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Le Canada va-t-il sortir de sa schizophrénie climatique ?

Le tout nouveau Premier ministre canadien, Justin Trudeau. Chris Wattie/Reuters

Ces dix dernières années, les Canadiens ont surtout montré leurs mauvais côtés en matière de lutte contre le changement climatique. Nous nous sommes non seulement retirés du Protocole de Kyoto en 2011, mais nous avons aussi affaibli la protection de l’environnement, en débattant sans fin sur la construction d’oléoducs pour acheminer le pétrole brut depuis les sables bitumineux, riches en carbone.

Si l’engagement du Canada à réduire ses émissions est assez comparable à celui d’autres pays industrialisés, on lui a néanmoins reproché d’être insuffisant par rapport à ceux de l’Union européenne notamment.

Parmi les points positifs, citons néanmoins la Colombie-Britannique, qui est parvenue à mettre en place une taxe carbone sans que cela affecte ses recettes, et l’Ontario, qui a abandonné progressivement les centrales au charbon et adopté le système des quotas, à la suite du Québec et de la Californie, afin de continuer à réduire ses émissions.

À l’échelle des villes, l’ancien maire de Toronto, David Miller, a présidé le C40, un groupe d’action international sur le climat réunissant les maires de grandes villes. Le Canada est l’un des pays les plus avancés en matière de recherche et développement autour des technologies à faible intensité carbonique, notamment dans le secteur de la construction d’habitations passives. Il utilise également des sources d’électricité à faible intensité carbonique, plus propres que la plupart des autres pays, grâce à sa forte production d’énergie hydraulique.

La question est maintenant de savoir si le nouveau gouvernement libéral saura tirer parti de l’optimisme et de la détermination du Premier ministre, Justin Trudeau, pour faire évoluer les comportements canadiens et nos relations avec le reste du monde. La composition du nouveau cabinet est un premier signe de ce changement : il inclut une ministre de l’Environnement et du Changement climatique. Le prédécesseur de Justin Trudeau, Stephen Harper, était quant à lui un fervent défenseur des intérêts de l’industrie pétrolière.

Des sables bitumineux à Alberta : le pétrole contenu dans l’asphalte est extrait à l’aide d’un procédé encore plus polluant que celui des puits de pétrole. howlcollective/Flickr, CC BY

Encore beaucoup à faire

Il est aujourd’hui bien possible qu’au sortir de la COP21 notre position soit sensiblement différente de ce qu’elle aurait été avec Stephen Harper.

À mon sens, les libéraux peuvent changer la donne à deux niveaux. Tout d’abord, le Canada devrait adopter des réglementations plus strictes, tout en tirant profit des dépenses gouvernementales consacrées à l’infrastructure. Il poursuivrait ainsi son engagement de réduction des émissions et sortirait des seuls mécanismes du marché du carbone. Ensuite, si Justin Trudeau fait preuve d’audace, il pourrait tenter de sortir de l’impasse de la réduction des GES en incitant les autres dirigeants à s’intéresser davantage aux sources d’électricité propres.

Il est important de rappeler que l’objectif canadien d’une réduction de 30 % des émissions de GES d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2005 n’est pas une mince affaire. Pour atteindre cet objectif, le pays prévoit d’adopter une réglementation visant à diviser par deux la consommation et les émissions des voitures et camionnettes entre 2008 et 2025. Quelques améliorations sont également prévues pour les camions.

L’industrie pétrolière et chimique (y compris la production d’engrais) n’échappera pas aux réductions de ses émissions, en particulier d’hydrofluorocarbures, qui participent au réchauffement climatique. Le Canada a déjà interdit la construction de nouvelles centrales au charbon. Il souhaite à présent améliorer le rendement des centrales au gaz naturel.

Un prix du carbone fixé au niveau national ?

Avant son élection, Justin Trudeau avait déclaré vouloir suivre l’exemple de certaines provinces, en instaurant un prix du carbone au niveau national. Cette stratégie pourrait s’avérer payante, mais les libéraux devront éviter les débats interminables sur les mérites respectifs des quotas et de la taxe carbone. Si l’on veut vraiment réduire les émissions, il faudra probablement taxer le carbone au même taux qu’en Suède, soit environ 140 euros par tonne, un prix cinq fois supérieur à celui pratiqué en Colombie-Britannique. Reste à savoir si les Canadiens accepteront de payer ce surcoût indispensable pour s’assurer que les mesures seront vraiment efficaces.

Les libéraux pourraient mettre en place d’autres mesures et stratégies d’investissement afin de dépasser l’engagement initial d’une réduction de 30 %. Les normes de construction pourraient être durcies, par exemple, en imposant un meilleur rendement énergétique, proche de celui des bâtiments passifs.

En promettant, pendant la campagne, d’investir davantage dans l’infrastructure des villes et communautés canadiennes, les libéraux ont peut-être créé des opportunités que le gouvernement précédent n’avait pas saisies. Les transports en commun à faible intensité carbonique, les véhicules électriques et les normes plus contraignantes de consommation énergétique des logements publics sont autant de dépenses en infrastructures qui participent à limiter les changements climatiques.

La production d’électricité canadienne ne nécessite que peu de carbone, car elle repose en grande partie sur l’énergie hydraulique. Arsenikk, CC BY

Le Canada pourrait cependant aller beaucoup plus loin grâce à son large parc de production d’électricité propre. La plupart de ses provinces, dont les plus peuplées – la Colombie-Britannique, l’Ontario et le Québec – s’appuient en effet largement sur l’énergie hydraulique, les énergies renouvelables et, dans le cas de l’Ontario, le nucléaire. Dans un monde où le carbone n’a plus bonne presse, c’est un avantage économique incontestable.

Car la réduction des émissions de GES passera nécessairement par le secteur de l’électricité, responsable de 30 % des émissions dans les pays développés. Comme elle est inhérente à la croissance économique, ce chiffre va continuer à grimper.

Pour se détacher des combustibles fossiles, l’électricité offre les meilleures perspectives. Cela implique, par exemple, de remplacer les moteurs et chaudières à combustion par des véhicules et des pompes à chaleur électriques. Néanmoins, une réduction sensible des émissions de GES ne se fera que si cette électricité provient de sources propres, comme c’est déjà le cas dans la plupart des provinces canadiennes.

Vers une électricité moins polluante

Pendant la COP21, les participants vont négocier la quantité totale de GES qu’ils sont autorisés à émettre, principalement en fonction des tonnes de CO2 émises par chaque pays.

Dans un autre article, j’avais évoqué une unité de mesure universelle qui pourrait servir aux États afin de calculer leur contribution effective à la lutte contre le changement climatique. Il s’agit de l’intensité carbone de la production électrique, c’est-à-dire la quantité d’émissions générée par unité de production d’électricité.

Pourquoi le Canada se contenterait-il d’être à l’avant-garde de la production d’électricité propre, alors qu’il peut s’engager à diminuer l’intensité carbone de ses ressources, et encourager ses homologues à en faire de même ?

Justin Trudeau est, sans nul doute, bien mieux placé que son prédécesseur pour mettre en avant les actions positives du Canada en matière de gestion des changements climatiques. Mais il ne peut faire oublier que son pays compte parmi ceux qui émettent le plus de GES par habitant.

Pour améliorer son image, le Canada ne pourra pas se contenter de sa promesse de réduire ses émissions de 30 %. Les libéraux devraient tirer profit du programme de dépenses du pays dans les infrastructures. Mais Justin Trudeau pourrait aller encore plus loin et renforcer notre position dans les négociations, en tant que producteurs d’électricité propre.


Traduit de l’anglais par Maëlle Gouret/Fast for Word

This article was originally published in English

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