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Jean-François Roberge débout, en train de parler.
Le ministre de l'Éducation du Québec, Jean-François Roberge, répond à l'opposition pendant la période de questions en décembre 2020, à l'Assemblée nationale, avec le premier ministre du Québec, François Legault, en arrière-plan. Le nouveau cours de citoyenneté proposé par le ministre suscite de nombreux débats. La Presse canadienne/Jacques Boissinot

Voici pourquoi le cours d’éducation à la citoyenneté est une bonne idée… et ce qu'il doit enseigner

À un an des élections québécoises, les thèmes sur lesquels la Coalition Avenir Québec (CAQ) ira en campagne commencent à se dessiner. L’annonce récente d’un nouveau cours en éducation à la citoyenneté s’inscrit sur cet horizon. Elle a activé en quelque jours une polarisation où les fantômes de la culpabilité et de la fierté ont ressurgis.

Pourquoi une telle méfiance envers ce cours ?

En partie parce que la CAQ a démontré par le passé que sur les enjeux identitaires, comme l’immigration, elle n’hésite pas à emprunter des éléments d’un répertoire national-populiste light.

Ceci dit, bien que François Legault ait déjà déclaré, en 2016, être à l’aise d’être comparé à Donald Trump, ce n’est pas dans la ligue des Trump, Victor Orban ou Éric Zemmour que joue le premier ministre du Québec. À bien des égards son nationalisme économique s’inscrit dans une tradition qui a été pratiqué à gauche, comme à droite par le passé. Ses appels à une plus grande décentralisation des pouvoirs n’est pas particulièrement populiste, et il n’a généralement pas abordé la pandémie avec le même mépris de la science que les Trump ou Jair Bolsonaro.

Professeur au département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal, mes recherches actuelles portent sur les nationalismes et le populisme au Canada, au Québec et en Allemagne. Les questions relatives à la citoyenneté, à la démocratisation et aux reculs de la démocratie sont au cœur de ma réflexion.

Le nouveau « père » de la nation

La CAQ inspire la méfiance à certains et emprunte au registre populiste sur les dossiers identitaires et dans sa façon de cadrer ses adversaires, par exemple, en qualifiant Gabriel Nadeau Dubois de « woke », un terme qu’il définit comme quelqu’un « qui veut nous faire sentir coupable de défendre la nation québécoise et de défendre ses valeurs ». Avec cette déclaration, le premier ministre s’est présenté non seulement comme l’interprète en chef des valeurs québécoises, mais aussi comme le juge de ce qui constitue une critique légitime ou non d’une politique publique ou mémorielle au nom du sentiment très subjectif qu’est la culpabilité.

Ce type de déclaration explique pourquoi certains attendent ce nouveau cours avec appréhension. Il ne justifie cependant pas les comparaisons dérisoires, qui ont circulé sur les réseaux sociaux, avec la Chine maoïste ou d’autres régimes totalitaires.

On peut très légitimement trouver que certaines critiques de l’ancien cours d’éthique et culture religieuse ont été montées en épingle, mais cela ne justifie pas un traitement tout aussi démagogique d’un cours dont on n’a pas encore vu le contenu. Rappelons qu’il a déjà existé un cours d’histoire et d’éducation à la citoyenneté, que des savoirs existent en ce domaine et que nous n’avançons pas ici en terrain inconnu.

L’importance de la citoyenneté comme lien social

Dans un contexte où plusieurs observateurs constatent un recul de la démocratie à travers le monde, un cours d’éducation à la citoyenneté est une initiative qui doit être saluée.

La société québécoise, comme toute autre, est traversée par des enjeux complexes. Il ne manque pas de thèmes auxquels les jeunes pourront être amenés à réfléchir en lien avec la citoyenneté. S’ils peuvent le faire dans un cadre pédagogique approprié, il est difficile de trouver des raisons pour s’y opposer.

Mais la citoyenneté et les sentiments vécus qui découlent du fait national sont deux choses différentes. La citoyenneté est garantie par l’État de droit et vice versa. Les sentiments vécus qui découlent du fait national, eux, aussi forts et réels soient-ils, restent subjectifs. Un cours sur la citoyenneté doit porter sur ce qui entoure l’institution et la pratique de la citoyenneté, non pas faire mousser les sentiments subjectifs entourant le nationalisme vécu.

Des adolescents dans une salle de classe
Plusieurs observateurs constatent un recul de la démocratie à travers le monde. Un cours d’éducation à la citoyenneté pourrait pallier au désintérêt actuel. Shutterstock

La citoyenneté est à la fois le lien social le plus important, le plus abstrait et le plus fragile pour un régime démocratique. Fragile, parce qu’il requiert que l’on adhère à des règles de droit, non pas nécessairement parce qu’on les aime, mais parce qu’on considère le processus à partir duquel elles sont établies comme plus légitime que le recours à l’arbitraire ou à la violence. Abstrait, parce que comme la santé, la citoyenneté est ce que l’on prend pour acquis quand elle nous accompagne, mais que l’on regrette lorsque l’on en est privé. Important, parce qu’elle est le maillon du lien social qui tient les autres en place.

C’est grâce à la citoyenneté que l’on peut faire et défaire les autres liens sociaux dans le débat démocratique et non dans le recours à la violence.

Transmettre des savoirs sur des enjeux complexes

Sur le fond, un tel cours devra aborder les thèmes classiques et actuels de la sociologie de la citoyenneté : les institutions, les mouvements et les processus à travers lesquels s’est développée et se pratique la démocratie au Québec et au Canada. On pense au développement de l’État de droit, mais aussi aux droits et libertés et à la division des pouvoirs et champs de compétence. Il est essentiel de rappeler au moyen des sciences que le contexte dans lequel ces institutions se sont développées au Québec n’est pas le même qu’en France ou aux États-Unis.

Il devra aborder les composantes civiques, politiques et sociales à travers lesquelles on étudie la citoyenneté depuis les travaux du sociologue britannique T.H. Marshall. Ces dimensions se sont développées à un rythme spécifique au Québec et de façon différente pour les hommes, femmes, propriétaires, ouvriers, Canadiens-français, Anglais, Premières nations, Innus, Juifs, etc. Encore une fois, il existe des savoirs empiriques concrets pouvant être transmis sur ces questions.

Nous sommes également en droit de nous attendre à ce qu’un tel cours aborde des enjeux brûlants d’actualité : l’écocitoyenneté, la citoyenneté à l’ère numérique, les sexualités et le consentement, le pluralisme, la déconfessionnalisation, la laïcité et les phénomènes de radicalisation. Les parents connaissent l’importance de ces enjeux et il se fait une recherche de pointe sur ceux-ci en sciences sociales au Québec.

Ce cours exigera que les enseignants reçoivent une importante formation notamment en sociologie, en science politique et en histoire. On demandera ici aux enseignants d’encadrer et de transmettre des savoirs sur des enjeux sur lesquels même les adultes ont beaucoup de difficultés à débattre. Il faudra leur donner du temps, un accès à de la formation et reconnaître la complexité de la tâche qu’ils ont à accomplir.

Qu’en est-il de la composante culturelle annoncée dans le cours ?

À première vue, on peut se demander pourquoi une dimension culturelle est intégrée à un cours d’éducation à la citoyenneté, plutôt que dans un autre cours.

Or, il faut se rappeler que ce n’est pas d’hier que des sociologues de toutes tendances, de Jean‑Charles Falardeau à Gérard Bouchard, ont eu recours à des œuvres littéraires pour faire revivre des contextes de transformation des pratiques citoyennes au Québec. Si les sociologues ont reconstruit les structures politiques et économiques du Québec des années 50, un roman comme « Bonheur d’occasion » est extraordinaire pour reconstituer la vie des Canadiens-français au sein de ces dernières. Il faut aussi se rappeler que la démocratisation de l’accès à l’éducation publique et à la culture ont été des matrices fondamentales apportées par la Révolution tranquille.

Ici, à nouveau, il faudra faire confiance aux enseignants, respecter leur liberté académique, baliser et non imposer, et faire place à des œuvres moins connues comme aux œuvres canonisées. Gabrielle Roy, Louis Hémon ou Jacques Ferron, bien entendu, mais aussi An Antane Kapesh ou Naomi Fontaine ont leur place dans cette réflexion.

Ni fierté, ni honte : un parti pris pour la démocratie

En somme, ce cours doit-il chercher à exalter la fierté nationale ou, au contraire, à faire de la honte et de la pénitence le tissu du lien social ? Ni l’un, ni l’autre.

Si la citoyenneté peut générer de la fierté, son exaltation n’est pas ce que son enseignement doit rechercher. L’objectif d’un tel cours devra être sobre : transmettre une explication et une compréhension de l’origine et du fonctionnement des institutions garantissant la citoyenneté au Québec et au Canada.

Si un tel cours ne doit pas viser à susciter de la fierté, doit-il chercher à susciter de la honte ou l’intimité culturelle ? Non plus. La honte que partage un groupe d’individus liés par des liens historiques et culturels peut renforcer des liens sociaux entre eux, mais elle génère aussi des frontières à l’endroit des gens à l’extérieur du groupe.

La compréhension par empathie peut nous amener à comprendre des sentiments et des valeurs, mais ce n'est n’est pas la même chose que les ressentir. L’enseignant doit chercher à faire comprendre des points de vue opposés, mais il doit laisser aux manipulateurs et propagandistes l’objectif de les faire ressentir. La compréhension réciproque, qui n’exclue pas le désaccord, est essentielle à la démocratie. La mise en commun de la honte ou du ressenti, elles, ne doivent pas constituer le socle de la citoyenneté.

Si la fierté et la honte ne sont pas de bonnes conseillères, quels sentiments un tel cours devrait-il susciter ? Aucun, si ce n’est un parti pris pour la démocratie. Le cours doit viser à transmettre des savoirs, des méthodes et des compétences. Cette transmission engendrera inévitablement des sentiments, des malentendus, des questionnements et des nouvelles pratiques sociales et citoyennes. Mais ce n’est pas au législateur de donner une orientation politique à ces sentiments. Ce rôle reviendra à la société civile, comme il se doit, en démocratie.

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