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Le dialogue entre catholiques et sunnites en France : un effort de paix

Rencontres d'étudiants de l'association Coexister, « le mouvement interconvictionnel des jeunes ». Étienne Boulanger/Flickr, CC BY

Dans son ouvrage, Le retour du religieux dans la sphère publique Jean‑Paul Willaime mentionne que le religieux est pris dans une logique d’individuation et de mondialisation. Celle-ci se caractérise notamment par la fin de l’exclusivisme chrétien et par une perception du religieux ouverte sur un horizon plus large.

Néanmoins, les religions tendent à se réaffirmer comme des groupes de références et des enceintes convictionnelles. La société ultra-moderne, désormais incapable de signifier un sens collectif et mobilisateur comme parvenait à le faire la société moderne, renforce à présent, selon Olivier Roy, la spécifié du religieux, entraînant une reconstruction identitaire au sein de sous-cultures minoritaires.

Ces traditions religieuses tendent à s’affirmer comme des points de ressources dans une société ou le relativisme domine.

Dans un tel cadre, le dialogue entre catholiques et sunnites conserve donc toute son importance et l’actualité fait de la paix son principal enjeu.

Les trois époques du dialogue

Jacques Huntzinger, ancien ambassadeur, professeur au Collège des Bernardins, auteur d’une Initiation à l’islam et de différents ouvrages, distingue trois étapes dans le dialogue islamo-chrétien :

  • Une période romantique datant de l’ère coloniale portée par des auteurs de références tels que Louis Massignon.

  • Une efflorescence dans les années 1960 au niveau des institutions et des acteurs locaux dans la dynamique du Concile Vatican II et de la déclaration Nostra Aetate durant laquelle le dialogue, tout en étant moins riche, gagnait néanmoins en visibilité. Ainsi, dans les années 1970, fut fondée le Groupe de Recherche islamo-chrétien (GRIC) s’adressant particulièrement à des universitaires.

  • Une période de crise datant de la fin des années 1980 au cours de laquelle on entre dans une approche civilisationnelle assimilant religion et culture durant laquelle le dialogue se trouve quasiment au point mort. Le document Dialogue et annonce établi par le Conseil pontifical au dialogue interreligieux et la congrégation pour l’évangélisation prescrit de tenir ensemble les impératifs de dialogue et d’annonce du Christ.

Surmonter les difficultés

Que ce dialogue s’inscrive dans un processus de recherche continue du côté catholique ou qu’il soit plutôt réactif du côté musulman (en réaction à une situation de crise lié à des attentats), il ne se fait ni sans réticence ni sans difficulté.

Côté catholique, l’attitude défendue par des personnalités telles que le Père Jourdan ou le philosophe Rémi Brague consiste à promouvoir une essentialisation de l’islam censée contribuer à un dialogue en vérité. S’il ne s’agit pas actuellement de la vision qui est promue par l’institution religieuse catholique, elle connaît en revanche une certaine visibilité.

Une autre tendance, actuellement dominante, portée par le Père Roucou et le Père Féroldi, consiste au contraire à se refuser à toute essentialisation de l’islam et à l’envisager comme une mosaïque. C’est selon cette vision que l’ancien Service national des relations avec l’islam s’intitule désormais Service national des relations avec les musulmans où qu’a été élaboré le dialogue interreligieux au sein de l’association Coexister.

Trouver « l’en commun »

L’historien Antoine Arjakovsky promeut au Collège des Bernardins une autre voie consistant à élaborer un dialogue qui, sans exclure la dimension théologique, ne serait néanmoins ni un dialogue de confrontation, ni un dialogue syncrétique. La « Sagesse », entendue comme conscience de soi est selon lui cet « en commun » préalable au dialogue en vérité.

Côté musulman, « l’en commun » résiderait en la croyance en un Dieu unique, se fondant sur la Sourate al-Imran, 64. La lettre de 138 dignitaires musulmans adressée le 13 octobre 2007 à tous les représentants des Églises s’inscrit dans cette optique. Dalil Boubakeur, alors président du CFCM, dans un débat de 2009 sur le thème « Chrétiens et musulmans ont-ils le même Dieu ? » s’efforce ainsi à montrer que chrétiens et musulmans adorent le même Dieu. Toutefois, le dogme de la Trinité est, dans ce type d’argumentation, perçu comme une « malformation congénitale » du christianisme qui gêne à l’élaboration de cette parole commune.

En outre, se développent également un certain nombre d’initiatives privées favorisant les rencontres telles que le Groupe d’Amitié islamo-chrétienne (GAIC).

Aller du particulier à l’universel

Afin de tendre vers un dialogue pacifiant et inclusif, une direction pourrait consister à admettre que c’est en partant de son particularisme que l’on aspire à l’universel. Cette approche a toute sa place dans un contexte de pluralisme et dans un cadre laïque respectueux de la liberté de conscience. Prôner un universalisme abstrait représenterait un déni de la personne humaine qui s’accomplit en relation avec son environnement. La paix ne saurait donc faire l’impasse d’une culture de la démocratie dialogale et personnaliste.

Afin de dépasser les chocs de civilisations, les chocs de l’assimilation et de l’ignorance, Samuel Grzybowski, dans son Manifeste pour une coexistence active, promeut un nouveau modèle dans lequel les différentes options convictionnelles ne sont plus un problème mais une opportunité. Celle-ci s’articule autour d’un triptyque : le dialogue, la solidarité et la sensibilisation, pour promouvoir la rencontre, l’agir ensemble et le témoignage.

Le dialogue permet selon cette approche une découverte de l’altérité et un réenracinement d’où se dégage une volonté d’agir pour le bien commun. C’est cette vision qui est portée par l’association Coexister, mouvement inter-convictionnel de jeunes, actuellement présidée par Radia Bakkouch.

Enjeu majeur de la paix, le dialogue entre catholiques et sunnites se cherche encore dans notre société contemporaine.

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