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Un homme noir lève son violon et son archet parmi des violonistes blancs dans une scène d'un film d'époque.
Image fixe du film “Chevalier”, réalisé par Stephen Williams. FilmAffinity

Le Chevalier de Saint-George, un musicien noir virtuose à la cour de Marie-Antoinette

Avez-vous remarqué, dans le film de Sofia Coppola Marie Antoinette (2006), ce mystérieux musicien métis qui enseigne la musique à la reine ? Vous êtes-vous déjà demandé qui il était ? Le biopic Chevalier, qui devrait sortir en avril 2023 sur les écrans français, s’inspire de son histoire.

Une femme joue du piano sous le regard d’un homme noir
Scène du film Marie Antoinette, réalisé par Sofia Coppola (2006).

Il s’agit de Joseph Boulogne de Saint-George (1745-1799), connu sous le nom de Chevalier de Saint-George. Musicien métis, né de l’amour entre un riche propriétaire terrien et de son esclave d’origine sénégalaise, il dut affronter le racisme de la société française de son époque.

Il excella en tant que compositeur, violoniste et chef d’orchestre. Il fut le plus grand épéiste de son temps et le premier colonel noir de l’armée française. Cependant, après sa mort en 1799, il est tombé dans l’oubli, où il est resté pendant près de deux siècles.

Les origines de Joseph

Saint-George naît le 25 décembre 1745 sur l’île de la Guadeloupe, qui était alors une colonie française des Caraïbes. Son père veille à ce qu’il reçoive la meilleure éducation dans toutes les disciplines prescrites pour l’aristocratie, comme la danse, l’escrime et la musique.

Cependant, il remarqua rapidement que son fils n’était pas comme les autres. Une anecdote recueillie par Odet Denys l’illustre :

« Un jour, Joseph a essayé d’empêcher un propriétaire terrien de fouetter un esclave africain et a fini par être fouetté lui-même. Il revint, les larmes aux yeux, dans les bras de sa mère qui lui rappela qu’il serait toujours le fils d’un esclave : “Désormais, mon fils, tu sauras que, si tu es le fils d’un homme blanc, tu es aussi le fils d’une femme noire. Tu dois savoir d’où je viens et d’où tu viens”. »

À l’âge de 10 ans, la famille s’installe à Paris, où Joseph est remarqué par le propriétaire de l’école d’escrime La Boëssière. Il y entre pour étudier à l’âge de 13 ans et est rapidement reconnu comme un épéiste hors pair.

Il combine son entraînement à l’épée avec la pratique du violon grâce aux enseignements de Jean-Marie Leclair (1697-1764), le plus brillant violoniste de l’école française, et est initié à l’art de la composition par François-Joseph Gossec (1734-1829), qui lui dédie ses six trios (opus 9).

Un duel à l’épée entre deux hommes, dont l’un est noir
Le Chevalier de Saint-George en duel contre le Chevalier d’Eon (portant des vêtements de femme) à Carlton House, vers 1787-89, par Alexandre-Auguste Robineau (1747-1828). Royal Collection Trust

Un escrimeur hors pair…

Ses prouesses à l’épée ont souvent suscité des comparaisons avec Giuseppe Tartini (1692-1770), un virtuose du violon d’origine italienne qui avait également été un formidable épéiste. Mais Joseph est allé plus loin. Parmi ses nombreux exploits, il remporte une victoire sur le célèbre maître d’armes Alexandre Picard en 1761, alors qu’il n’a que 16 ans.

Il est bientôt nommé Gendarme de la Garde du Roi et Chevalier.

Lorsque la Révolution française éclate en 1789, il s’engage pour soutenir les révolutionnaires dans la Garde nationale de la ville de Lille, où il vit à l’époque. Il était important pour lui de lutter contre l’esclavage dans les colonies françaises. Plus tard, un corps de 1 000 soldats d’origine africaine est formé, et Saint-George est nommé colonel chargé de recruter, de diriger et d’équiper le corps. Saint-George devient ainsi le premier colonel noir de l’armée française.

… et un musicien virtuose

En 1769, lorsque Gossec fonde le Concert des Amateurs, il n’hésite pas à nommer Saint-George premier violon et, quelque temps plus tard, chef d’orchestre.

Un homme tient une épée en posant pour un tableau
Chevalier de Saint-George (1745-1799) d’après un tableau original de l’Académie d’escrime de M. Angelo, peint par Mather Brown (1761-1831), gravé par William Ward (1766-1826). Gallica

Sous sa direction, l’institution devient « le meilleur orchestre symphonique de Paris et peut-être d’Europe », comme le décrit l’Almanach musical en 1775. Il dirige également d’autres ensembles, comme l’orchestre de Madame de Montesson, le Concert de la Loge Olympique ou le Cercle de l’harmonie, situé au Palais Royal à Paris, rien de moins.

Curieusement, Saint-George est aussi chargé de négocier le contrat avec Joseph Haydn (1732-1809) pour ses six Symphonies parisiennes (1785-1786), créées dans la capitale sous sa direction.

Mais il y a un autre pan intéressant dans l’histoire de Saint-George : sa relation avec la reine Marie-Antoinette (1755-1793).

En 1774, alors que la jeune reine a 19 ans, elle le choisit pour être son professeur de musique et, quelques années plus tard, le propose comme directeur de l’Opéra de Paris. Elle justifie sa décision par les prouesses musicales de Saint-George et par le fait qu’il avait réussi à susciter l’envie des cours européennes avec le Concert des Amateurs. Comme on pouvait s’y attendre, c’est un scandale.

Trois divas de l’époque (les sopranos Sophie Arnould et Rosalie Levasseur et la danseuse Marie-Madeleine Guimard) adressent une pétition à Marie-Antoinette déclarant que « leur honneur et la délicatesse de leur conscience ne leur permettraient jamais de se soumettre aux ordres d’un mulâtre ».

Saint-George finit par démissionner de son poste pour ne pas nuire à l’image du monarque.

Son œuvre musicale

Selon Alain Guédé, auteur de l’un des plus importantes biographies de Saint-George, le musicien a écrit 215 œuvres, dont, malheureusement, seules quelques-unes nous sont connues. La plupart de ses compositions instrumentales, publiées entre 1771 et 1789, ont été écrites alors qu’il était jeune. Néanmoins, leur qualité est incontestable. Sa production est principalement dominée par le concerto pour violon et la symphonie concertante, bien que le quatuor à cordes joue également un rôle de premier plan.

Il a composé six opéras. Tous sont partiellement conservés, à l’exception de L’amant anonyme, dont la partition complète est conservée à la Bibliothèque nationale de France. L’opéra est basé sur un texte de Stéphanie Félicité de Genlis (1746-1830), connue sous le nom de Madame de Genlis, auteur à succès et amie de Saint-George.

« L’amant anonyme », Ouverture, interprétée par l’Orchestre symphonique de Chicago sous la direction de Riccardo Muti (2021).

Le retour de Saint-George

On pourrait dire que Saint-George est mort deux fois ; d’abord en 1799, à l’âge de 53 ans, et en 1802, lorsque Napoléon Bonaparte rétablit l’esclavage et que les orchestres cessent de jouer sa musique.

Plaque d’une rue dédiée à Saint-George
Plaque de la rue du Chevalier de Saint-George à Paris (posée en 2002). Erwmat/Wikimedia, CC BY-SA

Ce n’est qu’au XXe siècle que l’on s’intéresse à la redécouverte des figures que le canon musical a laissées de côté, dont Saint-George. C’est alors qu’on lui a donné le surnom de « Mozart noir », problématique si l’on considère qu’il place Mozart comme l’original et Saint-George comme sa copie, perpétuant ainsi la vision européocentrée qui caractérise la musique classique.

Heureusement, Saint-George commence à être mieux connu et retrouve progressivement la place qu’il a toujours méritée dans l’histoire de la musique.

This article was originally published in Spanish

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