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L’aspect psychologique, l’angle mort de l’accompagnement entrepreneurial

La création d'entreprise implique une forte intensité opérationnelle et émotionnelle qu'il est important de ne pas gérer seul(e). nd3000 / Shutterstock

Alors que les structures d’accompagnement éclosent plus vite que les projets de création sur le territoire français, l’importance de l’accompagnement des entrepreneurs et a fortiori d’un accompagnement adapté n’est plus à démontrer. Ces dispositifs ont en effet un réel impact positif sur les chances de réussite des entreprises créées.

Cet article reflète le questionnement sur l’accompagnement que nous avons pu avoir en tant que chercheure et accompagnante d’entrepreneurs. Nos observations sont basées notamment sur une recherche-action de plus de 3 ans comprenant 75 interviews d’entrepreneurs et de structures d’accompagnement, une trentaine de témoignages et 130 entrepreneurs, hommes et femmes, accompagnés sur la période.

La question principale est la suivante : comment accompagner les entrepreneurs à travers les phases de changements, les montagnes russes opérationnelles et émotionnelles que génère la démarche entrepreneuriale ? Ce questionnement est d’autant plus d’actualité dans la mesure où nous évoluons aujourd’hui dans un monde volatile, incertain, complexe et ambigu (VICA), et qu’il semble que la logique d’accompagnement basée sur un seul accès à l’information et à la formation soit dépassée depuis quelques années.

Bien que la notion de « monde VICA » fasse débat, elle illustre plutôt bien les challenges auxquels les managers et les entrepreneurs doivent faire face aujourd’hui en se basant sur la vision et la compréhension d’un futur émergent, plutôt que sur les anciennes manières de faire ; « old ways won’t open new doors ».

Multiplicité des besoins d’accompagnement

L’accompagnement est multiple : il recouvre de nombreux acteurs et prend différentes formes – comme le mentorat, le conseil, le coaching ou encore l’accompagnement par les pairs – chacune présentant des spécificités. Ces différentes formes d’accompagnement sont appliquées et étudiées en dehors du monde de l’entrepreneuriat : l’éducation et la formation, le travail social, le secteur de la santé, le monde du travail et en particulier la gestion des emplois et des compétences.

Différentes études appellent à ce que les pratiques d’accompagnement ne soient pas uniformisées, afin de pouvoir intégrer et répondre à la diversité des entrepreneurs, puisqu’ils présentent des profils singuliers, et donc des besoins particuliers. Les besoins techniques et méthodologiques sont traités par les structures et dispositifs existants, en se basant sur la phase de développement du projet.

Mais l’accompagnement centré sur l’entrepreneur·e plutôt que sur le projet est parfois (souvent) oublié ou mis de côté, par manque de temps ou de ressources disponibles – alors qu’il est fondamental dans ces phases d’évolution, de changement et d’adaptation, inhérentes au processus entrepreneurial. Cela est d’autant plus vrai dans un environnement VICA. Certains dispositifs d’accompagnement éphémère privilégient parfois la forme plutôt que le fond.

Nous avons souvent entendu ce type de phrases prononcé par des entrepreneurs :

« L’entrepreneuriat, c’est un choix de vie, ça bouleverse toutes les sphères ; ça change ton rapport au travail, à l’argent, aux vacances, etc. »

Ou encore :

« Tu te poses mille questions quand tu entreprends. Tu prends des décisions, tu es dans l’opérationnel et dans la vision stratégique. Tu es toujours dans l’évolution. Il faut donc être soutenu, dans les moments de doutes, dans ta réflexion, c’est hyper important. »

Cela illustre bien l’enjeu de l’accompagnement de l’individu au-delà du projet, pour l’entrepreneur, mais également pour garantir la réalisation du plein potentiel de l’entreprise en création.

Se centrer sur l’indidivu

Dans la continuité de ces questionnements, nos recherches montrent que le besoin d’accompagnement est présent pour une grande majorité des porteurs de projets, mais l’intensité et surtout la nature de ce besoin varient. Afin de permettre une identification plus précise des besoins d’accompagnement et permettre une adaptation plus fine, nos travaux de recherche proposent de classifier la nature du besoin d’accompagnement à la lumière des apports du psycho-sociologue Albert Bandura.

Selon lui, le fonctionnement humain peut se développer à travers 4 processus majeurs incluant le processus cognitif (ce qui se rapporte à la pensée), décisionnel (en lien avec la sélection et la construction de l’environnement dans lequel l’individu évolue), affectif (se rapportant aux émotions, aux sentiments) et motivationnel (en lien avec la motivation).

Après avoir identifié la nature du besoin d’accompagnement, nous avons décliné la forme, ou la combinaison de formes d’accompagnement pouvant y répondre – en nous basant sur l’analyse des résultats de nos observations et des entretiens menés :

  • Besoin cognitif : formation et conseil

  • Besoin décisionnel : conseil et mentorat

  • Besoin affectif : mentorat ou accompagnement par les pairs et coaching

  • Besoin motivationnel : conseil et mentorat ou accompagnement par les pairs

Ainsi, il est important que les pratiques d’accompagnement ne se centrent pas uniquement sur le projet de création ou sur les connaissances techniques à maîtriser, mais qu’elles prennent également en compte les caractéristiques propres aux individus accompagnés, et leurs besoins psychologiques fondamentaux.

Une démarche contextualisée

À titre d’exemple, nos travaux portent initialement sur l’accompagnement des entrepreneures. Bien qu’elles ne constituent pas une population homogène, il a été observé que les femmes évoluant dans des secteurs traditionnellement masculins présentent un sentiment d’auto-efficacité moins fort, et qu’elles entretiennent des croyances limitantes en lien avec une norme sociale perçue comme décourageante. Ces éléments vont influer sur l’intensité et la nature du besoin d’accompagnement dont nous parlons dans cet article.

Dans ce contexte global marqué par de nouvelles exigences de personnalisation et de socialisation, la création et l’étude de nouvelles formes d’accompagnement semble nécessaire. De même que l’exploration de la possibilité d’engager de nouveaux acteurs, afin de compléter et enrichir la palette des accompagnements disponibles pour pouvoir répondre à la diversité des attentes et des besoins des entrepreneurs accompagnés.

Cela invite à adopter une démarche globale et contextualisée dans la manière d’aborder l’entrepreneuriat. D’autant plus que les changements à gérer sont et seront de plus en plus nombreux, et que managers comme entrepreneurs sont contraints d’apprendre à être agiles et à s’adapter, de manière responsable, pour pouvoir naviguer entre les contraintes, les opportunités et les paradoxes générés dans les sphères sociétale, économique et environnementale de notre monde VICA.

Présentation du MOOC « Management responsable » de l’Université Laval (2019).

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