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Le crowdlending, un secteur en construction

Crowdlending.

En février dernier, UFC Que Choisir a publié un rapport très critique à l’encontre des plateformes de financement participatif sous forme de prêt rémunéré ou « crowdlending ». L’association de consommateurs reproche notamment aux plateformes une stratégie de communication qui vanterait des rendements affichés bien supérieurs aux rendements réels. L’association critique également le processus de sélection des projets par les plateformes qui ne permettrait pas de limiter les risques pris par les contributeurs.

La principale association du secteur, Financement Participatif France (FPF), a contesté, dans un communiqué de presse, la méthodologie utilisée par UFC Que Choisir ainsi que son manque de transparence, et elle a proposé son propre état des lieux. Cependant, le mal était déjà fait, la presse nationale titrait massivement des mots clés alarmistes, qualifiant le crowdlending de « secteur vérolé » ou de « miroir aux alouettes »,

C’est bien la première fois que le secteur du crowdlending fait l’objet d’un tel rapport à charge contestant son utilité économique et son éthique. Jusqu’ici, le crowdlending, et le financement participatif en général qui comprend également le crowdequity et le crowdgiving, étaient associés aux valeurs humanistes de l’économie collaborative, et non à la corruption qu’a pu connaître la finance classique.

Quels sont les enjeux liés à la réception du rapport d’UFC Que Choisir par les acteurs du secteur, et notamment par FPF ?

Qu’est-ce que le financement participatif sous forme de prêt ?

Revenons sur le secteur lui-même. Le crowdlending est avant tout un outil de collecte de fonds opéré via une plateforme Internet. Il permet à un ensemble de contributeurs (souvent des particuliers) de choisir collectivement et de financer, sous forme de prêt, directement et de manière traçable des projets identifiés. Les porteurs de projet sont des particuliers, des TPE ou des PME. Il peut s’agir par exemple de financer des actifs immatériels, de la recherche et du développement, du BFR. Il peut s’agir également de s’inscrire dans des schémas de cofinancement avec des acteurs financiers plus traditionnels, banques ou fonds d’investissement.

Parce qu’il s’appuie sur les plateformes de pair à pair, on considère que le crowdlending fait partie de l’économie collaborative ou digitale. Parmi les causes de l’émergence de ce type de financement, on trouve la contestation du système bancaire traditionnel, mais aussi de manière plus positive, l’espoir d’incarner une vision éthique de la finance, de la société et des relations humaines.

Quels sont les risques de ce secteur et où en est sa régulation ?

La réalisation de cette vision dans les pratiques des plateformes se confronte aux risques théoriques de comportements déviants et de fraudes de certains acteurs : qu’il s’agisse des contributeurs (blanchiment d’argent…), des porteurs de projets (détournement d’argent…) ou des plateformes (maquillage des risques de défaut…).

Concrètement, et comme toute activité financière, le crowdlending présente un certain nombre de risques opérationnels. Ces risques ont largement fait l’objet de discussions au niveau sectoriel, et ce depuis l’émergence du secteur en novembre 2013. Le premier de ces risques opérationnels est lié à la bonne évaluation de la solvabilité des projets mis en ligne et à la communication adaptée qui doit en découler. Les PME présentent en effet un risque de défaut qu’il n’est pas toujours aisé d’evaluer et sur lequel les contributeurs doivent être sensibilisés de manière claire, directe et franche.

Face à ces risques, la réglementation a mis en place deux types de règles. D’une part des seuils maximums d’investissement par projet et par particulier qui obligent les contributeurs à diversifier leurs portefeuilles pour limiter l’impact d’un éventuel défaut de paiement. D’autre part les plateformes sont soumises à des obligations de communication sincère et transparente quant aux risques liés aux projets. Cette seconde règle soulève des difficultés : comment s’assure-t-on de la sincérité de l’information transmise par une plateforme ? Des informations sur des ratios obligatoires, par exemple le taux de défaillance des projets sur les 36 derniers mois, doivent être publiés par chaque plateforme dans un rapport annuel. La pertinence de certains de ces ratios obligatoires est contestée, souvent à juste titre, par les plateformes, et pour l’instant, aucune sanction formelle ne semble avoir été prise lorsque l’une d’entre elles n’a pas respecté ces normes de publication.

Mais au-delà des risques, se pose aussi la question de l’éthique du financement participatif.

Les questions d’éthique dans le crowdlending

Le cas Lending Club aux États-Unis est l’exemple type des enjeux éthiques du crowdlending. Au-delà des conflits d’intérêts reprochés au fondateur et président de la plateforme de crowdlending Lending Club, c’est sa stratégie sous-jacente qui pose un problème. En effet, sans en informer le conseil d’administration, ni les clients, la plateforme s’est mis à faire de la gestion d’actifs et non plus du crowdlending. En cherchant des rendements toujours plus élevés, c’est la philosophie même du financement participatif qui a été trahie, et le lien de confiance avec les prêteurs qui a été mis en danger.

Cette question de la confiance est essentielle dans un secteur naissant, où la transparence n’est pas toujours parfaite, et où seule la confiance du consommateur, des associations, des régulateurs et des législateurs permet au marché de se développer. De plus, contrairement aux banques il n’y a pas de rencontre physique entre les emprunteurs et les prêteurs.

Le fonctionnement même du financement participatif repose sur la réputation, la confiance et donc l’éthique. Ce secteur émergent est ainsi potentiellement placé sous la menace de risques réputationnels importants, avec un effet de « mouton noir » très fort. En effet si une plateforme fait n’importe quoi, c’est tout le secteur qui en pâtit, parce que le secteur est émergent, fragile et appréhendé comme un tout par les pouvoirs publics.

Ce sont particulièrement ces risques de « mouton noir » qui ont poussé en France les acteurs du financement participatif à se rassembler pour se structurer et s’auto-réguler dans une « méta-organisation » (organisation dont les membres sont des organisations), Financement Participatif France.

Le rôle de Financement Participatif France

En cherchant à assurer l’éthique du secteur et des pratiques, Financement Participatif France a endossé la tâche difficile de créer et protéger collectivement la confiance dans ce nouveau secteur financier. Les régulateurs, les associations de consommateurs et les banques sont très réticents à accorder leur confiance à des acteurs qu’ils ne connaissent pas et dont ils peuvent craindre des écarts de comportement. C’est sans doute l’une des interprétations possibles du rapport d’UFC Que Choisir.

Une des actions importantes de FPF pour créer cette confiance a été la rédaction d’un code de déontologie commun à tous les membres de FPF, et régulièrement mis à jour. La création d’une fonction de déontologue au sein de FPF a aussi été essentielle pour ce dialogue collectif sur l’éthique du secteur, et pour sa structuration. Enfin, FPF a mis en place un « collège de l’écosystème » qui représente diverses parties prenantes du financement participatif : des particuliers, des banques, des cabinets de conseil, le réseau entreprendre… Cet organe de représentation a été très important pour éviter le nombrilisme des plateformes. À noter qu’UFC Que Choisir n’en fait pas partie et que le manque de dialogue entre ces deux acteurs a sans doute contribué à ce que le rapport d’UFC Que Choisir présente des erreurs factuelles parfois substantielles.

Sur un autre aspect, FPF a largement contribué à la création de capacités collectives au niveau du secteur, grâce à une diffusion implicite des bonnes pratiques par des ateliers destinés aux plateformes. Pour aller plus loin, FPF pourrait aussi à l’avenir encourager la rédaction d’un guide de bonnes pratiques, organiser des formations sur des sujets spécifiques d’éthique et de transparence.

Mais aujourd’hui, le rapport d’UFC Que Choisir pose de façon encore plus pressante la question de l’avenir de FPF et de son rôle dans le contrôle des plateformes. Le premier problème soulevé par cette question est celui des ressources financières de FPF qui sont limitées. FPF repose aujourd’hui principalement sur quelques bénévoles, un stagiaire et un salarié.

Le second problème est lié à la délégation à FPF d’un pouvoir spécifique d’enquête sur les plateformes d’une part, et de sanction des plateformes, d’autre part. Il n’est pas certain que ni les plateformes ni les membres du conseil d’administration de FPF soient disposés à ce que soit mise en œuvre une telle délégation. Cette possibilité d’agrément n’est par ailleurs prévue que pour les plateformes qui dépendent de l’AMF, et non pas pour celles qui dépendent de l’ACPR et qui étaient les premières visées par le rapport d’UFC Que Choisir.

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