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Le CRIF et la manifestation du 28 mars : le sens d’une faute

En tête de la « marche blanche » du 28 mars 2018, à Paris. François Guillot/AFP

Le meurtre de Mireille Knoll a suscité en France une émotion qui ne s’est assurément pas limitée aux seuls juifs. Son fils, Daniel Knoll, s’était lui-même parfaitement inscrit dans un espace républicain en demandant en sa mémoire, et en guise de refus de l’antisémitisme, une « marche blanche » ouverte « à tout le monde sans exception », et non une manifestation politique.

Mais, la veille, le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) qui avait lancé l’appel pour le défilé du 28 mars à Paris et, le jour même, sur place, un certain nombre de participants en ont décidé autrement : pour eux, le Front national et la France insoumise, Marine Le Pen et Jean‑Luc Mélenchon, n’y avaient pas leur place.

Deux exclusions à distinguer

Il faut ici distinguer les deux exclusions, qui ne sont pas du même ordre, pour aller au fond des choses, et ne pas se contenter d’explications sommaires.

Il n’était pas aberrant que soit exclu le Front national, un parti qui, malgré les efforts récents de ses dirigeants, et alors même qu’il vient de changer de nom, ne peut pas faire oublier qu’il a longtemps fait preuve d’un antisémitisme explicite. La veille même de la manifestation du 28 mars, Jean‑Marie Le Pen, son fondateur, a été condamné définitivement pour avoir qualifié les chambres à gaz de détail de l’Histoire !

Mais la France insoumise, et Jean‑Luc Mélenchon ? Ce n’est pas le même reproche que leur ont fait ceux qui les ont exclus de la marche. Mais un autre, qui tient à leurs positions en ce qui concerne Israël. Il est vrai que la critique de la politique israélienne est souvent teintée, ou lestée d’un antisémitisme qui en est éventuellement même le fondement. Mais souvent ne veut pas dire toujours.

Contrairement aux propos du Président Emmanuel Macron affirmant devant le chef de l’État hébreu, Benjamin Netanyahou, le 16 juillet 2017, lors de la commémoration du 75e anniversaire de la rafle du Vel’ d’Hiv, que l’antisionisme « est la forme réinventée de l’antisémitisme », il faut ici être nuancé, reconnaître l’existence d’une critique de l’État d’Israël qui vise sa politique, et non son existence, et savoir qu’il est possible d’être « antisioniste » sans être antisémite.

Qu’au sein de la France insoumise, ou de ses électeurs, puisse exister un antisionisme relevant en fait d’une réelle haine des juifs ne doit évidemment pas être exclu. Mais de là à faire de cette force politique un mouvement suffisamment antisémite pour qu’il n’ait pas sa place dans une marche comme celle du 28 mars dernier, il y a un pas considérable à franchir.

Une réprobation consensuelle

Il l’est de fait chaque fois qu’il est demandé aux juifs de France, mais aussi à tous les Français soucieux d’agir contre l’antisémitisme, de s’aligner inconditionnellement derrière la politique du gouvernement israélien. Avec une conséquence immédiate, qu’a révélée une fois de plus l’exclusion de la France insoumise par le CRIF, qui est d’introduire une conflictualité là où il aurait dû être question d’union, et de mettre en œuvre un principe de division du corps social. Car dès qu’il s’agit d’Israël, les passions sont singulièrement actives, notre pays se déchire.

Or le meurtre d’une vieille dame survivante du génocide a suscité une répulsion largement partagée. La manifestation du 28 mars pouvait être républicaine aussi longtemps qu’il n’était pas question d’Israël, mais bien d’un assassinat incontestablement « domestique », interne à la société française, sans lien direct ou apparent, en tous cas, avec les passions que suscite l’État hébreu.

Exclure la France insoumise, c’était au contraire introduire par la bande la question d’Israël, et jouer sur ce qui clive au lieu d’en appeler à ce qui fait lien – la réprobation consensuelle face à un crime n’entretenant guère de lien avec la géopolitique du Proche-Orient.

La marche du 28 mars aurait pu être un superbe rassemblement : elle a été gâchée en profondeur par ceux qui voudraient affirmer la consubstantialité nécessaire des juifs de France avec la politique israélienne, quelle qu’elle soit. L’équation : critique de la politique israélienne= antisionisme =antisémitisme est excessive. Celle qui affirme : juifs de France = identification à la politique israélienne l’est aussi. Nous ne combattrons efficacement la haine des juifs qu’en dissociant les registres et en refusant les amalgames.

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