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L’autonomie de la Corse : une échappatoire pour la République ?

Une femme agit le drapeau corse en soutien au nationaliste Yvan Colonna, détenu et condamné pour l'assassinat du préfet Erignac en 1998 et attaqué dans sa prison à Arles. L'événement a suscité une flambée de violences sur l'île. Pascal Pochard-Casabianca / AFP

La question de l’autonomie de la Corse est une nouvelle fois mise sur la table par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin pour répondre à « la gravité des évènements » qui secouent l’île à la suite de l’agression de détenu Yvan Colonna par un co-détenu, au début du mois de mars à la prison d’Arles.

Ce dernier, militant indépendantiste corse est mort lundi 21 mars à Marseille où il avait été hospitalisé. Il avait été condamné pour l’assassinat du préfet Erignac en 1998.

Cette attaque a servi de catalyseur aux revendications nationalistes corses – souvent en faveur de l’autonomie, parfois de l’indépendance – qui montent en puissance depuis plusieurs années.

L’autonomie offrirait davantage de prérogatives et de libertés à la Corse alors que l’indépendance en ferait un État distinct de la France.

L’attaque sur Yvan Colonna marque aussi le début d’une vague de violences sur l’île de beauté qui s’embrase progressivement sous le feu des cocktails Molotov. Dans ce contexte, après l’échec du Premier ministre à restaurer la paix par la décision de rapatriement du militant indépendantiste corse, c’est l’autonomie qui est envisagée.

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, lors d’un entretien à Corse-Matin début mars, laisse ainsi entrevoir la diversité identitaire à travers la possibilité d’une autonomie corse. En effet, c’est la reconnaissance d’une identité spécifique qui motive la mise en œuvre d’un statut juridique particulier.

Une annonce éloignée de la Constitution

Dans sa décision du 9 mai 1991, relative à la loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, le Conseil constitutionnel affirmait que « la mention faite par le législateur du « peuple corse, composante du peuple français » est contraire à la Constitution, laquelle ne connaît que « le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d’origine, de race ou de religion ».

L’autonomie se présente comme un compromis politique fondé sur l’idée que l’octroi de pouvoirs plus importants ferait taire les revendications indépendantistes.

C’est en ce sens que la voie de l’autonomie éviterait celle de l’indépendance, c’est-à-dire la sécession d’une partie du territoire, qui prend souvent la forme d’un conflit armé, c’est souvent le cas en Afrique, cela s’est produit au Soudan notamment.

Accorder l’autonomie réclamée aujourd’hui empêcherait l’indépendance demain. Cette option se présente alors comme l’alternative la plus adaptée dans le contexte actuel tant que la voix nationaliste majoritaire corse reste cantonnée à l’autonomie et tant que les émeutes demeurent contenues dans le temps et dans leur intensité.

L’autonomie pacificatrice ?

Sans pour autant être érigée en solution miracle, universellement pacificatrice notamment face à des prétentions sécessionnistes, l’autonomie atténuerait quand même les tensions et mettrait fin aux émeutes dans des sociétés divisées.

En effet, on prête souvent à l’autonomie des vertus pacificatrices dans une configuration de pluralisme identitaire c’est-à-dire dans le cadre d’un État caractérisé par une hétérogénéité ethnique, linguistique, religieuse. C’est le cas de la Belgique qui se caractérise par un pluralisme linguistique (communautés française, flamande et germanophone) et dont les trois régions reconnues (flamande, wallone, Bruxelles-capitale) bénéficient de compétences étendues en vertu de l’article 35 de la constitution.

En accordant la possibilité à des groupes revendiquant le respect de leur identité propre, présents sur un territoire, de prendre des décisions dans des matières importantes les concernant spécifiquement, elle garantirait l’existence et le développement de ce groupe.

C’est cette finalité qui anime les revendications de différentes régions françaises (Bretagne, Pays basque, Alsace-Lorraine) réclamant davantage de décentralisation, c’est-à-dire le transfert de compétences de l’État vers des autorités locales distinctes de celui-ci ou l’autonomie. C’est ainsi que la question de la décentralisation est au cœur de la campagne présidentielle 2022, nombre de candidats proposent un approfondissement de ce processus à travers différentes mesures, telles que le renforcement de l’enseignement des langues régionales, la reconnaissance d’un statut et d’une langue.

C’est ainsi que face à l’hétérogénéité identitaire une autonomie développée est préconisée afin de prévenir les conflits motivés par des aspirations indépendantistes. La forme fédérale impliquant non seulement une autonomie administrative, mais également législative et constitutionnelle apparaît comme une solution constitutionnelle dans un climat de tensions identitaires.

C’est la solution retenue, au lendemain de conflits majeurs, en Bosnie-Herzégovine, en Irak ou encore en Afrique du Sud, afin d’éviter la résurgence des nationalismes ou des mobilisations ethniques et religieuses.

Une révision de la constitution ?

Dans le cas français, l’autonomie de la Corse impliquerait une révision de la constitution, et elle serait cantonnée à la sphère législative. Il pourrait s’agir à côté des compétences administratives déjà exercées par la collectivité de Corse, comme les autres collectivités territoriales françaises, de lui conférer un véritable pouvoir législatif qui dépasserait les attributions actuelles de l’Assemblée de Corse.

Elle disposerait d’un Parlement qui adopterait ses propres décisions dans des domaines matériellement importants qui reviennent actuellement au Parlement national, telles que la fiscalité ou certaines politiques de développement économique.

Cette configuration accentuerait l’autonomie différenciée qui régit déjà les territoires de la République. La plupart des collectivités ne bénéficient que d’une autonomie administrative, alors que d’autres jouissent déjà à titre exceptionnel d’une autonomie législative, telle que la Nouvelle-Calédonie dont le Congrès peut adopter des lois pays. Ce nouveau statut juridique de la Corse contribuerait à rapprocher la France de la stratégie de l’autonomie « à la carte » pratiquée par l’État espagnol.

Tandis qu’il y a trente ans, le Conseil constitutionnel déniait l’existence d’un peuple corse avec l’idée sous-jacente que la consécration de la diversité favoriserait les contestations, aujourd’hui la reconnaissance de cette même diversité apparaît comme le seul moyen d’apaiser les tensions. Cet éloignement progressif du modèle de l’État unitaire classique à travers l’octroi d’une autonomie différenciée serait-il le seul moyen de conserver l’île de beauté au sein de la République française ?


L’autrice réalise sa thèse sous la direction de Fabrice Hourquebie et de Jean Belin.

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