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Le CICE, un objet fiscal mal identifié

Jean Pisani-Ferry président du Comité de suivi du CICE présente le rapport 2015 le 22 septembre. France Stratégie

Suite à la remise du Rapport Gallois sur le Pacte de Compétitivité pour l’industrie française, le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE) a été instauré par la loi du 29 décembre 2012. Alors que la création du CICE remonte à près de trois ans, que peut-on dire actuellement de la principale mesure fiscale, avec le Pacte de responsabilité, du quinquennat de François Hollande ?

Un instrument fiscal hybride

Rappelons tout d’abord que le CICE est un instrument fiscal hybride dont le mode de calcul repose sur assiette salariale large (comprise entre 1 et 2,5 SMIC) de façon à alléger le coût du travail mais qui prend la forme d’un instrument fiscal qu’est le crédit d’impôt sur les bénéfices des sociétés. Le CICE permet à une entreprise de déduire de son impôt sur les bénéfices des sociétés (IS) une somme égale 6 % des salaires bruts (hors cotisations sociales patronales) versés aux salariés dont la rémunération est inférieure ou égale à 2,5 fois le SMIC.

Le CICE, qui représente un montant de grande ampleur, 20 milliards d’euros en 2018, poursuit plusieurs objectifs simultanés. Selon la loi, il doit permettre aux entreprises de faire des « efforts en matière d’investissement, de recherche, d’innovation, de formation, de recrutement, de prospection de nouveaux marchés, de transition écologique et énergétique et de reconstitution de leur fonds de roulement. »

Or, force est de constater que le CICE est très éloigné de la doctrine selon laquelle il doit y avoir un seul objectif par outil fiscal. Et si, bien sûr, en raison de son montant conséquent et de son ciblage jusqu’à 2,5 SMIC, couvrant plus de 80 % des salariés du secteur privé et 63 % de la masse salariale des entreprises, le CICE devrait avoir des effets diffus à la fois sur l’emploi, les salaires, l’investissement et la compétitivité, il est fort probable qu’il n’atteigne pas complètement un seul de ces objectifs.

Un effet sur l’emploi peu clair

Tout d’abord, le CICE, ayant une base large et peu concentrée sur les bas salaires, aura un effet relativement faible sur l’emploi au regard de son montant. L’impact de la baisse du coût du travail est en effet d’autant plus fort qu’il est réalisé sur les bas salaires, avec un effet maximum autour du SMIC. La baisse du coût du travail jusqu’à 2,5 SMIC, niveau de salaire où le taux de chômage est faible, se traduira probablement par des hausses de revenu pour les salaires les plus élevés concernés par le dispositif.

Un argument avancé dans le Rapport Gallois était que réduire le coût du travail jusqu’à 2,5 SMIC permettrait de mieux cibler l’industrie, secteur exposé à la concurrence internationale, car les salaires versés y sont en moyenne supérieurs de 6 % à ceux de l’ensemble du secteur privé. Mais, si cet argument est juste en moyenne, il devient moins convaincant lorsqu’on mène une analyse fine des salaires par branche et taille d’entreprise. En effet, au sein de l’industrie, c’est uniquement dans les entreprises de plus de 1 000 salariés que les salaires y sont supérieurs aux autres secteurs. A l’inverse, dans les TPE, PME ou les ETI de moins de 1 000 salariés du secteur industriel, le niveau de salaire est inférieur à la moyenne du secteur privé.

Quels salaires viser ?

Ainsi, à enveloppe constante, plus les allègements de coût du travail seront ciblés sur des salaires élevés, plus ce sont les grandes entreprises qui en bénéficieront au détriment des PME. Or, pour les grands groupes industriels, il semble plus efficace d’améliorer l’attractivité du territoire en réduisant la fiscalité du capital plutôt que d’abaisser le coût du travail des salariés les plus qualifiés.

Ainsi, pour favoriser l’emploi, il aurait été plus judicieux de consacrer une partie de l’enveloppe CICE à un allègement plus conséquent sur les bas salaires en abaissant le plafond des salaires éligibles. Et utiliser le reste de l’enveloppe afin d’améliorer la compétitivité hors coût des entreprises et de mieux cibler l’industrie, secteur le plus exposé à la concurrence internationale : pour cela, il aurait fallu conditionner le CICE à un certain type d’investissement, tel que les dépenses d’investissement en machines et équipement, les dépenses d’innovation, les dépenses liées aux économies d’énergie… En effet, ce type d’investissement, avec la R&D, sont ceux qui permettent aux entreprises d’améliorer leur compétitivité hors coût et l’industrie y consacre, au regard de son poids dans l’économie, une part plus importante que les autres secteurs.

Mieux gérer ce crédit d’impôt

Enfin, le CICE est encore dans sa phase de montée en charge et n’a pas atteint son régime de croisière. Il se caractérise actuellement par un écart conséquent entre la créance des entreprises liée au CICE et leur consommation effective, c’est-à-dire l’imputation ou la restitution de l’impôt dû au titre des bénéfices sur les sociétés (IS). Or, selon le dernier Rapport du Comité de suivi pour le CICE, la créance des entreprises sur l’État liée au CICE serait de 17,3 milliards en 2015 (18,5 milliards en 2016) mais sa consommation effective serait de « seulement » 12,5 milliards (13 milliards en 2016), soit un écart d’environ 5 à 5,5 milliards en 2015 et 2016.

Cette différence importante entre la créance et la consommation effective s’explique principalement par le fait que lorsqu’une entreprise déclare des pertes ou des bénéfices faibles, et que par conséquent le crédit d’impôt est supérieur à l’IS, l’État ne lui reverse pas immédiatement la différence à l’exception de certaines entreprises (PME, jeunes entreprises innovantes…). Cette somme devient alors une créance que l’entreprise détient sur l’État, et qui pourra être déduite de l’IS de l’année suivante. Ce report est possible trois années de suite. Si au terme de la troisième année, l’IS de l’entreprise est toujours trop faible pour absorber les créances cumulées au titre du CICE, celles-ci sont restituées par l’État.

Ainsi, en raison actuellement de la faiblesse chronique des bénéfices des sociétés d’un grand nombre d’entreprises, et donc de l’IS, celles-ci accumulent des créances à faire valoir plus tard, sans bénéficier aujourd’hui du CICE. Par conséquent, les entreprises de plus de 250 salariés qui ne font pas de bénéfices ne peuvent bénéficier actuellement du CICE.

Or, selon les nouvelles normes comptables européennes, les crédits d’impôt sont comptabilisés dans les finances publiques en droits constatés et non pas en versement effectif. Ainsi, pour 2015, le CICE est comptabilisé à hauteur de 17,3 milliards dans le calcul du déficit public de la France alors que les entreprises ne recevront effectivement que 12,5 milliards.

Transformer le CICE en crédit d’impôt restituable immédiatement et sans report permettrait d’allouer en 2015 et 2016 entre 5 et 5,5 milliards supplémentaires aux entreprises, en ciblant de fait majoritairement celles faisant le moins de bénéfices, et ce sans modifier le niveau du déficit public. Une telle mesure permettrait de relancer davantage l’activité, en soutenant les entreprises les plus en difficulté sans coût comptable supplémentaire pour les finances publiques.

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