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Le calme et le silence comme clés de la performance en management

La stabilité émotionnelle est un élément qui permet d’améliorer le leadership en entreprise. Tim Gouw/Pexels

Le 30 juin 2018, à Kazan en Russie, la France élimine l’Argentine 4 buts à 3 en 8e de finale de la Coupe du monde de football 2018, après un match épique. Cette rencontre met en valeur les comportements diamétralement opposés des deux entraîneurs. D’un côté, Didier Deschamps, calme, intervenant peu, quasi silencieux. De l’autre, Jorge Sampaoli, archétype du manager surexcité, vociférant en permanence des encouragements, des consignes, ou des critiques à ses joueurs. Et parcourant presque plus de kilomètres dans son rectangle que le moindre de ses footballeurs…

Une observation rapide montre que, durant cette Coupe du monde, les entraîneurs les plus calmes et les plus silencieux ont gagné plus de matchs que les autres, en particulier les plus démonstratifs et les plus volubiles. Le modèle étant bien sûr Didier Deschamps, qui ne se départ presque jamais de son calme, se lève très peu et donne peu de consignes pendant le match, réservant ses commentaires avant ou après la rencontre, et bien sûr à la mi-temps, dans le vestiaire.

L’attitude de Didier Deschamps tranche avec celle de certains de ses homologues. Frank Fine/AFP

La cause et l’effet

Alors le calme et le silence paient-ils ? En clair, les managers calmes et silencieux, obtiennent-ils de meilleurs résultats, au-delà du cas de la dernière Coupe du monde ? N’en est-il pas de même dans des domaines autres que le sport, en entreprise ou en politique par exemple ? La réponse est oui, comme nous allons le montrer. La capacité à conserver son sang-froid, la maîtrise des émotions négatives, le non-interventionnisme, et le silence sont des clés de la performance, qui s’appliqueraient à toutes les situations de management ou de leadership.

Commençons néanmoins, une fois n’est pas coutume, par un contrargument ou une limite à un tel postulat. Sont-ce les entraîneurs et les managers calmes et peu loquaces qui obtiennent de meilleurs résultats ? Ou sont-ce les meilleurs résultats qui rendent plus calmes et moins loquaces les entraîneurs ou managers ? Quelle est la cause et quel est effet ? À ce stade des recherches, on peut simplement supposer que les deux agissent l’un sur l’autre dans les deux sens.

La stabilité émotionnelle améliore les performances

Mais revenons aux preuves montrant que la maîtrise des émotions et de la parole est un atout indéniable dans la conduite des équipes, sportives, politiques, associatives et, bien sûr, productives ou économiques. Les travaux du psychologue américain Daniel Goleman sur l’intelligence émotionnelle ont montré que la maîtrise des émotions négatives accroissait largement la performance des équipes. Rappelons ici que les six émotions de base sont la colère, la tristesse, la peur, le dégoût, la jalousie, la surprise et la joie. D’après Daniel Goleman, « plus une personne est considérée comme un performant exceptionnel, plus l’intelligence émotionnelle explique son efficacité ».

« L’intelligence émotionnelle : quelle utilité dans l’entreprise ? », Conférence de Bernard Flavien, comédien et coach en développement personnel à Grenoble École de Management (2016).

L’intelligence émotionnelle exerce, à tous les niveaux, une influence positive sur les résultats professionnels. Elle est un élément clé du leadership. Il y a en effet un lien entre l’intelligence émotionnelle, c’est-à-dire la capacité à manager efficacement les émotions et les relations avec les autres, dont l’empathie, avec l’efficacité du leader-manager. Parmi les cinq composants critiques de l’intelligence émotionnelle selon Goleman, figure la maîtrise de soi, c’est-à-dire la capacité à réfléchir avant d’agir et à contrôler les impulsions perturbatrices :

La maturité émotionnelle améliore l’efficacité managériale

Les travaux de Goleman ont influencé de nombreux chercheurs qui ont mis en avant ce qu’ils appellent la stabilité émotionnelle, c’est-à-dire « la capacité à rester calme, détendu, serein ». Une personne qui manque de stabilité émotionnelle est anxieuse, nerveuse et tendue, et parle beaucoup. Elle communiquera son stress aux autres. La stabilité émotionnelle est l’un des cinq traits du modèle des « Big Five », ou « Théorie des cinq grands facteurs de personnalité », permettant d’améliorer le leadership.

Dans ce modèle, la stabilité émotionnelle est la dimension décrivant dans quelle mesure une personne reste calme, enthousiaste et tranquille (positive) ou au contraire est tendue, découragée et inquiète (négative). La plupart des recherches montrent que la maturité émotionnelle améliore l’efficacité managériale et le progrès. Au niveau plus général, le lauréat 2002 du prix de la Banque de Suède en sciences économiques (l’équivalent du Nobel), Daniel Kahneman, qui se dit d’ailleurs plus psychologue qu’économiste, a prouvé que beaucoup d’anomalies boursières étaient en réalité dues à des biais cognitifs et surtout émotionnels.

« Si vous voulez motiver quelqu’un, commencez par vous taire ! »

Mais l’étude la plus probante qui lie silence des entraîneurs et les résultats sportifs a été réalisée par Brandon Irwin, professeur à la Kansas State University. Dans un article intitulé « Golden Silence », il explique que les entraîneurs qui encouragent les sportifs par des exhortations, même positives (du type « allez ! Encore une fois », « tu peux y arriver », « vas-y continue », « conserve le rythme », etc.), obtiennent des résultats inférieurs aux entraîneurs silencieux, mais attentifs. Susan Fowler, professeur à l’Université de San Diego et spécialiste de la motivation, dans son livre [Pourquoi motiver est-il si compliqué… et comment y arriver ?](http://www.hrsquare.be/fr/bibliotheque/pourquoi-motiver-est-il-si-complique-et-comment-y-arriver), cite Brandon Irwin : « Si vous voulez motiver quelqu’un, commencez par vous taire » !

Selon Brandon Irwin, les entraîneurs silencieux enregistrent de meilleurs résultats parce que les encouragements oraux externalisent l’attention et l’énergie des athlètes. Le passage des stimuli internes à des stimuli externes diminue, voire annihile, l’impression d’autonomie du sportif. Or, l’autonomie est une attente fondamentale des individus. Les encouragements ou les critiques exprimées saperaient son désir d’atteindre l’objectif, de se dépasser et d’exceller.

L’entraîneur qui recourt à l’exhortation verbale, que ce soient par des clameurs négatives ou des stimuli voulus positifs, distrait en réalité le joueur dans le feu de l’action. Cette distraction externe contribue à bloquer le sentiment d’autonomie des joueurs sur le terrain. Elle inhibe leur capacité à puiser dans leurs ressources internes et limitent d’autant leur performance. Voilà pourquoi les entraîneurs silencieux obtiennent des sportifs une productivité supérieure à celle des entraîneurs utilisant la motivation verbale.

Sens théâtral autocentré

Susan Fowler explique, en analysant l’étude de Irwin, que, de leur côté, les sportifs considèrent que l’entraîneur criant, parlant et prodiguant des encouragements à voix haute n’agit pas dans leur intérêt, mais par souci de se mettre en valeur lui-même. Il est vrai que le sens théâtral de beaucoup de managers sur le bord du terrain, en handball, football et autres sports, semble bien contre-productif et autocentré. Les sportifs interprètent ses exhortations comme l’expression du besoin de l’entraîneur de gagner, l’expression de sa propre motivation ou de ses propres intérêts, et non comme une aide destinée à accroître la leur.

Ce constat a des implications majeures dans le cadre des entreprises et du management. Les collaborateurs ne seront pas motivés s’ils sentent qu’ils sont manipulés par l’organisation ou le manager, s’ils sentent que les encouragements ne sont pas sincères, ou s’ils ont l’impression d’être instrumentalisés ou utilisés pour servir les intérêts d’une tierce personne (son bonus, son gros salaire, son poste, son ego, sa réputation, etc.). D’ailleurs, beaucoup de sélectionneurs qui ont gagné la Coupe du monde depuis 1990 étaient de grands calmes (Franz Beckenbauer avec l’Allemagne en 1990, Deschamps en 2018), discrets (Carlos Alberto Parreira avec le Brésil en 1994, Marcello Lippi avec l’Italie en 2006), voire parfois mutiques pendant le match (L’Espagnol Vicente del Bosque en 2010, Aimé Jacquet en 1998).

Mais attention, cela ne veut pas dire qu’un entraîneur présent et attentif ne serve à rien. Brandon Irwin a aussi montré dans son étude que les sportifs sans entraîneur obtenaient de moins bons résultats que ceux avec un entraîneur calme et silencieux. En politique, la stature de chef d’État se construit beaucoup sur la maîtrise de soi ou la rareté de la parole, théorisée en France par Jacques Pilhan, le conseiller en communication des Présidents Mitterrand et Chirac. Certains ex-Présidents, qualifiés d’« agité » ou de « bavard », devraient méditer l’adage populaire « le silence est d’or ».

« Revenir à Jacques Pilhan ? », interview du spécialiste de la communication Dominique Wolton pour Xerfi canal.

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