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Le cannabis médical intéresse aussi les vétérinaires

Les animaux de compagnie pourront-ils un jour bénéficier du cannabis thérapeutique ? David Mark / Pixabay

Canada, Israël, Chili, Argentine, Pays-Bas, Allemagne, Royaume-Uni, Portugal… Au total, une trentaine de pays ont légalisé l’usage du cannabis et des cannabinoïdes en médecine humaine. La France devrait bientôt les rejoindre : une expérimentation en ce sens sera engagée dans le courant de cette année.

Les patients ne seront pas les seuls à retirer des bénéfices de cette légalisation. En 2017, une étude du cabinet Grand View Research évaluait que le marché du cannabis médical pourrait atteindre 49 milliards d’euros en 2025. Ces estimations ne prennent en compte que les applications liées à la santé humaine. Or un autre secteur s’intéresse aux usages du cannabis, c’est celui de la santé animale, aussi bien pour des usages médicaux que pour des usages de confort ou bien-être.

En France 43 % des foyers possèdent au moins un chien ou un chat. Or 85 % des 8 millions de chiens et 56 % des 14 millions de chats français sont médicalisés. Quand on sait que la prévalence de l’arthrose est de 20 % chez le chien et que 90 % des chats de plus de 12 ans présentent des signes de dégénérescence articulaire, on comprend que le marché des animaux domestiques âgés souffrant de douleurs est potentiellement important. D’autant plus que, depuis 10 ans, l’espérance de vie des animaux de compagnie a augmenté d’au moins 20 %.

Les produits à base de cannabis pourraient-ils remplacer les anti-inflammatoires non stéroïdiens et les chondroprotecteurs qui dominent actuellement le marché ? Leur utilisation est-elle pertinente chez l’animal ?

Pour répondre à ces questions, The Conversation publie un entretien entre le professeur Nicolas Authier, médecin psychiatre et pharmacologue, et le docteur Thierry Poitte, docteur vétérinaire et fondateur du réseau CAP Douleur, qui rassemble et forme des vétérinaires intéressés par les sujets de la Douleur et du bien-être animal.


Nicolas Authier : Existe-t-il en santé animale une tendance comparable à celle observée en santé humaine quant à l’utilisation du cannabis ?

Thierry Poitte : Nous vivons une période de grande confusion, d’incertitude et aussi d’hypocrisie car l’usage du cannabis thérapeutique se répand en médecine vétérinaire sans rigueur scientifique et sans prescription raisonnée.

En France, l’Agence nationale du médicament vétérinaire a récemment précisé que les produits contenant du tétra-hydro-cannabinol (THC, le principe actif majoritaire du cannabis) et du cannabidiol (CBD, un autre cannabinoïde du chanvre moins puissant) revendiquant des allégations thérapeutiques telles que la gestion de la douleur chez les chiens et chats relevaient du statut du médicament vétérinaire. Ils doivent de ce fait être autorisés par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) ou la Commission européenne.

À l’heure actuelle, tout comme pour l’usage humain, aucune allégation thérapeutique ne peut être revendiquée et leur prescription n’est pas autorisée en l’absence d’études scientifiques. Ce n’est pas le cas dans d’autres pays. En Italie, les vétérinaires peuvent prescrire uniquement des préparations extemporanées de CBD, réalisées par le pharmacien. En Suisse les compléments alimentaires à base de CBD sont en libre-service sur Internet, dans les pet-shops et chez les vétérinaires.


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NA : En France, le CBD est depuis deux ans vendu avec une finalité non pas médicale mais de « bien-être » médicale. Existe-t-il la même tendance en santé animale ?

Prurit cervico-facial et syringomyélie. CAP Douleur

TP : Oui, clairement. Certains laboratoires cherchent à contourner la législation actuelle en communiquant sur l’amélioration du confort, de l’activité, de la qualité de vie et du bien-être animal. Les publicités pour compléments alimentaires nous invitent à découvrir les vertus du chanvre ! Or il y a bien d’autres mesures à adopter pour améliorer le bien-être animal en commençant par mieux observer le comportement de l’animal pour en détecter les changements qui pourraient être en relation avec un mal-être ou une douleur.

Cela permet alors d’assurer un plus grand confort des animaux en souffrance en adaptant leur environnement (matelas à mémoire de forme, surélévation des gamelles, utilisation de harnais ou de ceinture lombaire…). Les lecteurs intéressés par ces approches peuvent télécharger un livre blanc dédié au bien-être de l’animal de compagnie, édité par le think-tank CAP Welfare.

NA : Tous les animaux peuvent-ils ressentir les effets d’une prise de cannabis ou de certains cannabinoïdes ?

TP : Oui, car tout comme chez l’être humain, il existe chez les animaux un système appelé endocannabinoïde. Ce dernier comprend des récepteurs et des substances fabriquées par l’organisme, dont certaines sont comparables à des molécules contenues dans le cannabis. Le système endocannabinoïde est présent chez les vertébrés et les invertébrés (à l’exception des insectes), le cannabis peut donc avoir des effets sur les animaux. Ceux-ci peuvent être thérapeutiques, mais aussi indésirables : le chat allergique et le chien arthrosique possèdent davantage de récepteurs aux substances cannabinoïdes que les autres, ce qui se traduit chez le chien par une plus grande vulnérabilité au risque de surdosages.

NA : La recherche sur l’utilisation de ces produits en santé humaine s’accroît. Observe-t-on la même chose en médecine animale ? Quels en sont les résultats les plus marquants ?

TP : La recherche en France est évidemment bridée par la législation actuelle qui interdit toutes les opérations de production, la détention et son emploi concernant le cannabis sauf dans des spécialités pharmaceutiques autorisées chez l’homme. Par exemple, tout produit contenant du cannabidiol à visée de santé animale extrait de la plante de cannabis est interdit. Des observations cliniques sont actuellement menées dans le cadre des dérogations prévues (produit issu des graines ou des tiges, variété de chanvre utilisée figurant sur une liste publiée par arrêté) et sous couvert de certificat d’analyse par chromatographie (garantissant l’absence de THC).

En médecine vétérinaire, une seule étude portant sur l’efficacité du CBD chez le chien arthrosique est disponible. Les évaluations ont montré une diminution significative de la douleur et une augmentation de l’activité. En revanche, les scores de boiterie et les réactions à la palpation des articulations arthrosiques sont restés inchangés.

NA : Quelles seraient en médecine vétérinaire les pathologies ou les symptômes qui pourraient être soulagés par des médicaments vétérinaires à base d’extraits de cannabis ?

Hyperesthésie féline. CAP Douleur

TP : En extrapolant depuis la médecine humaine, le cannabis pourrait être pertinent lors de douleurs chroniques neuropathiques réfractaires aux traitements conventionnels, par exemple dans les cas de syringomyélie, de syndrome d’hyperesthésie féline (une sensibilité exacerbée des différents sens), de certaines douleurs chroniques postopératoires ou cancéreuses ainsi qu’en soins palliatifs.

Tout comme chez l’être humain, l’adjonction de cannabidiol à un traitement standard de l’épilepsie pour des cas réfractaires semble aussi prometteur. Enfin les chats et chiens très âgés présentant des troubles neuromusculaires spastiques et dégénératifs pourraient peut être bénéficier du cannabidiol.

NA : Comme pour tous médicaments, humains ou vétérinaires, pas de bénéfice sans risque. Que sait – on des complications ou effets indésirables liés à l’usage de cannabis chez les animaux ?

TP : Le risque de dépendance est plus faible chez l’animal tout simplement en raison de l’absence d’automédication et de recherche d’effet récréatif. Néanmoins, chiens et chats présentent une sensibilité accrue au THC. Par exemple, au Québec en 2017, le cannabis était la 3e cause (17,6 %) de consultation pour intoxication après le chocolat (31 %) et les médicaments humains (25,7 %).

L’intoxication du chien par le cannabis, beaucoup plus fréquente, est surtout due à une ingestion accidentelle de résine (haschich) ou de « space cake ». Les symptômes, notamment une léthargie, des troubles de l’équilibre et des mouvements, une désorientation et des vomissements, débutent dans les 3 premières heures après la prise. Ils durent parfois jusqu’à 72 heures. Les cas de mortalité sont très rares et sont liés à l’absorption de variétés à fort taux de THC.


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NA : Quels conseils donneriez-vous à des propriétaires d’animaux tentés par l’achat de produits à base de cannabis en dehors du circuit conventionnel des médicaments vétérinaires ?

TP : Il ne faut pas banaliser l’utilisation du cannabis thérapeutique et proscrire les préparations dans lesquelles la teneur en cannabidiol n’est pas précisément connue. Il faut demander l’avis de son vétérinaire qui tiendra compte de l’évolution de la législation actuelle.

Seuls les praticiens sont capables de cibler les indications et de respecter les préconisations issues des pays où le cannabis médical est autorisé : il s’agit de suivre une procédure de type « start low, go slow, stay low », c’est-à-dire de pratiquer une augmentation très lente des posologies, couplée à une évaluation rigoureuse de la douleur. L’enjeu essentiel est une prescription raisonnée et individualisée grâce à l’expertise des cliniciens que sont les vétérinaires.

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