendre bien au-delà. En effet les autres traits caractéristiques de cette héroïne – force physique, combat, courage – et ses aspects gommés – vie amoureuse, sexualité – relèvent à la fois de l’univers fictionnel très policée (pas de sexe ni d’alcool, mais pas de grand festin non plus) de Star Wars et de celui de Disney.

Sous couvert de nouvelle figure d’héroïne libre et décidant de son destin, on peut se demander si nous n’assistons pas à la mise en place d’un stéréotype tout aussi contraignant. Rey n’apparaît alors pas si éloignée d’Elsa dans La Reine des Neiges, comme le montrent d’ailleurs de troublantes ressemblances de postures et de mouvements dans leurs bandes-annonces comparées.

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