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Le coronavirus révèle (déjà) les failles du système de santé indien

Evénement de sensibilisation au Covid-19 dans un hôpital gouvernemental de Siliguri (Bengale) le 21 février 2020. DIPTENDU DUTTA / AFP

Alors que l’Inde dénombre moins d’une centaine de cas de contamination au nouveau coronavirus (Covid-19), les inquiétudes se multiplient déjà concernant la capacité de son système de santé à faire face à cette menace sanitaire potentielle.

Il s’agit là d’un test politique majeur pour le gouvernement nationaliste hindou, qui doit juguler des résultats économiques décevants – la croissance est au plus faible depuis dix ans – et aujourd’hui faire face à la crise sociale et politique qui ébranle le pays suite à l’adoption de lois discriminatoires. Ces dernières ont donné lieu à des émeutes et des pogroms anti-musulmans à travers le pays et tout particulièrement à New Delhi où l’on recense 40 morts et de nombreux blessés.

Dans ce contexte particulièrement tendu, le gouvernement de Narendra Modi est-il capable de gérer la pandémie ?

Urine de vache et homéopathie

Sur les réseaux sociaux, des blagues circulaient déjà sur son incapacité à gérer cette crise alors que certains hauts responsables du parti mettaient en avant les vertus anti-coronavirus des produits issus de la vache, quand le Ministère des médecines alternatives (AYUSH) préconisait lui l’utilisation de l’homéopathie.

Certains praticiens ayurvédiques du sud de l’Inde en profitaient même pour proposer des remèdes miracles contre le coronavirus.

Cette pseudoscience nationaliste a en effet ses adeptes, y compris parmi la population éduquée et anglophone qui a activement twitté l’hashtag #NoMeat_NoCoronaVirus aux premiers moments de la contagion en Chine, encourageant des cas de racisme à l’encontre des Indiens originaires du nord-est.

Des mesures de prévention classiques

S’il a appelé à éviter la panique, le gouvernement de Narendra Modi affirme toutefois avoir pris la menace au sérieux. Le ministère de la Santé a rapidement mis en place une cellule de crise, un numéro d’information, et prévu deux centres de quarantaine dans les environs de Delhi.

Comme dans de nombreux pays, les autorités indiennes ont aussi diffusé des messages de prévention concernant le port du masque et insisté sur la nécessité de se laver les mains régulièrement, d’éternuer dans son coude, et d’éviter les évènements publics comme le festival de Holi qui se tenait le mardi 10 mars.

Durant Holi, festival des couleurs, on célèbre la défaite du démon Holika ici à l’effigie du Covid-19 rebaptisé « Coronasur » (asur signifiant démon), Mumbai, le 9 mars 2020. Indranil Mukherjee/AFP

Malgré des doutes concernant leur efficacité, le gouvernement a également choisi d’établir des tests de température dans les aéroports ainsi que dans certains ports maritimes et frontières terrestres, dont certaines (Bangladesh et Myanmar) ont été complètement fermées. Le pays a également interdit l’entrée aux visiteurs venant de Chine, de France, d’Italie, d’Iran, de Corée du Sud et du Japon.

Mais c’est finalement les États indiens qui ont pris les décisions les plus radicales. Plusieurs États ont fermé les écoles primaires dans certaines villes (Delhi, Bangalore, etc.) et districts, quand d’autres comme le Kerala, un épicentre de l’épidémie en Inde, se sont déclaré en alerte haute et pris des mesures drastiques de confinement et de fermeture au public.

Les carences d’un système de santé largement privé

Le Kerala, avec ses 38 000 lits d’hôpital public, possède toutefois le meilleur système de santé du pays.

Le nombre élevé de cas positifs identifiés dans cet État de tradition socialiste met donc probablement plus encore en lumière l’incapacité des autres États en matière de dépistage.

Seuls 52 laboratoires publics sont équipés pour identifier la présence du coronavirus, même si 54 laboratoires privés pourraient aussi être mobilisés à terme. Et, contrairement à la Chine, où la capacité d’hospitalisation est supérieure à celle des pays à haut revenu avec 4,2 lits pour 1000 habitants, ce taux est de seulement 0,7 lit en Inde en moyenne.


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Ces carences sont d’autant plus préoccupantes que les recommandations faites au plus haut niveau de l’État suggèrent de contacter directement son médecin en cas de survenue des symptômes.

Malgré un récent projet d’assurance maladie pour les plus démunis (Ayushman Bharat), il est probable que les patients les plus pauvres ne se tournent pas immédiatement vers le système hospitalier, ce qui favoriserait la propagation du virus.

En effet, après trente années de stagnation de la part des dépenses publiques dans la santé, le développement des infrastructures a largement été pris en charge par le secteur privé, à tel point que moins d’un tiers des cas de maladie sont aujourd’hui traités par les services publics.

L’industrie pharmaceutique touchée

C’est d’ailleurs vers ces entreprises pharmaceutiques privées florissantes comme Cipla, Sun Pharma et Dr Reddy’s que les autorités indiennes se sont immédiatement tournées pour s’assurer de la disponibilité de certains produits nécessaires en cas d’épidémie majeure.

Le gouvernement a restreint les possibilités d’exporter une vingtaine de produits comme des équipements de protection et certains principes actifs comme le Lopinavir et Ritonavir. Ces antirétroviraux sont actuellement utilisés ensemble contre le VIH et pressentis par les docteurs indiens, à l’instar de leurs homologues chinois, comme utiles contre le coronavirus.

Malgré les assurances des grandes entreprises concernant la solidité de leurs stocks, les craintes gouvernementales ne sont pourtant pas infondées.

Entre 80 et 85 % des principes actifs utilisés dans les médicaments assemblés en Inde proviennent de Chine, dont 25 % sont de la région d’Hubei, épicentre de l’épidémie.

Pour faire face à la rupture de leurs approvisionnements, les entreprises pharmaceutiques ont récemment dû importer une partie des principes actifs par les airs avec le soutien de l’aviation militaire indienne. Si cette situation de dépendance aux importations chinoises a eu pour effet immédiat de renchérir le coût des principes actifs, elle pourrait à terme se répercuter sur le prix de vente des médicaments indiens.

Ces derniers jours, le manque de produits désinfectants et l’explosion du prix des masques de protection en vente privait déjà d’accès une bonne partie de la population indienne, dont 21 % vit toujours sous le seuil de pauvreté.

Avec ses 1,3 milliard d’habitants, l’Inde prendra donc difficilement en charge tous les patients contaminés en cas de propagation importante du coronavirus. Seule la présence d’une population très jeune – la moitié a moins de 25 ans) –, pourrait minimiser son impact sanitaire.

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